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Droits de l’homme


Des droits de l’homme aux droits humains


Depuis quelques années on entend çà et là fleurir l’expression droits humains en lieu et place de droits de l’homme. Ce glissement sémantique n’est nullement anodin.
La Déclaration universelle des droits de l’homme a été adoptée le 10 décembre 1948 par l’assemblée générale des Nations unies réunie à Paris. Elle proclame l’égale dignité de tous les êtres humains. Les trente articles qui composent le texte sont rédigés en français. Il s’agit du document original officiel, signé par les membres fondateurs des Nations unies, et non d’une traduction. Les rédacteurs se sont fortement inspirés de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

À l’occasion du cinquantième anniversaire de la Déclaration, Amnesty International a lancé une campagne tendant à imposer un changement de dénomination pour ne retenir qu’une des formules droits humains, droits de la personne ou droits de la personne humaine. Aveuglée par l’idéologie, l’ONG voit en effet dans la révolution de 1789 et dans l’expression droits de l’homme une manifestation d’antiféminisme aigu (?). Cette vision surréaliste a été relayée par divers groupes de pression bien-pensants.

L’expression droits de la personne, parfois employée au Canada, est incorrecte car elle pourrait s’appliquer également aux personnes morales et juridiques. La formule droits de la personne humaine, outre son caractère lourdement redondant, suggère qu’il puisse exister également des personnes divines et fait renaître la vieille référence aux droits de Dieu ou à ceux que l’humanité tiendrait de lui. Ces valeurs sont à l’opposé de l’humanisme laïc né de la philosophie des Lumières, qui a joué un rôle majeur dans la formulation des principes fondamentaux de la Déclaration des droits de l’homme. Qu’en est-il de la formule droits humains ? Sous couvert de défense des droits des femmes, ses promoteurs ne voient dans les droits de l’homme qu’une vision masculine, paternaliste et sexiste. Non seulement il s’agit d’une interprétation erronée – nous y reviendrons – mais c’est une erreur linguistique consternante. Droits humains est évidemment le calque servile des human rights de la traduction anglaise. Cependant l’homme de la formule a une origine latine : homo, qui renvoie à l’« être humain » ; c’est le mot latin vir qui définit « homme » distingué de femme. Or nul n’a jamais proposé de confondre les droits de l’homme avec de supposés et contestables droits virils.

Le Haut Conseil à l’égalité – ardent défenseur de l’écriture prétendument « inclusive » – a demandé en 2015 que les droits de l’homme soient remplacés par les droits humains au motif que la Déclaration de 1789 « est porteuse d’une histoire de discrimination sexiste ». Cet organisme semble donc considérer que le monde est figé depuis plus de deux siècles. Or les droits de l’homme d’aujourd’hui ne sont ni ceux de 1789, ni ceux de 1948. Quel que soit son sens littéral, l’expression droits de l’homme renvoie aujourd’hui à une universalité des droits, qu’ils soient civils, politiques, sociaux, culturels et économiques.

La Ligue des droits de l’homme a heureusement réfuté la formule droits humains : « Elle n’est pas satisfaisante pour des francophones : remplacerait-on droits des femmes par droits féminins ? Les droits pourraient-ils être humains ou inhumains [...]. En français, substituer l’adjectif au complément de nom, c’est effacer la référence au sujet. Et c’est bien celui-ci qui détient des droits et non les droits qui le qualifient. »

Les nécessaires progrès de la cause des femmes ne dépendent pas d’une terminologie. Réaliser concrètement l’égalité entre les femmes et les hommes implique un effort sans commune mesure avec celui que requiert un changement de mots.
Pierre Gusdorf

Du savetier au cordonnier

Grâce à la fable, nous savons que le savetier – venant lui-même de savate – était notre cordonnier, lequel a donc fini par le remplacer, mais en changeant de sens.
À l’époque de La Fontaine existait un troisième terme, corvoisier. Savetier était sans ambiguïté, mais que faisait le cordonnier ?
On connaît l’anecdote latine du cordonnier qui, sollicité par un peintre, lui avait signalé une erreur dans la représentation d’une sandale, mais prétendait en plus lui donner des conseils sur sa peinture. Il reçut alors cette réplique, devenue un proverbe : « Ne sutor supra crepidam », « Cordonnier, pas au-dessus de la sandale ! » On ne reconnaît pas cordonnier dans sutor : tiré directement de ce terme, « sueur » a existé en ancien français, mais fut concurrencé, puis supplanté par corveisier ou corvoisier, et cordonnier (vers 1255), qui évoque, non pas un cordon, mais le cuir de Cordoue.
Désignant d’abord exclusivement les fabricants, corvoisier fut usurpé par les savetiers et cordonnier fut le nouveau nom des premiers.

Les cordonniers formèrent une corporation dès le XIIIe siècle, organisée en trois classes – qui excluait les savetiers.
Certes, ceux-ci étaient moins bien considérés : non seulement ils étaient définis comme des « ouvriers » et non des artisans, mais on pouvait lire cette définition dans la 8e édition du Dictionnaire de l’Académie française : « C’est un savetier, ce n’est qu’un savetier se dit d’un Mauvais ouvrier en quelque métier que ce soit. »
Malgré tout, eux s’appelaient « maîtres savetiers ».
C’est à sa refonte de 1959 que le Petit Larousse illustré a enregistré son sens moderne, mais une étape intermédiaire est marquée en 1926 par l’expression « cordonnier de réparation ».
Les mots sueur – dès la fin du XVe – et corvoisier ont disparu de ce dictionnaire ; savetier y est encore en 1961, mais est « vx » dans les suivants.
Tous ces termes survivent dans des noms de famille : Savetier est rare, mais on trouve bien Sabatier, Sueur et Lesueur, Courvoisier et ses variantes.

Seul subsiste « cordonnier », avec un autre exemple de sa fonction originelle dans le proverbe « Les cordonniers sont les plus mal chaussés ».
Jacques Groleau
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