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DLF, n° 294
DICTIONNAIRE CULTUREL DE LA MER ET DE LA MARINE de Pascal-Raphaël Ambrogi, préface de l’amiral Pierre Vandier Honoré Champion, « Champion les dictionnaires », 2024, 1024 pages, 38 €
Aimer se laisser dériver au fil des pages : n’est-ce pas là le propre d’un bon
dictionnaire ? Mission accomplie pour Pascal-Raphaël Ambrogi, avec ce
Dictionnaire culturel de la mer et de la marine.
D’abord, la musique des mots ! D’
acrostolion à
zugite, en passant par
bredindin,
caramoussal, démersal, enhuché, funain, Grippe-Jésus, jambin, lamproyon, ouinche,
pibalou, ribomborder, valture, xiphias..., l’auteur nous en fait découvrir des
centaines, venus des cinq parties du monde. Les thèmes génériques, tels que les navires, les vents
ou les noeuds, font l’objet de regroupements permettant d’énumérer les termes les plus pittoresques
et leurs variantes, au gré des rivages et des sabirs qu’on y parle. À l’entrée « bateau », les embarcations
les plus exotiques font l’objet d’un recensement fouillé sur douze pages !
Comme son titre l’indique, ce dictionnaire embrasse le monde marin des points de vue technique
et historique, mais également tel que le reflètent les oeuvres d’imagination : littérature, poésie,
cinéma, chansons, etc. Hugo, Baudelaire et Loti, Conrad et Melville, naviguent ici de conserve.
Sans doute le plaisir eût-il été encore plus grand avec le renfort de quelques illustrations et cartes.
Mais c’est bien peu de regrets quand on a le loisir d’apprendre qu’en Méditerranée, si le temps
s’abeausit, c’est qu’il se mue en
armogan, que le
sbire est une sorte d’
estrope alors qu’
escaume et
scalme sont synonymes, que l’
acrostolion, encore lui, ne fait qu’un avec le
corymbe et le
rostrum, que
s’
ababouiner revient à s’
encalminer, que le
kalipoulo n’est pas autre chose qu’un
ligataya, et que le
marin, enfin, ne se perd jamais dans le brouillard, triste fumée terrienne, mais seulement dans la
brume.
Pierre-Louis Douhéret
LE FÉMININ. AU FIL DES MOTS ET DE L’HISTOIRE de Jean Pruvost Tallandier, 2024, 352 pages, 21,90 €
Les mots, osselets de l’Histoire, dépoussiérés et rassemblés grâce à la plume
soigneuse et prudente du lexicologue, paléontologue du langage, reconstituent
patiemment les formes mouvantes des êtres, leur donnent chair et les font revivre
à nos yeux ravis ; ainsi du foisonnant ouvrage sur le
féminin, à la fois savant et
léger, de Jean Pruvost, érudit rare, amoureux passionné et passionnant du verbe,
cartographe des continents lexicaux.
Réduire le
féminin à une question de genre grammatical serait un très regrettable appauvrissement
de l’approche ; comment ne pas tenir compte, par exemple, de son incidence sociale ? Parler du
féminin, c’est obligatoirement combattre les stéréotypes et déjouer les pièges de la langue et des
associations d’idées. Ce n’est pas une mince affaire que de renverser les clichés, et c’est ce à quoi
s’emploie brillamment Jean Pruvost.
Est-ce à l’homme à parler du
féminin ? Déjà, le premier obstacle est posé. Mais Françoise Dolto et
Julia Kristeva, entre autres, sont là pour corriger l’orientation du débat. Analyser le
féminin, c’est
reconstituer l’esprit d’une époque : «
Femme, prononcez famme,
créature raisonnable faite de la main
de Dieu pour tenir compagnie à l’homme. » (
Dictionnaire françois du XVIIe siècle.)
Le féminin, objet de cet essai, est un sujet certes délicat mais surtout inépuisable; c’est là tout l’esprit
de l’analyse de Jean Pruvost qui traverse les époques, les auteurs, les genres culturels, les niveaux
de langue, l’étymologie, abordant les questions modernes de genre (inclusivité, professeure), le
mouvement LGBT, la psychanalyse, la littérature, les traits de caractère (féminin = douceur),
le sport ou la danse, avec un humour bienvenu parfois – «
Il y a plus inconnu que le Soldat inconnu :
sa femme » –, ou encore les noms de fromages, plus souvent masculins que féminins. Il nous embarque
sur une mer de réflexions où Simone de Beauvoir côtoie Renaud, et où se lèvent de véritables
tempêtes; plus on tente de démêler l’écheveau, plus il se resserre.
Peut-être faudrait-il dire enfin que non seulement la femme est l’égale de l’homme, mais que le
féminin est l’égal du masculin. Quelle lectrice, quel lecteur pourra ne pas savoir gré à Jean Pruvost
de secouer nos habitudes en dressant cet emballant Inventaire du Féminin sous toutes ses formes
dans un éloge jubilatoire !
Roland Voegele
DICTIONNAIRE DE L’ARGOT BRUTION de JeuMeu (Joseph de Miribel) Éditions Maïa, « Savoirs partagés », 2024, 301 pages, 29 €
Quelques années après nous avoir instruits des subtilités du jargon parlé à la
prestigieuse École navale (dans son
Dictionnaire de l’argot-Baille, Naturalia
Publications), JeuMeu se penche sur le parler en vigueur au sein d’un autre
établissement non moins prestigieux. Le lecteur commence bien entendu
par en rechercher la traduction : qu’est-ce qu’un
Brution ? Ce terme bizarre
désigne un élève ou un ancien élève du Prytanée national militaire de La
Flèche. On dit aussi
Gnace, Gnass ou
Ñass. Pourquoi
Brution ? En référence
à la rudesse d’allures et à la liberté de langage issues du bagage que lui a
constitué l’éducation « rustique » du Prytanée. Et par opposition aux manières
raffinées des élèves de Saint-Cyr. Ce n’est là qu’une des 3 000 entrées que comporte ce dictionnaire,
présenté sous une forme académique et selon les méthodes de la linguistique. 3 000 entrées
complétées par un cortège de rubriques, introduction, préface, avant-propos, postface, références
bibliographiques, chapitres explicatifs, annexes, lexiques, dictionnaire inversé, analyses différenciées,
chants brutions, histoire du Prytanée, etc. Comme l’écrit Jean Pruvost, il s’agit d’un monument.
Très complet, l’ouvrage a requis le concours d’anciens Brutions et comporte de nombreuses
photos et illustrations.
Pierre Gusdorf
N’AYONS PAS PEUR DE PARLER FRANÇAIS. LE RAPPORT QUI ALERTE par l’Académie française Plon, 2024, 112 pages, 12 €
Ce rapport sur la communication institutionnelle est issu des travaux d’une
commission présidée par Gabriel de Broglie, à laquelle ont participé Amin Maalouf,
Florence Delay, Danielle Sallenave, Michael Edwards et Dominique Bona. Il met
en évidence «
l’évolution sensible et préoccupante de la langue française [...]
dans la
communication institutionnelle entendue comme toute action visant en principe à faciliter
les échanges entre l’institution elle-même et les administrés ». La création de cette
commission est liée à l’envahissement du
globish (anciennement nommé
franglais), qui préoccupe
nombre d’écrivains et une bonne partie de l’opinion. La langue française n’a jamais cessé d’évoluer
et d’emprunter à une multitude d’autres langues. Elle a elle-même prêté énormément, y compris
à l’anglais. Mais aujourd’hui, elle est confrontée à une extension vertigineuse des termes angloaméricains,
notamment dans les domaines de la publicité et de l’entreprise. Plus grave, le
globish est entré dans le langage des institutions : ministères, organes gouvernementaux, entreprises
publiques, collectivités qui, au lieu de promouvoir le français, le négligent au nom d’un modernisme
supposé ou d’un snobisme plus ou moins conscient.
Le constat dressé par l’Académie est inquiétant. Elle pointe le risque d’une moindre compréhension
des messages par le public, ainsi que la perte de repères linguistiques. Dangers qu’on ne pourra
éviter si une plus grande attention n’est pas portée au français diffusé par les institutions.
Pierre Gusdorf
CONTROVERSES SUR LA LANGUE FRANÇAISE. 51 VÉRITÉS POUR EN FINIR AVEC L'HYPOCRISIE ET
LES IDÉES REÇUES d’Alain Bentolila ESF Sciences humaines, 2024, 168 pages, 14,90 €
Avec ses
Controverses sur la langue française, le linguiste Alain Bentolila va contribuer
à l’aggravation de l’affliction de certains linguistes déjà atterrés. Car voici un
ouvrage qui va à rebours de la bien-pensance ambiante, laquelle est faite d’une
complaisance qui n’est qu’indifférence pour les plus fragiles. Non, rappelle
A. Bentolila, chacun ne parle pas «
comme il veut » au risque de ne plus se faire
comprendre et ne plus se défendre. La langue mérite d’être respectée et cultivée.
Ce livre est structuré autour de neuf thèmes et 51 questions. Le linguiste aborde les questions du
langage, de son apprentissage, de l’écriture, des sons et des langues, de la lecture, du vocabulaire,
de l’orthographe et de la grammaire ainsi que des questions de société. Alain Bentolila nous tient
un discours de rigueur et de conviction. Il refuse que les enfants de ce pays voient leur destin scellé
par un langage pauvre et chaotique. D’où qu’ils viennent, ils doivent avoir droit au meilleur de
notre langue.
Pierre Gusdorf
CULTIVONS LA LANGUE FRANÇAISE ! de Michel Feltin-Palas Héliopoles, 2023, 256 pages, 17 €, liseuse 13 €.
Michel Feltin-Palas publie depuis plusieurs années
Sur le bout des langues, lettre
d’information qui retrace la richesse du français et des autres langues de France.
Ses chroniques sont le fruit de rencontres avec des historiens, des linguistes et
d’autres experts de la langue française, dont il transmet les connaissances au
grand public «
de façon aussi claire et ludique que possible ».
Son dernier ouvrage reprend une trentaine de ces chroniques, évoquant les figures de style,
l’étymologie, les influences étrangères, la cédille, le tréma, les accents, les liaisons, les onomatopées,
les unités de mesure et d’innombrables autres joyeusetés de la langue française et de son histoire.
Évoquant le déplacement du centre de gravité de la francophonie depuis les rives de la Seine vers
le vaste monde, l’auteur souligne qu’il s’agit d’un enrichissement et non d’une perte, et reprend
les conclusions de Bernard Cerquiglini : «
La norme ne doit pas être un corset, mais un creuset. Il faut
penser une francophonie de l’élan, non du purisme. »
Pierre Gusdorf
LE FRANÇAIS, PARLONS-EN ! de Boualem Sansal Les Éditions du Cerf, 2024, 192 pages, 19 €
L’essayiste et romancier Boualem Sansal se présente ici comme «
écrivain francophone à la retraite
en recherche d’une vaine espérance ».
Est-ce à dire que cette quête personnelle risque de ne pas aboutir ? Tout au long de l’ouvrage,
organisé sous forme d’entretien fictif, c’est du destin du français qu’il s’agit. Au sens existentiel,
parce que la langue est, pour lui, «
le trésor caché par lequel les peuples pèchent et meurent, ou vivent et prospèrent ». Il convient donc, en urgence absolue, de faire du français « une cause
nationale », car la loi de la langue est plus forte que la loi du sang et du sol. Perdre
sa langue, c’est devenir un étranger dans son pays.
Les quarante Immortels de l’Académie sauveront-ils le Verbe? On s’accoutume
à l’insignifiance et on glisse dans l’ignorance, le constat est sévère, tant pour les
conversations courantes qu’à la télévision, dans les journaux (papier ou
numériques), au point que l’auteur se sent «
handicapé par son bon français » appris
en Algérie, son pays d’origine, et devenu la langue unique de son oeuvre.
Alors, que faire pour que l’espoir ne demeure pas une chimère? La réponse est
évidente et définitive, elle s’appelle « Francophonie ». C’est sur ces multiples langues françaises
toutes épanouies hors de l’Hexagone qu’il faut miser, encourager ces locuteurs animés d’un véritable
amour de la littérature, lesquels sont cinq fois plus nombreux que les Français de souche ! (D’ici à
2065, ils seront plus d’un milliard, nous dit l’Observatoire de la Francophonie).
Ce simple constat arithmétique suffit à répliquer sereinement à l’angoissante enquête initiale : «
De
quoi le français est-il le nom ? » : « Une grande victoire. »
Monika Romani
Signalons aussi :
- 100 MOTS LATINS POUR BIEN ÉCRIRE 1000 MOTS FRANÇAIS, de Jean Pruvost
(Les Belles Lettres/La vie
des classiques, « Les petits latins », 2024, 168 p., 11,50 €).
- DU POILU AU MÉTAVERS. 1905-2025, 120 ANS DE PETIT LAROUSSE. DÉCOUVREZ LES 300 MOTS QUI ONT RÉVOLUTIONNÉ
NOTRE SOCIÉTÉ ET LA LANGUE FRANÇAISE, collectif, dont Jean Pruvost et Bernard Cerquiglini (Larousse, 2024, 192 p.,
14,95 €).
* * *
- LE GOÛT DE LA FRANCOPHONIE, d’Emmanuel Maury (Mercure de France, 2024, 144 p., 9,50 €).
- NOMMER LE CORPS, NOMMER LA MALADIE : MODÈLES DE REPRÉSENTATION, sous la direction d’Anaïs Carnet,
Lucie Bernard, Véronique Liard (Lambert-Lucas, 2024, 288 p., 34 €).
- LA GENÈSE DE L'ORTHOGRAPHE FRANÇAISE (XIIE-XVIIE SIÈCLES), de Bernard Cerquiglini (Honoré Champion,
« Unichamp-Essentiel, 2024, 192 p., 18 €).
- VA VOIR DANS LE DICO SI J’Y SUIS ! CE QUE LES DICTIONNAIRES RACONTENT DE NOS SOCIÉTÉS, de Médéric Gasquet-
Cyrus et Christophe Rey
(Les Éditions de l’Atelier, 2024, 248 p., 20 €).
- Aux Éditions Larousse, 2024 :
• LES MOTS DISPARUS DE PIERRE LAROUSSE, TOUTE LA SAVEUR DES MOTS DU XIXE SIÈCLE AUJOURD’UI OUBLIÉS,
introduction de Bernard Cerquiglini, présentation de Pierre Larousse par Jean Pruvost (224 p., 17,95 €).
• CHAPERLIPOPETTE !, JEUX DE MOTS CHAMAILLEURS & CHATOYANTS, de Daniel Lacotte, dessins de Pierre Fouillet
(224 p., 17,95 €).
• DICTIONNAIRE DES HOMONYMES (720 p., 14,95 €).
- Aux Éditions Le Robert, 2024 :
• LES EXPRESSIONS FRANÇAISES, QUELLE HISTOIRE !, Collectif (520 p., 26,90 €).
• LE FABULEUX DESTIN DES MOTS, DE 1960 À NOS JOURS, 60 ANNÉES DE LANGUE FRANÇAISE, de Mathieu Avanzi
d’après l’oeuvre d’Alain Rey
(192 p., 24,90 €).
• LES MOTS, ARMES D'UNE NOUVELLE GUERRE ?, d’Amélie Ferey, préface de Thomas Gomart (« Temps de
parole », 240 p., 19,90 €).
- LE PARLER DE NOS RÉGIONS. CES MOTS QUI ONT CRÉÉ LA LANGUE FRANÇAISE, de Daniel Lacotte (Christine Bonneton,
« Au fil des mots », 2023, 312 p., 17,90 €).
Nos adhérents publient
- À l’occasion du centenaire
de la mort d’Anatole France
(1844-1924), Michel Mourlet
a réédité le premier livre de
cet écrivain et en a rédigé la
préface : Alfred de Vigny,
(France Univers, 2024, 124 p.,
12 €). « Ce qui [...] fait le prix de
cette “étude” [...] est la relation
affective d’admiration-séduction
que le texte établit non seulement
avec l’oeuvre, mais aussi avec
l’homme qu’elle a choisi comme
sujet. »
- Jean-Joseph Julaud rétablit
la vérité dans Le Fabuleux
Trésor caché des Templiers,
et 49 autres mythes et légendes
de l’histoire de France (First
Éditions, 2024, 208 p.,
14,95 €).
Après plus d’un million
d’exemplaires vendus, notre
ami vient de rééditer
L’Histoire de France pour les
Nuls (First Éditions, 2024,
4e éd., 844 p., 25,95 €). Des
origines à nos jours, l’Histoire
de France est racontée avec
passion et humour!
- Joël Conte-Taillasson nous a
adressé l’Anthologie Europoésie
2023, réalisée au profit de
l’Unicef par l’association
Rencontres Européennes-
Europoésie qu’il préside
(2024, 248 p., 20 €). Outre
de nombreux poèmes, on
peut y lire des contes et des
nouvelles.
- Dans la revue de l’Amopa
(no 245), Jean Pruvost cite
l’Académie française à propos
du mot francophonie : « Sans
majuscule, “il s’agit du fait de
parler français” et de “l’ensemble
des individus pour qui le
français est langue principale
ou seconde”. Et “avec une
majuscule : nom par lequel on
désigne couramment, par
abréviation, la Conférence des
pays ayant le français en
partage, et les diverses institutions
qui s’y rattachent”. »
- Dans le magazine Royaliste
de septembre, Marc Favre
d’Échallens a signé un article
intitulé « Langue française -
Les Jeux sont faits ! » Il y
déplore le manque de visibilité
du français à l’occasion
de Paris 2024.
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