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DLF, n° 285
LA POLITESSE. AU FIL DES MOTS ET DE L’HISTOIRE de Jean Pruvost Tallandier, 2022, 320 pages, 20,90 €
Dans son
Petit traité des grandes vertus, le philosophe André Comte-Sponville
présente la politesse comme «
une petite chose qui en prépare de grandes ». Ce genre
de définition sibylline ne pouvait que motiver un lexicographe très curieux.
C’est ainsi qu’après avoir déniché «
une graine étymologique latine » (voire indoeuropéenne
?), Jean Pruvost énonce cette stupéfiante affirmation :
« Tout part du
mouton et de sa laine bienfaisante. » Pourquoi ? Mais simplement parce que «
les
Romains, pour donner à la laine son apprêt, la battaient comme un tapis », d’où le verbe latin
polire.
Est-ce à dire que de paisibles animaux ont oeuvré à leur corps défendant à la lente édification de
notre humanité ? Bien sûr, affirme Furetière : «
On a du mal à polir les Barbares, à les ranger dans une
société honnête et civile. » Évidemment, renchérit Jean-Baptiste de La Salle, auteur des
Règles de la
bienséance et de la civilité chrétienne. Et les Italiens, créateurs de la jolie
politezza, propre à tout
raffinement des Arts et des Lettres, adoubent le concept avec ardeur. Dès lors, ce dernier traverse
une histoire dans laquelle il passe résolument du côté de la culture, principalement ancré dans les
usages de la vie en société : courtoisie, amabilité, en somme, tout comportement propre à éloigner
bestialité et violence. Mais en 1923, c’est le
Dictionnaire de la vie pratique qui jette un pavé dans une
mare jusqu’alors paisible : «
Il ne faut pas confondre la politesse avec la civilité, sorte de cérémonial purement
formel, alors que la politesse est une science de la vie. » Vie scientifique ? Quel bel oxymore ! Parti d’une
intention louable, souligner l’opposition entre attitude de façade et sincérité du coeur, l’auteur de
cet article a découvert un terrain miné où s’affronteront désormais philosophes et moralistes. Ainsi
de La Bruyère désignant d’emblée «
la coupable hypocrisie cachée sous une surface lisse » (encore les
moutons ?). Dorénavant le mot d’ordre est : se méfier !
Avec son habituelle exigence intellectuelle et un évident plaisir de pensée, Jean Pruvost explore
toutes les facettes de ce mot trop poli pour être honnête !
Monika Romani
RÉVEILLEZ-VOUS... BORDEL ! LA TRANQUILLE SOUMISSION DE LA FRANCE À L’ANGLAIS de Patrice Dallaire, préface d’Alain Juppé Vérone Éditions, 2022, 84 pages, 10,50 €
Ne vous inquiétez pas ! Seul le titre accuse une verdeur militaire de soldat qui attend
la quille. Tout l’ouvrage est écrit dans une langue correcte et même élégante qui
donne à ce texte inspiré par un coefficient d’indignation très élevé une tenue
irréprochable. Diplomate de carrière, Patrice Dallaire revient en France après deux ans
passés au Québec où il fut le conseiller spécial du Premier ministre de la Belle Province. Il constate
le déclin du français en France dans de multiples domaines. Il dénonce cette redoutable faiblesse
qu’il traque partout : le secteur monétaire et financier est gangrené par l’anglomanie, l’Université
n’échappe pas à la maladie, la grande industrie, les fabricants d’automobiles, la Poste, le tourisme
succombent à la pandémie. Il est possible d’allonger la liste. Écrit avant les élections, ce livre déplore
le peu d’intérêt porté par les candidats à notre langue. C’est un véritable appel à la résistance qu’il
nous lance. Nous avons le vocabulaire nécessaire pour échapper à ce mal dont tous semblent atteints.
Manquerait-on de fierté, de courage en France? Luttons contre la veulerie linguistique et l’hégémonie de l’anglo-américain. Habitée par une juste colère, ma grand-mère n’aurait pas utilisé « b...l », mais
«
troune’ de l’air », expression jamais écrite sans doute.
Jacques Dhaussy
LES ?OURQUOI DU FRANÇAIS. 100 QUESTIONS (LÉGITIMES) QUE VOUS VOUS POSEZ SUR LA LANGUE FRANÇAISE de Julien Soulié First Éditions, 2022, 254 pages, 16,95 €
Le français a ses mystères... en orthographe, en grammaire, dans ses conjugaisons,
son vocabulaire, sa phonétique et sa syntaxe. Vous posez-vous des questions ? L’oeil
imprime souvent et l’oreille enregistre, et certaines curiosités nous semblent si
naturelles que nous ne nous posons pas de question. Et pourtant, qui apprend le
français soigneusement bute souvent sur ces anomalies, et on peut conclure que
l’apprentissage de notre langue est semé d’embûches, de caprices et d’invraisemblances... En effet,
«
Pourquoi met-on un S
à corps, poids, temps
et pas à champ ?
Pourquoi écrit-on bonhomme,
mais
bonhomie, sonner
mais consonance ?
Pourquoi moelle
et poêle
se prononcent-ils de la même (bizarre)
façon ? Pourquoi écrit-on inclus,
mais conclu
et exclu ? » L’ancien professeur de lettres classiques qu’est
Julien Soulié a recours à l’étymologie, à la philologie, à la contamination pour expliquer ces
étrangetés. Si une véritable raison ne se présente pas, il suggère une explication. Ce recueil de
« Pourquoi ? » nous conduira-t-il parfois à cette réponse que l’on fait aux enfants : « Parce que c’est
comme cela! » Molière a réponse à tout et notre auteur le cite avant même de commencer sa préface :
«
Ah! La belle chose que de savoir quelque chose ! »
Jacques Dhaussy
MAIS QUE FAIT CETTE GRENOUILLE TÊTUE COMME UNE MULE DANS LE BÉNITIER ? LES ANIMAUX DANS LES EXPRESSIONS FRANÇAISES d’Yves Stalloni Christine Bonneton, « Au fil des mots », 2021, 192 pages, 16,90 €
Le considérable bestiaire qui enrichit notre langue évoque une vie rurale devenue
pour certains nostalgique. Mais les métaphores animalières sont souvent une manière
concise de décrire la psychologie humaine. La formule latine,
Homo homini lupus,
« L’homme est un loup pour l’homme », appartient à Plaute, auteur de théâtre du
III
e siècle avant notre ère. On la retrouve au XVII
e siècle dans le
Léviathan du philosophe anglais
Thomas Hobbes. L’Histoire n’a cessé de démontrer la véracité de cet aphorisme. Les comparaisons
ne sont pas toutes aussi féroces. L’animal, emblématique d’un caractère, nous est familier par nos
lectures enfantines et dans la littérature (
doux comme un agneau, jaloux comme un tigre, têtu comme
une mule, zélé comme une abeille, bavard comme une pie, etc.). «
Je me sers des animaux pour instruire les
hommes », déclare La Fontaine, mis en valeur plus qu’à l’ordinaire par la voix de Fabrice Luchini ;
à travers adages et allégories à caractère moral, nous découvrons que les préférences du fabuliste
vont à cette faune intelligente et raisonnable, loin des théories du philosophe du
cogito dont
« l’animal-machine » peuple l’élevage industriel ! Dans l’esprit d’une cohabitation heureuse avec
« nos amies les bêtes », Yves Stalloni a réuni environ 250 textes empruntés à nos chers auteurs, Colette,
Apollinaire, Francis Ponge, Jules Renard, Buffon, Molière, Balzac et tant d’autres. Il faut absolument
les enseigner à nos enfants, leur faire partager cet univers instructif et propice à la méditation, de
crainte qu’il ne rejoigne rapidement les antiquités gréco-latines.
Monika Romani
FRANCOPHONIE POUR L’AMOUR D’UNE LANGUE de JMG Le Clézio, Louise Mushikiwabo, et al. Nevicata, 2020, 74 pages, 9 €, liseuse 6,99 €
En 2020, 88 États ayant une appartenance linguistique commune au français ont célébré le
50
e anniversaire de leur réunion au sein de l’OIF. Un demi-siècle, c’est une courte durée en rapport avec le contexte historique. En effet, JMG Le Clézio rappelle que «
les langues ne sont
pas innocentes, dans le cadre d’un passé colonial aussi trouble et violent où les enfants furent
contraints d’être éduqués dans une langue et une culture qui n’étaient pas les leurs ». Dès
lors, comment adhérer aux idées généreuses que véhicule la Francophonie? Il convient
plutôt d’effectuer un saut vers le passé lointain, celui de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen; et, en même temps, faire «
le pari des jeunes », du monde des
affaires, des sciences et des nouvelles technologies. La concurrence avec l’anglais est-elle à prendre
au sérieux ? Non, répond Barbara Cassin, le
globish, en tant que parent pauvre, n’est pas plus
dangereux que le rap ou les tweets, beaucoup plus innovants. Alors, qui saura débusquer l’âme de
notre langue
« hors les murs de l’Hexagone »?
Monika Romani
Site internet à connaître et à faire connaître
CULTURE-TOPS (https://www.culture-tops.fr/)
Culture-Tops est une association qui gère un site internet consacré à l’actualité culturelle. Créée
en 2013 par le journaliste et écrivain Jacques Paugam, elle regroupe une soixantaine de chroniqueurs
bénévoles et présente chaque jour en ligne des comptes rendus et critiques couvrant l’ensemble
de l’activité culturelle : livres (romans, essais, bandes dessinées, livres audio), films, expositions,
pièces de théâtre, récitals, opéras, ballets, séries télévisées et spectacles divers.
Culture-Tops.fr se veut une voix originale, libre et sans complaisance. Elle est indépendante de tous
médias, producteurs ou éditeurs et de toute obédience politique ou religieuse. Les deux maîtres
mots de l’association sont « Vous aider à choisir plus vite » et « Un chat est un chat ».
Le site met en ligne chaque jour deux ou trois nouvelles chroniques émanant d'une équipe intergénérationnelle,
indépendante et passionnée. Depuis 2019, il est animé par un comité éditorial
composé de sept personnes, toutes spécialisées dans la communication et la culture.
Pierre Gusdorf
Signalons aussi :
- PETIT MANUEL À L’USAGE DE CEUX QUI DOUTENT, de Jean-Joseph Julaud (First Éditions, « L’antidoute », 2022, 240 p., 16,95 €)
- L’HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE, de Frédéric Duval, Jacques Dürrenmatt, Gilles Siouffi et Agnès
Steuckardt, préface de Jean Pruvost
(Hatier, « Bescherelle chronologie », 2022, 320 p., 19,90 €).
- BÉVUES, BOURDES, CONTRESENS ET CIE, INVENTAIRE IMPITOYABLE, MAIS HUMORISTIQUE, DES FAUTES RÉCURRENTES COMMISES
À L’ÉCRIT ET À L’ORAL,
de Jean-Pierre Colignon (CFPJ, 2022, 160 p., 22,50 €).
- ÉCRIRE SANS FAUTE(S). DICTIONNAIRE MODERNE ET PRATIQUE DES DIFFICULTÉS DU FRANÇAIS,
de Jean-Pierre Colignon
(CFPJ, 2022, 224 p., 28,50 €).
* * *
- J’EN PERDS MON LATIN ! ÉTYMOLOGIES ÉTONNANTES DES MOTS DE TOUS LES JOURS, de Françoise Nore (Éditions de
l’Opportun, 2022, 272 p., 14,90 €).
- 150 DRÔLES D’EXPRESSIONS POUR PRENDRE LA VIE DU BON CÔTÉ, de Nathalie Gendrot et Thomas-Louis Novillo,
préface de Maxime Rovere
(Le Robert, 2022, 320 p., 12,90 €).
- ON N’A PAS FINI D’EN PARLER ! DICTIONNAIRE SAVOUREUX DES SUBTILITÉS, AMBIGUÏTÉS ET INCONGRUITÉS DE LA LANGUE
FRANÇAISE,
de Dominique Mataillet (Éditions Favre, 2022, 264 p., 19 €).
- LA CRÉATION DES JEUX DE MOTS ET DES BONS MOTS, de Richard Arcand (Presses de l’université Laval,
« À propos », 2021, 214 p., 17,95 €).
- AU COEUR DE LA LANGUE DE GIOVANNI DOTOLI, de France-Henriette Lafargue (L’Harmattan, « L’orizzonte »,
2022, 160 p., 20 €).
Nos adhérents publient
- Après La joie venait toujours
après la peine, Histoire d’une
famille de 1938 à 1947, Nadine
Najman remonte le temps
avec Coquelicots de la
mémoire, Histoire d’une
famille de 1919 à 1938
(Édition du bout de la rue,
2022, 326 p., 18 €). Cet
ouvrage vient de remporter le
Grand prix du Salon du livre
de Cayeux-sur-Mer.
- Pour « Etymologix », sa
rubrique dans La Jaune et la
Rouge (n° 776), Pierre Avenas
se penche sur « la haute
fonction publique de l’État »
et en particulier sur les mots
public, fonction et fonctionnaire.
Ses articles sont en accès libre
et gratuit sur internet.
- Alain Ripaux nous signale
que sa Revue francophone
d’information de juillet 2022
comporte notamment des
articles sur le général de
Gaulle, le Liban, Haïti, la
principauté de Monaco et
l’Afrique. À commander sur
son site Francophonie Force
Oblige.
- Catherine Distinguin fait le
portrait d’Andreï Makine, de
l’Académie française, et
analyse son oeuvre, dans
Livr’arbitres (juin). Dans ce
numéro, Michel Mourlet présente
la réalisation télévisée,
en 1971, du Malade imaginaire
de Molière, et cite les
propos de Michel Bouquet
à propos de cette pièce
« inquiétante et troublante ».
Dans cette revue encore,
Bernard Leconte démontre
que « Proust est mort six mois
trop tôt ».
- Dans l’ « Éditorial » d’Art et
Poésies de Touraine (n° 249),
Guy Péricart appelle à « montrer
la beauté du monde, [à] chanter
l’amour et la lumière ».
- Le Bulletin de l’Académie
nationale de médecine (mai)
offre une longue recension
du livre de Claude Huriet Les
amours de Marie Curie, préfacé
par Jacques Battin
(Glyphe, 2021, 170 p., 12 €).
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