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Les mots en famille
Prendre son pied !
Devenu
bipède, l’homme a pris conscience très tôt de son ascendant
sur les
quadrupèdes. Il a voulu alors continuer à s’élever en montant
sur un
piédestal. Il a même aspiré à se retrouver sur un podium, parfois
olympique.
Ainsi, rien de surprenant que de nombreuses expressions
idiomatiques prennent
appui sur le
pied, le verbe français
s’appuyer, en
passant par l’espagnol
apoyar, dérive de
podium avec l’idée d’ « être
sur un socle ».
La racine indo-européenne
*ped- ou
*pod- est apparue non seulement
en grec avec
pous, podos ou en latin avec
pes, pedis mais aussi en
allemand avec
Fuss ou en anglais avec
foot. Si le pied a su garder sa
« mesure » en anglais, il a aussi su s’imposer avec le
football et le
footing, pseudo-anglicisme.
Rappelons, pour comprendre la mutation de
pes en
Fuss ou en
foot,
que le phonème
p en langue romane devient
f dans les langues
germaniques à l’instar du latin
pater, « le père », qui devient
father en
anglais et
Vater en allemand.
Les
pieds ! Tout un poème, penseront les poètes !
Grâce à nos
pieds et à condition de ne pas nous lever du
pied gauche,
nous pouvons, dès le matin,
être sur pied et avoir
bon pied, bon oeil
pour faire une randonnée
pédestre.
Cette marche matinale, d’un
pied ferme, nous ouvrira l’appétit pour
déguster quelques
gastéropodes, si nous avons l’estomac dans les
talons.
Après le déjeuner, rien de tel que d’avoir les pieds tanqués pour faire
une
pétanque, mot venant de l’occitan
pé, « pied », et
tanca, « pieu », qui marque l’idée de jouer avec les pieds ancrés sur le sol sans
prendre d’élan.
Notre première condition humaine est donc celle de
piéton ! Pour
éviter cependant de
piétiner et d’avoir le
piètre statut de
va-nu-pieds ou
de
pion (doublet sémantique de
piéton), nous avons su mettre le
pied à
l’étrier et accéder au statut de cavalier, voire de chevalier ! Statut aux
antipodes de la
piétaille.
Mais en remettant
pied à terre pour
reprendre pied, nous pouvons
risquer une
mise à pied, sauf à louvoyer en ayant le
pied marin pour ne
pas
perdre pied. Aussi faut-il
savoir sur quel pied danser pour
trouver
chaussure à son pied, expression datant du XVII
e siècle.
Il nous arrive malgré tout de nous prendre les
pieds dans le tapis et
d’être
piégés, voire «
empêchés », du bas latin
impedicare. Ces verbes
marquent l’idée d’avoir les pieds entravés.
Ce n’est donc qu’en levant les entraves que l’on peut, à l’opposé de
impedicare, utiliser
expeditare pour agir rapidement en
libérant nos
pieds. Nous pouvons alors être
expéditifs et nous
dépêcher. Il suffit alors
d’expédier les affaires courantes. Des
pionniers pourront même
organiser une
expédition au pied levé.
En cherchant la vitesse avec le
vélocipède, l’apocope
vélo nous a privés
de la terminaison, mais la
pédale reste pourtant bien présente dans ce
moyen de locomotion. La voiture ne nous dispense pas pour autant
du
péage qui est étymologiquement
le droit de mettre le pied lors d’un
passage à condition de payer, ce qui vaut à ce mot le barbarisme
« payage ».
Sans prendre toutes ces expressions
au pied de la lettre, car elles ne
sont pas toutes
sur le même pied ni
sur un pied d’égalité, on a pu
constater que la liste était longue.
Ainsi peut-on même ajouter le
pied-de-biche, utilisé par certains
voleurs
à pied d’oeuvre pour leur larcin. Qu’ils prennent garde
toutefois que la police ne relève leur
pedigree.
Ce curieux mot anglais vient de l’expression française
j,. En
effet, l’habitude était prise en Angleterre de faire trois traits, à la fin des actes de succession ou de généalogie, traits ressemblant à la forme
d’un
pied de grue.
Mais terminons par un amusant
contre-pied ! Un
pied de nez !
Il nous est fourni par un juron du capitaine Haddock qui s’en prend,
dans
Tintin et les Picaros, à un sombre «
oryctérope » qui aurait
remplacé, selon lui, son whisky par un extrait
d’eau de Javel ! Ainsi apparaît un animal
termitivore d’Afrique du Sud, baptisé
par Étienne Geoffroy Saint-Hilaire
en 1796 à partir du grec
oruktêr,
« celui qui creuse », et
pous, « le
pied ».
En effet, grâce à ses
pieds
fouisseurs, cet animal nyctalope
creuse les termitières, ce qui lui
permet, avec sa langue gluante, de
se délecter d’insectes xylophages !
L’
oryctérope ne saurait donc être chassé à
coups de pied et
répudié.
L’art de la conclusion reste bien sûr celui de
savoir retomber sur ses
pieds à la fin de l’histoire. Toute cette recherche m’a donné soif, je
prendrais bien volontiers maintenant un verre...à
pied !
Philippe Le Pape
Délégation de Touraine
Épreuve « anxiogène »
L’épreuve de français est supprimée d’un concours d’accès
aux écoles d’ingénieurs
Le concours
Puissance Alpha, qui donne accès à 19 écoles
d’ingénieurs post-baccalauréat, a décidé de supprimer l’épreuve
écrite de français en 2025. Désormais, les épreuves permettant
d’évaluer les compétences jugées essentielles à la formation se
limiteront aux mathématiques, aux sciences appliquées et à l’anglais.
Jusqu’à présent, le concours comportait une épreuve de français de
45 minutes sous forme de QCM évaluant la grammaire, la
compréhension écrite et l’orthographe des candidats. La présidente
du concours a donné plusieurs raisons bizarres et contradictoires
pour justifier cette décision étrange : «
Il ne s’agissait pas d’un
indicateur fiable. Certains candidats ne la préparaient pas, elle ne faisait
pas de différence significative entre les candidats (car souvent rattachée
à un coefficient 1) et elle pouvait aussi être anxiogène, voire engendrer un
biais social discriminant. »
La présidente semble considérer que la maîtrise de la langue
française est l’apanage d’une catégorie sociale privilégiée. Dans ce
cas, pourquoi la connaissance de l’anglais ne serait-elle pas également
«
socialement discriminante » ? Quant au caractère «
anxiogène », il
paraît douteux pour une épreuve dont le coefficient est tellement
faible que «
certains candidats ne la préparaient pas ».
Au-delà de ces justifications laborieuses et incohérentes, cette
décision illustre une dérive : l’anglais serait considéré comme un
prérequis indispensable, au détriment du français. Cette évolution ne
fait pas l’unanimité. D’autres avis défendent l’importance des
compétences linguistiques et rédactionnelles pour de futurs ingénieurs : ceux-ci devront rédiger et communiquer dans un
contexte professionnel, social et administratif qui ne sera pas
exclusivement anglo-saxon.
Comme l’écrit le journaliste scientifique
Steven Soarez : «
Supprimer
l’épreuve de français [...]
c’est considérer que la maîtrise de notre
langue n’est pas primordiale, même pour des scientifiques. C’est une
erreur. La formation des ingénieurs de demain devra intégrer, au-delà
des compétences scientifiques de haut niveau, une solide culture
générale incluant la maîtrise de la langue. »
Pierre Gusdorf