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Les mots en famille
Un demi ou une pinte?
Savoir choisir la bonne mesure
La bière est une boisson appréciée par nos concitoyens. Mais quelle
quantité boire,
un demi ou
une pinte ?
La langue française est pourtant claire, non comme de l’eau de
roche, mais plutôt en l’espèce comme une belle blonde, une belle
brune ou une belle rousse, voire ambrée ! Si l’on se réfère au litre,
commander un demi de bière devrait, de prime abord, permettre de
boire cinquante centilitres, soit un
demi-litre.

Or, que nous apportent les garçons
de café ? Un verre de bière de
vingt-cinq centilitres, soit seulement
un
quart de litre ! Le compte n’y est pas.
Quelle frustration !
Pour pouvoir boire un demi-litre, il faut alors choisir la langue
anglaise et demander non pas un demi, mais une
pinte !
Dans les « pubs » anglais,
une pinte de bière correspond à 0,568 litre.
Cette unité de mesure a été instaurée par le gouvernement anglais en
1698, date à laquelle a été créé le « système d’unité impérial ».
La
pinte anglaise est donc légèrement supérieure à la
pinte française
qui représente juste un demi-litre.
La pinte tire son nom du mot latin
pincta, qui voulait dire « mesure
peinte ». En effet, au Moyen Âge, les récipients de mesure étaient
marqués avec des lignes ou des repères peints pour indiquer la
quantité exacte de liquide contenue.
Ajoutons que la
pinte de bière accompagne parfaitement toutes
sortes de mets, y compris la
pintade. Association étymologique justifiée, car le mot
pintada emprunté au portugais signifie « oiseau
peint » en raison de son plumage pointillé de blanc.
Mais revenons à notre
demi de bière, comment a-t-il été réduit à un
quart de litre ? Certains l’expliquent par le fait que l’expression
«
un demi » ne ferait pas référence au litre, mais à la traduction de
l’anglais
half pint, « une demi-pinte », ce qui fait bien ici
un quart de
litre.
L’unité de mesure sous-entendue ne serait donc pas le litre, mais la
pinte ; ainsi en toute logique devrait-on dire « une demie » et non
« un demi ». D’autres linguistes, pour justifier le masculin, y voient
une référence au
demi-setier.
L’Académie française rappelle cependant dans la première édition de
son dictionnaire : «
On appelle ordinairement demi-setier une petite
mesure de liqueurs, qui contient le quart d’une pinte. Un demi-setier de
vin. » Le compte n’y est donc pas, car un quart de pinte ne
correspond pas à la demi-pinte.
Il faudrait donc en déduire que les vingt-cinq centilitres apportés
pour un demi seraient bien une demi-pinte et que c’est la confusion
avec le litre qui aurait créé le masculin.
Quoi qu’il en soit, c’est l’occasion de boire avec modération, car
«
l’abus de la bière conduit à la bière ! » comme dit le proverbe. Ici le
deuxième mot
bière, au sens aussi funèbre que lugubre, est à la fois
homonyme homophone et homonyme homographe.
Cette facétie du langage est digne d’un «
galopin », autre unité de
mesure de bière, plus petite encore, et ne faisant que douze centilitres
et demi, soit
un demi d’une demi-pinte, c’est-à-dire le fameux
demi-setier, le quart de pinte ! Cela évite d’
être pinté. Vous avez suivi ?
Outre-Rhin, autre pays de la bière, la
pinte fait place à la
chope,
souvent associée aux grandes fêtes allemandes de la bière comme
l’ « Oktoberfest » à Munich. À cette occasion, les chopes ne
correspondent plus à une simple pinte mais à
des doubles pintes, soit
un litre de bière que nous appelons chez nous un «
formidable ».
Sensibles à la
chope, nous en avons même fait des
chopines, mot
désignant à l’origine une contenance d’une demi-pinte pour boire de
la bière.
Du
galopin à la
chope, en passant par le
demi ou la
pinte, vous avez
ainsi le choix entre toutes les contenances, n’est-ce pas «
formidable » ?
De quoi se faire mousser à souhait !
Philippe Le Pape
Délégation de Touraine
Antonomase ? Quésaco ?
Des noms propres devenus bien(s) communs
Eugène Poubelle (1831-1907) : Histoire d’un nom propre
Au XIX
e siècle, la France entre, avec Louis Pasteur, dans « l’ère de
l’hygiénisme ». Paris est alors insalubre. Eugène Poubelle est nommé
préfet de la Seine le 13 octobre 1883. Il s’illustre
aussitôt en prenant deux arrêtés, les 24 novembre
1883 et 7 mars 1884, obligeant les propriétaires
d’immeubles à mettre à disposition de leurs
locataires des récipients avec couvercles pour les
déchets.
Ainsi sont créées les fameuses boîtes « poubelle ».
Le tri est instauré, il y a une boîte pour les ordures
ménagères, une deuxième pour les papiers, cartons
et chiffons et une troisième pour le verre, la faïence
et les coquilles d’huîtres !
Les chiffonniers qui « faisaient » nos ordures se trouvent alors privés
de leur collecte. La presse se déchaîne. Le journal
L’Intransigeant du
23 janvier 1884 titre :
« 40 000 Affamés ». On peut lire : «
L’ordure qu’il
est urgent d’envoyer avant toutes les autres au dépotoir, c’est l’arrêté Poubelle.
On y joindrait même son auteur, que nous n’y verrions aucun inconvénient. »
La boîte à ordures deviendra la boîte « poubelle » et le mot fera son
entrée dans le dictionnaire Larousse en 1890. Eugène Poubelle deviendra
ambassadeur de France au Vatican de 1896 à 1898. Son mariage le
placera à la tête d’importants domaines viticoles dans l’Aude. Il deviendra
alors un ardent défenseur des vins du Midi jusqu’à la fin de sa vie.
Philippe Le Pape
Délégation de Touraine