Défense de la langue française   
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DLF, n° 290


DICTIONNAIRE DU VIN, DE LA BIÈRE ET DU CHAMPAGNE, CULTUREL ET ANECDOTIQUE de Jean Pruvost
Éditions Honoré Champion, 2023, 686 pages, 28 €
Éblouissant, pétillant, roboratif et passionnant, ce Dictionnaire du vin, de la bière et du champagne est une merveille. Ce n’est pas étonnant : son auteur est Jean Pruvost, notre vice-président, grand amateur de dictionnaires et spécialiste de ces innombrables volumes qui réunissent la quintessence de toutes les sciences et de toutes les curiosités. En particulier, ici, le savoir-faire des éleveurs de vins, des compositeurs de brassin ainsi que des remueurs de nectar à bulles. Sublimer avec autant d’art les ennoblissements de notre « soeur l’eau » sans laquelle aucune vie n’est possible, en nous faisant accéder aux secrets du produit de la vigne, aux nuances blondes et brunes de la bière qui réjouit toutes les familles et non plus seulement dans les pays du Nord mais aujourd’hui dans tous les pays du monde, quelle merveille !
Quel travail admirable et minutieux que de livrer à un très vaste public les mystères de ces boissons courantes ou festives! Impossible de se lancer dans une telle entreprise sans recourir à un nombre considérable de sciences aussi variées que la géologie, la météorologie, la chronologie, la philologie, l’économie, l’art de la terre (fragiles amphores) ou le moderne et vilain conditionnement au nom latino-anglais de cubitainer ; sans oublier le fisc, les capsules et les taxes qu’il impose et, par honnêteté, sa chasse à la fraude. Goûtez et regardez : les crus ont leur identité, chaque terroir sa personnalité. Les bouquets différents charment le nez, les couleurs parlent à l’oeil et la dégustation tire les conclusions.
Écrivains et poètes ont souvent trouvé leur inspiration dans la dive bouteille et, bien avant Rabelais, Bacchus figurait parmi les dieux, tandis que Silène, par ses excès, faisait la mauvaise réputation du jus de la treille. Dresser la liste de ceux qui ont célébré le vin et les vertus des boissons qui réjouissent le coeur de l’homme est une gageure. Parler du vin après Noé, de la bière, qu’elle soit pils allemande, Mort subite ou gueuze lambic de Belgique, ou du champagne brut, sec, demi-sec ou rosé, c’est toujours évoquer un bienfait qu’il faut raisonnablement honorer. Illustré d’anecdotes piquantes, de souvenirs historiques, de proverbes français ou étrangers, ce dictionnaire est plein d’attraits et de charmes. Ordonné par l’humble et merveilleux ordre alphabétique, ce volume nous offre, entre le jéroboam et la fillette, tous les aspects de ce triple trésor liquide qui émoustille ou console les profondeurs de l’âme et de l’esprit. Jacques Dhaussy

LES MOUTONS DE LA PENSÉE. NOUVEAUX CONFORMISMES IDÉOLOGIQUES, de Jean Szlamowicz
Cerf, 2022, 218 pages, 20 €
Loin de l’illuminisme kantien prônant la liberté de penser par soi-même pour accéder à l’âge adulte, règne actuellement un esprit de conformisme moutonnier. Mais qui en sont les bergers ? C’est « un mandarinat de professeurs de confusion », nous dit Jean Szlamowicz, « une intelligentsia composée d’universitaires, chercheurs, hauts fonctionnaires, politiciens, enseignants, journalistes » qui propagent une nouvelle idéologie sous forme d’entrisme sournois, par contagion lexicale de formules semblables aux « mots de la tribu ».
Au commencement apparaît, en 2019, venu d’outre-Atlantique, le wokisme, courant de pensée qui se veut progressiste, proclamant la nécessité d’être conscient (woke = éveillé) des problèmes liés à la justice sociale et à l’égalité raciale. Le champ intellectuel en question, la sociologie, a priori scientifique, est déformé par cette nouvelle contre-culture qui le radicalise à outrance en passant d’une valeur d’analyse à une valeur de jugement moral quasi militant. Ainsi, à partir d’un consensus social tel que la lutte contre les inégalités, surgissent en foule des concepts tels qu’intersectionnalité (importé du féminisme noir américain) mais aussi décolonialisme, déconstruction, racisme systémique, genre, inclusivité (de l’écriture), masculinisme, patriarcat, qui brouillent le sens de notre culture commune considérée comme toxique et incitent les « moutons » à se regrouper en communautés promptes à se victimiser.
Faut-il s’inquiéter de cette novlangue en décalage total avec la vie ordinaire, ou la considérer comme une mode intellectuelle passagère ? Certains développements concernant par exemple les théories du genre penchent plutôt, affirme l’auteur, vers un aveuglement qui confine au délire. Lecture d’autant plus passionnante et roborative qu’elle est le travail d’un linguiste lui-même universitaire, bien placé pour discerner toutes les fourberies incrustées au sein de notre époque. Monika Romani

CE MONDE-LÀ. DICTIONNAIRE PERSONNEL DE L’ÉPOQUE, de François Taillandier
Flammarion, 2008, 178 pages, 18,30 €
En lisant avec un rare plaisir de l’esprit, avec ces envies de rire qui suggèrent qu’il vaudrait mieux en pleurer, en lisant donc Ce monde-là que nous a adressé François Taillandier, je pensais à Mme de Sévigné qui trouvait que le monde marchait « cul par-dessus tête » et à Jacques Bainville qui estimait « que tout avait toujours marché très mal ». Que diraient-ils aujourd’hui devant les cabrioles, les contorsions et les inconséquences de notre temps?
De billets publiés dans la presse, où il a exercé avec une sagacité rare et une causticité souriante ou détachée ses dons d’observateur critique, notre auteur a tiré son Dictionnaire personnel de l’époque, classant ses remarques par ordre alphabétique. Il annonce lui-même le sujet de son livre : il montre « comment les mots que nous entendons ou que nous employons, comment les récits (car nous sommes racontés), comment les images (car nous sommes représentés) modifient insensiblement notre perception du monde, notre idée de nous-mêmes ». Ce dictionnaire – ce qui n’a rien d’étonnant – étudie les mots qui traduisent aujourd’hui par action ou par omission les défauts de la vie en société, nos mensonges et nos vanités. Et de noter : « C’est au moment où l’Europe se lançait hardiment dans sa propre édification [...] qu’elle a jété par-dessus bord la seule langue qu’elle avait en commun depuis toujours : le latin. L’Église catholique a donné le branle. » Si l’on est attentif à l’évolution du langage, on fait de belles découvertes : celles de l’exosquelette, de la langue d’inox, du proximisme, par exemple. Soyez-en persuadés : vous devez « oser l’excellence », « gérer votre gourmandise sans prise de tête ». Enfin, si vous tenez à garder votre personnalité, adoptez avec le sourire, avec humour, cette arme efficace de défense, ce que nous nous permettrons de nommer « la Taillandier attitude ». Jacques Dhaussy

EN FINIR AVEC LES IDÉES FAUSSES SUR LA LANGUE FRANÇAISE, de Médéric Gasquet-Cyrus
Les Éditions de l’Atelier, 2023, 160 pages, 12,50 €
Dans le même esprit que le Tract des linguistes dites « atterrées », M. Gasquet-Cyrus s’en prend avec véhémence, tout au long de ces pages, aux « puristes » qui s’alarment des menaces qui pèsent sur la langue française. Accusés de « semer la terreur » et de « créer des peurs paniques en dressant un tableau apocalyptique » des « agressions » contre le français, dont ils sont les « défenseurs autoproclamés », les « puristes » ont une « approche morbide de la langue ». Leurs propos sont « vagues, mal ficelés, déconnectés du réel, et pleins de leurs frustrations et de leurs haines ». Ils se rendent coupables d’une « récupération politique, nationaliste, discriminatoire, xénophobe, voire raciste de la langue ». Diantre! Quelle violence! Il conviendrait peut-être que l’auteur médite cet aphorisme de Talleyrand : tout ce qui est excessif est insignifiant. Qui sont les « puristes » qu’il désigne à la vindicte populaire? Il y a bien évidemment l’Académie française, cible irremplaçable de la bien-pensance. L’auteur s’en prend également au Figaro, coupable d’ouvrir trop régulièrement ses colonnes aux « prophètes de malheur » qui se poseraient en « dernier rempart d’une certaine langue française ». L’auteur, sociolinguiste, relève avec un certain mépris qu’il s’agit d’écrivains et de journalistes qui « manquent singulièrement de connaissances basiques d’ordre linguistique ».
Au nom de la « déconstruction » des mythes qui entoureraient la langue française, l’auteur enfonce une quarantaine de portes ouvertes dont certaines débouchent sur un vide sidéral et sidérant. Entre autres inepties, chacun sait que l’expression « langue de Molière » correspond à une réalité quelque peu éloignée du français contemporain; que l’Académie française ne fixe pas les règles de la langue française ; que les mots d’origine arabe sont nombreux dans la langue française et c’est très bien ainsi ; que les Québécois ne parlent pas un « vieux français » et que le français le plus pur n’est pas parlé uniquement à Tours (?)… En résumé : ce brûlot dogmatique est inutilement agressif, fréquemment répétitif et rarement intéressant. Pierre Gusdorf


        Signalons aussi :
  • L’ESPRIT FRANÇAIS, DE MADAME DE LA FAYETTE À JEAN D’ORMESSON, d’Axel Maugey (Dacres éditions, 2023, 292 p., 16 €).
  • LES JOYEUSETÉS DE LA LANGUE FRANÇAISE, d’Hippolyte Wouters (2023, 32 p., 15 €, frais de port compris). Le commander à hippolyte@wouters-theatre.com (sur le compte BE12063750611192 – BIC : GKCCBEBB). Ne pas oublier de lui donner votre adresse postale.
  • * * *
  • LE LIVRE D’UNE LANGUE, sous la direction de Barbara Cassin, de l’Académie française (Éditions du patrimoine, 2023, 312 p., 42 €).
  • DU COQ À L’ÂNE. LES EXPRESSIONS LES PLUS SAVOUREUSES DE LA LANGUE FRANÇAISE, de Catherine Mory (Larousse, 2023, 96 p., 17,95 €).
  • AU BONHEUR DES MOTS LES PLUS TRUCULENTS DE LA LANGUE FRANÇAISE, de Daniel Lacotte (Larousse, 2023, 272 p., 15,95 €).
  • DICTIONNAIRE ÉTYMOLOGIQUE DES ÎLES FRANÇAISES, de Claude Gantet, préface de Pierre Gastal (Éditions Desiris, 2023, 160 p., 19,50 €, livre numérique 11,99 €).
  • 200 MOTS RARES ET SAVOUREUX POUR BRILLER AU BUREAU, AVEC SES AMIS, SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX OU DEVANT SON CHAT..., de Marion Navenant (Éditions De Boeck Supérieur, 2023, 208 p., 14,90 €).
  • JOYEUSES FAUTES. LE 1ER ROMAN-PHOTO DE L'ORTHOGRAPHE, de Muriel Gilbert, scénario et photo de Jean- Christophe Establet
    (Le Robert, 2023, 96 p., 14,90 €).
  • BON PIED BON OEIL. 150 DRÔLES D’EXPRESSIONS POUR AMUSER LA GALERIE, de Thomas-Louis Novillo avec Laurent Ruquier
    (Le Robert, 2023, 320 p., 19,90 €).
  • AU COEUR DE L’OVALIE. 150 MOTS, EXPRESSIONS ET ANECDOTES DE LÉGENDE SUR LE RUGBY, collectif, de Walter Spanghero à Vincent
    Clerc (2023, 324 p., 18,90 €).
  • LES PARLERS FRANÇAIS DES ISRAÉLITES DU MIDI, de Peter Nahon (Éditions de linguistique et de philologie, 2023, 476 p., 50 €).
Nos adhérents publient
  • Pierre-Louis Douhéret nous a confié un texte « à la manière » du jongleur de mots qu’était Raymond Devos, écrit dans le cadre d’un ouvrage collectif publié chez Zonaires, Portraits inattendus II (2022, 206 p., 20 €). Vous le trouverez sur le site de DLF.
  • « Un univers d’astres et de désastres », tel est le titre de l’article de Marc Favre d’Échallens dans le bimensuel Royaliste (23 octobre). Il y relève les menaces qui pèsent sur la langue française (toutà- l’anglais, écriture prétendument « inclusive »...), sa défense et sa promotion, notamment par les associations agréées.
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