Défense de la langue française   
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De l’intégration à l’assimilation
Il est indispensable de distinguer emprunt lexical et substitution de langue. La confusion conceptuelle favorise la vague d’anglicisation dont le français est actuellement victime.

Qu’un mot soit d’origine étrangère n’a rien d’extraordinaire, c’est un processus naturel. « Emprunt » est malheureusement inapproprié, le mot n’a pas vocation à être rendu, il s’agit plutôt d’une importation. Ce n’est pas la même chose que de remplacer le français par l’anglais, comme cela se fait dans les institutions européennes, dans l’enseignement d’écoles de plus en plus nombreuses, dans les titres d’oeuvres, films, émissions de télévision, dans les entreprises qui imposent le globish à leur personnel francophone, ou de l’invisibiliser comme aux Jeux de Paris 2024 où toute la communication écrite, du défilé inaugural à la retransmission télévisée, a été imposée exclusivement en anglais, malgré le statut du français de langue officielle des Jeux olympiques.
Les mots voyagent certes, mais il ne s’agit pas de valider le galimatias de la publicité, y compris des établissements officiels (« Ma french Bank », « Choose France »...). À défaut d’avoir créé un néologisme dans les structures régulières du français, l’emprunt n’est légitime que s’il répond à un besoin sémantique nouveau.
Un mot anglais d’origine française est un mot anglais, avec une forme orale, écrite et un sens, une histoire et des connotations différentes. Il n’y a pas de réciprocité. La langue anglaise s’est constituée par adjonction aux parlers anglo-saxons de vocabulaire roman. Qu’un mot anglais vienne du français ne justifie pas plus qu’il remplace un mot français que d’utiliser dans un texte latin un mot français sous prétexte qu’il est d’origine latine.
Quand un mot est couramment employé en français il est intégré à la langue. Cette intégration s’accompagne d’une adaptation orale par une prononciation « à la française », ce qui se fait naturellement. Pour l’écrit, il faut passer par l’autorisation de la norme orthographique.
Traditionnellement, si nécessaire, le mot était naturellement transcrit dans le système régulier. La régularisation permettait l’assimilation. Devenu un mot français, il faisait oublier son origine étrangère. Qui s’offusque de mots comme jupe, tulipe, choucroute, redingote, paquebot, citadelle, caporal, adjudant, fioul, tomate, catamaran, bol, bouledogue, canette, record, abricot, touriste, artichaut, pédigrée, orange, goudron, satin, épinard, accordéon, cartel, humour, rail, slogan, sport... ?
La langue, comme tout organisme vivant, se nourrit d’apports extérieurs qui doivent être digérés pour être assimilés, sinon, ils restent des corps étrangers, qui, s’ils ne sont rejetés, sont enkystés. La multiplication des kystes est pernicieuse.

Chaque langue a son génie propre. L’anglais est une langue « patchwork » qui adopte les mots sans les adapter à l’écrit, d’où son orthographe improbable composée de microsystèmes juxtaposés. Ce n’est pas le cas du français. À refuser de régulariser en les francisant des mots d’origine anglaise, on finit par intégrer des graphies étrangères (oo ou u pour ou, ee pour i, absence des accents indispensables...).
Le fétichisme d’une orthographe figée en vient à protéger des xénismes, une altération du système beaucoup plus grave que l’assimilation de vocabulaire.

Pour ne prendre qu’un exemple :
Leader se rencontre en français depuis le début du XIXe siècle. Il est devenu courant depuis longtemps. Rien ne sert d’être velléitaire, il reste indétrônable malgré les recommandations. Il est totalement intégré, entré dans les dictionnaires, y compris celui de l’Académie.
Curieusement, celui-ci le donne comme « mot anglais » et doit préciser « ea se prononce i, r se fait entendre ». Il faudrait savoir. Si c’est un mot anglais, que fait-il dans le dictionnaire de l’Académie ? Si c’est un mot français, pourquoi ne pas l’avoir assimilé en francisant sa graphie ?

Pourquoi le français ne se comporterait-il pas comme une langue romane ? En espagnol, en catalan, en portugais, on écrit « líder », en italien et en roumain « lider ». Castro était le « líder maximo ». Ainsi régularisé, il n’y a pas de problème à dériver le verbe « liderar » (esp. port.) et « liderazga » et même « liderismo » en espagnol ou « liderança » en portugais, quand le français ne sait que dire « leadership » (depuis 1864 !), tellement hétérogène que l’Académie n’a pas pu, ou osé, l’admettre, en contradiction avec son principe « enregistrer l’usage ».

Il est dommage que l’Académie introduise ainsi des graphies étrangères au système français pour un mot devenu français.
« L’usage » ? Mais c’est elle qui génère l’usage, puisque de fait elle donne la norme. Qu’est-il préférable de préserver, « l’usage » d’un xénisme, ou la régularité du système graphématique du français ?

Un dictionnaire de la langue française devrait donner : « LIDEUR : n. m., XIXe siècle, de l’anglais leader... »
Ce qui ouvre la voie à un féminin, un verbe, des dérivés réguliers... comme pour tag, taguer, tagueur.

Par confusion conceptuelle de la langue et de l’orthographe, celui qui veut défendre la langue en refusant toute modification de l’orthographe, qu’il croit intangible, empêche le mot d’origine étrangère de quitter ses oripeaux graphiques qui le stigmatisent, et ne fait que favoriser l’altération et l’aliénation de la langue. Purisme paradoxal.
Il ne faut pas se voiler la face. Après l’intégration, seule la régularisation permet l’assimilation.
Ange Bizet
Délégation de l’Yonne (ADELFY)

Des oiseaux dans le vent
Dans la littérature, les grands voiliers qui, toutes voiles dessus, étrampaient les océans de leurs étraves aiguës, ont été souvent comparés à des oiseaux. L’un de ces voiliers a d’ailleurs donné son nom à l’un d’entre eux, au palmipède qu’on estimait lui ressembler en raison de ses ailes longues et fines et de son vol très rapide ; il s’agit de la frégate, mot d’origine inconnue.
Une frégate, entre toutes, est restée célèbre. Elle transporta La Fayette outre-Atlantique. Il volait au secours des Américains combattant pour leur indépendance. Ce beau navire fut baptisé Hermione, du nom de la fille d’Hélène et de Ménélas que celui-ci, bien qu’elle fût déjà fiancée à Oreste depuis longtemps, promit à Néoptolème pour le persuader d’apporter son aide dans la guerre de Troie comme La Fayette apporta plus tard la sienne aux « insurgents » américains. On a reconstruit à l’identique à Rochefort ce fleuron historique de la Royale du XVIIIe siècle.
La frégate Hermione, bâtiment de taille assez modeste, une quarantaine de mètres de long, ne fait pas partie des plus grands navires de l’époque. Il n’a qu’un seul pont de batterie avec soixante canons. C’est cependant un magnifique trois-mâts sur lesquels comme des ailes s’ouvriront les voiles. Mais pourquoi quelques-unes d’entre elles portent-elles le nom d’un psittacidé, du latin psittacus, « perroquet » ? Tous les lecteurs de romans maritimes ont en effet entendu parler de ces voiles nommées perroquet, cacatois ou autre perruche qu’on déploie, qu’on serre ou qu’on ferle.
Diminutif de Pierre, Perrot (cf. parrot et parrocco, « perroquet » en anglais et en italien) fut d’abord, comme Jacquot de nos jours, un nom propre donné à l’oiseau de carton ou de bois fiché au bout d’une perche pour servir de cible aux archers ; l’ensemble était appelé papegai ou papegaut, (cf. Papagei, papagayo et papagaio, « perroquet » en allemand, espagnol et portugais). L’image du perroquet, oiseau exotique par excellence, est associée à la marine à voile : on le voit pérorant du haut de l’épaule d’un pirate ou bien, campé sur son perchoir, saluant du fond de quelque bouge portuaire l’entrée du matelot. Comment, dans l’esprit de celuici, le perchoir, formé d’une tige verticale traversée en croix de deux ou trois bâtons horizontaux, n’aurait-il pas évoqué un mât avec ses vergues ?
Un peu d’imagination a transformé ainsi certaines voiles en petit et grand perroquet, perroquet de fougue. Par imitation, la voile au-dessus de celuici fut nommée perruche, de l’espagnol Perico, diminutif de Pero comme Perrot l’est de Pierre ; les voiles situées au-dessus des perroquets reçurent le nom de petit et grand cacatois, autre forme de cacatoès, perroquet à huppe, mot issu du malais et parvenu dans notre langue par le portugais.
Bernard Moreau-Lastère
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