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Réponse à l’article de Frédéric Martel « Français, pour exister, parlez English ! »
- 8 juillet 2010 - Le Point
Non, résolument non à l’impérialisme de l’anglo-américain, cool ou hard. Non à un quelconque impérialisme linguistique.
Dans votre livre Mainstream, vous avez très bien décrit le pouvoir d’influence par la culture et donc par la langue – soft power – véritable stratégie de conquête mise en place par les États-Unis pour dominer le monde, mais vous déniez à la France le droit de structurer son propre pouvoir d’influence en qualifiant la langue française de « bastion nationaliste » qu’il faudrait faire tomber. 200 millions de francophones dans le monde, ce n’est pourtant pas rien.
Le français a pour lui d’être une grande langue de culture grâce aux innombrables strates déposées au cours des siècles par des écrivains, savants, philosophes, mathématiciens etc. créateurs de mots, de concepts, d’idées. Le rôle de l’éducation consiste à transmettre ce savoir, et ce savoir c’est notre patrimoine, notre richesse, certainement plus fiable que le CAC 40. De plus, chaque langue structure la pensée différemment : le français est une langue de phrases, l’anglais est une langue de mots. C’est la diversité des langues qu’il faut sauvegarder pour ne pas sombrer dans la pensée unique. Le danger c’est de croire et de faire croire qu’une langue simplifiée, utilitaire – c’est le cas de l’anglais international, le globish, le cool – peut remplacer une langue de culture.
Il est vrai que tout passe par l’éducation mais d’abord pas une revalorisation de la langue naturelle : c.-à-d. en France, le français. On sait qu’une bonne maîtrise de la langue naturelle favorise l’apprentissage d’autres langues et aussi qu’aujourd’hui il faut connaître non pas une mais plusieurs langues étrangères pour réussir dans le monde globalisé. Grand chantier à promouvoir.
Vous avez choisi de tirer en rafales – président de la République, ministres, institutions, tout y passe – pour faire « cesser l’hypocrisie » de cette France « crispée, rétrécie » qui refuse d’accepter la « normalisation » effective du monde par la culture américaine, la langue du cool. Et si l’hypocrisie se trouvait du côté d’une certaine élite française qui parle anglo-américain – moins cool populaire évidement –, vit entre deux avions et plusieurs pays, répand l’idée que l’avenir de la francophonie est l’anglais et croit ainsi servir son pays ? Les Québécois doivent frémir, eux qui ont l’ogre à leur porte.
Vous en avez marre « de cette France scrogneugneuse et rance, de cette France riquiqui, confetti hexagonal » ? D’autres en ont tout aussi marre de certains membres du microcosme parisien qui, dans les instances internationales, n’ouvrent la bouche qu’en anglais même lorsqu’ils représentent la France, au grand dam des interprètes obligés de retraduire en français leurs discours, exprimés dans une langue forcément limitée. Le président de la République a raison de les traiter de snobs.
Et que direz-vous aux écrivains étrangers qui ont choisi la langue française, tels le Russe Andreï Makine, l’Américain Jonathan Littell, la Canadienne Nancy Huston, le Marocain Tahar Ben Jelloul, le Chinois François Cheng, le Libanais Amin Maalouf et tant d’autres ? Qu’ils ne comptent pas dans votre « rating mainstream », parce qu’ils n’ont pas vendu des dizaines de millions d’exemplaires comme Dan Brown, non pas grâce à son seul talent mais à une publicité planétaire bien décrite dans votre livre ?
Vous avez choisi de faire l’apologie du droit de parler un sabir franglais, la langue cool, sans complexes. Permettez à l’angliciste et américanophile que je suis de penser que l’on peut bien parler les deux langues et pourquoi pas d’autres encore, sans en faire un salmigondis qui conduit à un appauvrissement de sa propre langue. Vous dites qu’en France l’anglais joue un rôle libérateur pour certaines minorités. Il n’est pas sûr qu’il soit perçu de la même façon outre Atlantique par les descendants de Sitting Bull ou de Geronimo, eux qui ont vu leurs langues disparaitre en moins d’un siècle grâce à la langue « libératrice ».
J’ai apprécié votre enquête sur l’industrie culturelle mondiale. Dire que votre article du Point me déçoit est un euphémisme.
Claire Goyer - coprésidente de DLF Bruxelles-Europe, diversité linguistique et langue française.
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