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La culture : un nouveau défi pour la diplomatie française
Jacques Legendre
En matière de politique culturelle extérieure, le paradoxe français est saisissant.
Notre pays est à l’origine du concept de « diplomatie culturelle » depuis la création, en 1883, de l’Alliance française. Cette fondation est désormais la tête de pont d’un réseau de plus d’un millier d’alliances françaises, associations de droit local disséminées sur les cinq continents. À cela s’ajoutent 154 services de coopération et d’action culturelle au sein de nos missions diplomatiques et 144 instituts et centres culturels français placés sous l’autorité des ambassadeurs. La France dispose ainsi, encore aujourd’hui, d’un réseau culturel à l’étranger universel, le plus dense au monde. Ce réseau peut compter sur la compétence de personnels culturels passionnés. Il est alimenté par un « désir de France » qui ne faiblit pas et qui va même croissant au sein des puissances émergentes que sont la Chine, l’Inde et le Brésil. Le capital de sympathie dont la France jouit à l’extérieur de ses frontières s’appuie, en effet, sur un héritage culturel et intellectuel sans cesse renouvelé et dont les valeurs humanistes sont universellement reconnues.
Malgré ce potentiel extraordinaire de rayonnement, nous apparaissons aujourd’hui dépassés. Notre diplomatie culturelle est battue en brèche par l’activisme intense déployé par nos concurrents qui multiplient à l’étranger les British Councils (Royaume-Uni), les Goethe Instituts (Allemagne), les Instituts Cervantès (Espagne) ou encore les Instituts Confucius (Chine). Les États-Unis eux-mêmes ne sont pas en reste, après avoir érigé le concept de «
smart power » (diplomatie de l’intelligence) en priorité de leur politique extérieure. Notre politique culturelle à l’étranger donne le sentiment de décrocher, ce qui nous vaut les quolibets d’une partie de la presse étrangère, depuis la parution à l’automne 2007 d’un article du
Time Magazine prononçant l’acte de décès de la culture française
1.
À la source de ce paradoxe préoccupant, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, que j’ai l’honneur de présider, a identifié deux causes principales : un défaut persistant de stratégie et une dégradation sensible des moyens de notre présence culturelle à l’étranger.
Dans ses multiples rapports sur le sujet, notre commission a ainsi déploré l’illisibilité de notre politique culturelle extérieure, «
profondément handicapée par la multiplicité de ses opérateurs et par l’absence d’un pilotage stratégique clair ». Or, en l’absence de maître à bord et de projet mobilisateur, «
une politique publique n’est pas en mesure de défendre ses moyens auprès de Bercy ». Aussi, l’évolution du budget de notre coopération culturelle est-elle sans appel : notre réseau culturel à l’étranger a connu une réduction drastique de ses moyens budgétaires au cours de la période récente, évaluée à près de – 20 % sur les trois dernières années. Les crédits de fonctionnement des nos instituts et centres culturels à l’étranger sont ainsi passés de 52 millions d’euros en 2006 à 36 millions d’euros en 2009 et les crédits de subventions et d’intervention de 104 à 89 millions d’euros dans la même période
2. Dans ces conditions, notre commission a régulièrement interpelé le Gouvernement sur le fait que «
notre réseau culturel, en profonde restructuration, navigue à vue et se trouve en proie à une démobilisation préoccupante ».
La ligne directrice de notre message culturel à l’étranger est pourtant claire. Notre pays a fait de la diversité culturelle et linguistique le fer de lance de sa diplomatie d’influence. Dans le cadre d’une mondialisation dominée par les industries culturelles anglo-saxonnes, la France et ses partenaires francophones ont milité sans relâche, sur la scène internationale, en faveur du dialogue interculturel et de la reconnaissance des spécificités de la création artistique vis-à-vis de la logique du marché. L’adoption, le 22 octobre 2005, de la convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles est l’aboutissement de ces combats menés avec détermination par l’ensemble de la communauté francophone. Ce message est aujourd’hui admirablement porté par des écrivains mondialement reconnus tels que l’Afghan Atiq Rahimi, le Guinéen Tierno Monénembo et le franco-mauricien Jean-Marie Gustave Le Clézio, respectivement couronnés en 2008 par les prix Goncourt, Renaudot et Nobel de littérature. On aurait tort d’oublier que ces artistes, dont l’œuvre est pétrie d’interculturalité, ont précisément assis leur notoriété sur le réseau culturel français à l’étranger.
Afin de continuer à défendre avec vigueur ce message à l’étranger, la France doit s’appuyer sur une stratégie cohérente et des moyens renforcés qui devraient lui permettre d’investir les nouveaux champs de la diffusion culturelle, en mobilisant les nouvelles technologies de l’information et de la communication.
C’est précisément dans ce sens que les commissions de la culture et des affaires étrangères du Sénat ont modifié substantiellement le projet de loi relatif à l’action extérieure de l’État, adopté en première lecture par notre Haute assemblée le 22 février 2010.
Ce texte procède à la création d’une nouvelle catégorie d’établissements publics, appelés «
établissements publics contribuant à l’action extérieure de la France ». Au sein de cette nouvelle catégorie, le projet de loi institue deux nouvelles agences placées au cœur de notre diplomatie d’influence : une agence pour l’action culturelle extérieure par transformation de l’association CulturesFrance en établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), et une agence pour l’expertise et la mobilité internationales par fusion de l’association EGIDE et des groupements d’intérêt public CampusFrance et France Coopération Internationale au sein d’un seul et même EPIC.
Soucieux de faire porter à notre réseau culturel un projet collectif et mobilisateur, le Sénat a souhaité que notre stratégie en matière d’influence culturelle et intellectuelle à l’étranger soit clairement identifiable dans ce projet de loi. Ces éléments de stratégie sont les suivants :
- les périmètres d’intervention de ces deux opérateurs ont été précisés et centrés sur leurs cœurs de métier respectifs. Chargée, à terme, de coordonner l’ensemble des moyens de notre présence culturelle à l’étranger, l’agence pour l’action culturelle extérieure se voit ainsi reconnaître des responsabilités éminentes en matière de diffusion de la langue française à l’étranger et de formation des personnels de notre réseau culturel. L’agence pour l’expertise et la mobilité internationales, pour sa part, se voit confier pour mission principale de renforcer la continuité de la chaîne de la mobilité universitaire, scientifique et technique ;
- ces deux agences seront soumises à un pilotage stratégique renforcé et cohérent qui s’appuiera sur une tutelle unique confiée au Quai d’Orsay et contrebalancée par l’association étroite des autres ministères techniques à l’élaboration de leurs orientations stratégiques, en l’espèce le ministère de la culture dans le cas de l’agence culturelle et le ministère de l’enseignement supérieur dans le cas de l’agence de mobilité. La conclusion impérative d’un contrat d’objectifs et de moyens avec l’État signifiera une responsabilisation accrue de ces opérateurs vis-à-vis de leur tutelle ;
- enfin, les liens entre ces agences et le réseau culturel sont clairement établis, dans le respect de l’autorité de l’ambassadeur. En particulier, l’agence culturelle devrait se voir transférer à terme, au plus tard dans trois ans, la gestion de l’ensemble de notre réseau d’instituts et centres culturels à l’étranger, des expérimentations devant être menées en ce sens au cours d’une période transitoire. Dans ces conditions, nos établissements culturels à l’étranger ont vocation à porter le même nom que l’agence culturelle à Paris : « Institut français », dans une démarche de labellisation de notre présence culturelle à l’étranger.
La création de ces deux agences constitue une première étape décisive que le Sénat appelait de ses vœux dès 2004. Elle devra s’accompagner d’un renforcement des moyens mis à leur disposition afin de leur permettre d’assumer efficacement les missions nouvelles qui leur auront été attribuées par le législateur. Les enjeux sont particulièrement lourds pour notre pays en termes d’influence et d’attractivité, il faut en avoir conscience.
Le contexte actuel de crise a eu tendance à reléguer le rayonnement culturel et linguistique au rang de préoccupation secondaire. Or, nous devons garder à l’esprit que l’effet de levier de l’image de la France à l’étranger est considérable pour le dynamisme de notre économie, en particulier de son secteur touristique. Le moteur du tourisme en France c’est la volonté de millions d’étrangers de venir à la rencontre d’une histoire, d’un savoir-vivre, d’une gastronomie, d’un patrimoine, d’une langue, bref d’une culture dont l’image est admirablement valorisée à l’étranger par les personnels de notre réseau culturel.
L’agence culturelle et les instituts qui lui seront rattachés devront donc se voir attribuer des moyens supplémentaires substantiels pour entretenir l’image de notre pays à l’étranger, à moins d’hypothéquer gravement notre capacité d’influence et d’attractivité.
Quant à l’agence pour l’expertise et la mobilité internationale, le défi est également immense. Il s’agit de garantir la participation de la France à la conduite du débat d’idées à l’international. Il s’agit de garantir la présence de nos esprits les plus brillants auprès des instituts indépendants de recherche (les «
lobbys ») dont l’influence est désormais non négligeable sur les décideurs internationaux. Il s’agit de garantir la captation et la formation des élites étrangères par notre système de formation universitaire et professionnelle. Il s’agit, enfin, de garantir la présence de nos experts nationaux, issus des secteurs public et privé, sur le marché international très compétitif de l’assistance technique.
L’adoption du projet de loi relatif à l’action extérieure de l’État par le Parlement, espérons-le très prochainement, devrait ainsi démontrer que la France reste déterminée à répondre présente à l’ensemble de ces rendez-vous capitaux. Il est temps pour notre pays de ne plus subir le mouvement actuel. Il lui faut s’imposer comme une force d’impulsion et une puissance novatrice dans la mondialisation. Comme aimait à le rappeler Charles de Gaulle : «
la France n’est réellement elle-même qu’au premier rang ».
1 « The death of French culture », article du 21 novembre 2007 de M. Don Morrisson.
2 M. Combles de Nayves (de), Dominique, Suivi juridique et technique de la mise en œuvre du projet de création d’une agence pour l’action culturelle extérieure, rapport remis au ministre des affaires étrangères et européennes le 2 octobre 2009.
Signataire :
Jacques LEGENDRE, président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, secrétaire général de l’Assemblée parlementaire de la francophonie