Défense de la langue française   
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Identité nationale et langue française

Christian Barbe (1)

Quels rapports la langue entretient-elle avec l’identité nationale ? Dans quelle mesure la langue est-elle constitutive de cette identité et constitue-t-elle un facteur d’unité ? Cela conduit à se demander dans quelle mesure la langue est en fait constitutive de l’identité tout court.

L’enfant ( infans, en latin populaire : celui qui ne parle pas, in : privatif, fari : parler, cf. faribole) parle d’abord la langue qu’il entend, celle de la communauté dans laquelle il grandit : sa famille, son village, son quartier, sa ville…Cela ne va pas sans inconvénient. Le risque de querelle linguistique renforce les risques de querelle ethnique, économique, sociale. On le voit en Belgique où les Flamands parlent une langue germanique tandis que les Wallons sont francophones. Au delà de ces différences, les linguistes, les anthropologues, les psychologues, les neurologues, les généticiens, les sociologues, les ethnologues, se demandent aujourd’hui si la langue n’est pas d’abord constitutive de l’identité humaine.

Les Francs ne parlaient pas français, les Gaulois non plus !
Il faut attendre 842 pour que les serments de Strasbourg présentent le premier texte officiel en français, c’est-à-dire en roman : Louis le Germanique s’adresse ainsi pour être compris des soldats de son frère Charles le Chauve qui lui, s’adresse en germanique, afin de confirmer leur alliance contre Lothaire. Tous trois sont fils de Louis le Pieux et petits-fils de Charlemagne.
Le premier texte littéraire conservé en « français » n’apparaît qu’à la fin du IX° siècle avec la cantilène de Sainte Eulalie qui veut dire : celle qui parle bien.
En 1192, Richard Cœur de lion, roi prisonnier, s’adresse en français à ses sujets aquitains ou anglais et si les Anglais ne parlent plus français, on peut se demander si ce n’est pas la faute à jeanne d’Arc.
En 1539 François 1°, par l’édit de Villers-Cotterêts, fait du français la langue officielle.

A la veille de la Révolution, en 1784, Rivarol triomphe avec son Discours sur l’Universalité de la langue française qui véhiculera bientôt les valeurs de la République et des droits de l’homme considérées à leur tour comme universelles. De fait toutes les cours d’Europe et toute l’élite européenne mettent alors un point d’honneur à parler français.
Sous la Révolution, l’abbé Grégoire veut interdire le mariage et donc l’amour, qui est naturel, aux couples qui ne parlent pas français, ce qui est culturel mais injuste. Barrère de Vieuzac, député de Bigorre, propose d’imposer la langue française pour vaincre la révolte royaliste et religieuse incarnée par les dialectes et patois. C’est en créant l’unité linguistique que la Révolution donne naissance à l’état-nation.

A l’époque coloniale, les instituteurs apprennent à lire et à écrire le français aux peuples colonisés : nous leur devons les élites d’administrateurs, artistes, commerçants, écrivains, médecins qui jetteront les bases de la francophonie en Afrique, en Asie…
Pendant deux siècles, la langue française reste la langue de la diplomatie en raison de sa précision et de ses nuances, Jusqu’à la conférence de la Paix, en janvier 1919, c’est-à-dire jusqu’à ce que Clémenceau l’abandonne au profit de l’anglais parce que le président Wilson ne la parlait pas.

La langue française n’appartient pas seulement aux 60 millions de citoyens qui possèdent l’identité française, mais aussi à plus de 200 millions de femmes et d’hommes qui la parlent dans le monde : Belges, Suisses, Canadiens, Roumains, Africains, Libanais, Malgaches, Indochinois… Si l’hexagone veut la modifier, il doit aussi compter avec cette France des îles d’Outre-mer, souvent plus imaginative de mots nouveaux.

La langue française est moins menacée par l’immigration que par nous-mêmes, par notre vanité à parler franricain dans les médias, l’entreprise, la finance au nom d’une soi-disant pseudo modernité ou du mondialisme et surtout par notre paresse à chercher le mot français lorsqu’il existe ou à l’inventer.

Le danger pour la langue française, c’est moins le travailleur polonais ou afghan qui apprend à parler français que le manager français qui prétend imposer l’anglais dans son administration ou son entreprise. A cet égard nous approuvons Laurence Parisot : « Je préférerais par exemple qu’on ait un débat sur la langue, l’utilisation de la langue française, y compris dans l’entreprise où l’abus de l’anglais est, à mon avis, à signaler et à dénoncer ».

Le danger, c’est moins l’avance technologique des Américains que notre manque de pugnacité ou notre renoncement à défendre la langue française quand l’adoption du protocole de Londres, au printemps 2008, ne rend plus obligatoire la traduction des documents présentés en anglais.

Heureusement, les entreprises recherchent des jeunes diplômés français sachant parler d’autres langues que l’anglais pour développer le commerce et donc le bonheur, selon Voltaire, en Europe et dans le monde.
Heureusement les employés de plusieurs entreprises, soucieux de défendre le droit au français dans le travail et réactivant la loi Toubon du 4 août 1994, ont gagné leurs procès contre de soi-disant élites qui voulaient leur imposer l’anglais. L’enrichissement avec d’autres langues peut être réciproque et la langue française tout au long de son histoire a su accueillir des mots étrangers non seulement anglais, germaniques, italiens, mais aussi arabes : d’algèbre à zéro en passant par toubib…

Si en 1721, les Parisiens de Montesquieu se demandaient plaisamment : Comment peut-on être Persan ? aujourd’hui, nous nous demandons, avec Chahdortt Djavann : Comment peut-on être français ?
Sa réponse est évidemment : en parlant la langue française.
La langue n’est ni de droite ni de gauche, on ne la choisit pas, elle appartient à notre patrimoine, comme le dit si bien notre président d’honneur, Jean Dutourd. C’est à nous de la faire vivre, de la faire aimer et de la partager tant avec ceux qui accueillent qu’avec ce que nous accueillons.

Alors pourquoi parler de job pour le travail ou baptiser Friendly une voiture électrique ? Amitié ou Fraternité ne seraient-il pas des noms aussi sympathiques et dont on n’a pas plus à rougir que de Liberté, Egalité ?

(1) Inspecteur d’académie honoraire, ancien chargé de mission pour la maîtrise de la langue.
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