Intervention à la Maison de la Francité pour le lancement de DLF Bruxelles-Europe Claire GOYER
Nous sommes ici réunis ce soir pour un rendez-vous avec la langue française, C’est ce que disent nos amis anglophones en français, au lieu du banal « appointement ». C'est-à-dire : un rendez-vous d’amour.
Avant de préciser nos objectifs, je voudrais évacuer deux questions qui ne manqueront pas de nous être posées : la première, c’est le nom même de l’association. On me dit souvent lorsque je parle de DLF : « pourquoi DÉFENSE ? » Plutôt qu’une relation affectueuse ce mot évoque la ligne Maginot pour ne pas dire FORT ALAMO !
En fait, Défense de la langue française, c’est le nom que les fondateurs de l’association lui ont donné - lors de sa création, il y a près de 50 ans déjà - pour rendre hommage au fameux « Défense et illustration de la langue française » de du Bellay et des poètes de la Pléiade, à la Renaissance. Ils avaient des objectifs simples et humanistes.
Préserver « les qualités de clarté, de simplicité, d'harmonie de la langue française qui en font un remarquable instrument » car, « avant d'en être le véhicule, la langue est le moyen même de la pensée ».
Aujourd’hui les objectifs de l’association se sont diversifiés mais le nom est resté.
N’en n’ayons pas peur.
L’UNESCO dans ses travaux aujourd’hui défend la diversité linguistique et culturelle, comme les écologistes défendent l’environnement et les salariés défendent leurs droits. Alors pourquoi pas Défense de la langue française, s’il y a derrière ce mot, non pas un cerbère gardien du temple, mais tout simplement de l’amour ?
Les francophones du reste du monde ne s’y trompent pas.
Ils sont, parce qu’ils l’aiment, sans arrogance et sans complexe, les meilleurs défenseurs de la langue française. Je garde un souvenir ému du congrès d’Atlanta de l’été 2004. Cette belle ville accueillait le 11e congrès de la Fédération internationale des professeurs de français. J’ai d’ailleurs appris qu’Atlanta est jumelée avec Toulouse et Bruxelles. 1 500 professeurs originaires de 118 pays aussi éloignés que l’Ouzbekistan, le Japon, la Tunisie ou le Pérou, 500 communications en 5 jours. Et quelle qualité de français, quelle foi dans les valeurs qu’il véhicule !
Deuxième point à clarifier : nous ne cherchons pas à promouvoir le français contre d'autres langues. Je suis moi-même angliciste, j’ai longtemps enseigné l’anglais et je défends le français. Y a-t-il opposition ? J’aime ces deux langues et je voudrais qu’elles cohabitent avec d’autres encore, sans que l’une écrase les autres. Marceau Déchamps a d’ailleurs indiqué les relations d’amitiés et d’action nouées avec l’association allemande Veiren Deutsche Sprache
Cela me conduit aux objectifs de notre section.
Ils sont au nombre de trois :
Pour que le français se maintienne en Europe comme langue à vocation internationale, il nous faut :
- Objectif n° 1 : unir nos efforts avec les autres grands espaces linguistiques pour agir en faveur de la diversité linguistique et culturelle et trouver les moyens pratiques de résister à la langue unique. (Nous venons de voir que DLF s’y emploie) . Car l’Europe est plurilingue. C’est une richesse et c’est une faiblesse. La variété des produits sur un marché est une richesse mais, en matière de langue, il vaut mieux avoir la même pour se comprendre. D’où la tentation de la langue unique. Et pourtant ... chacun sait qu’on ne peut bien exprimer sa pensée que dans sa propre langue. Il faut le dire haut et fort : le pluralisme linguistique est LA condition d’une communication authentique. Il n’y en a pas d’autre.
Pour mémoire et sans entrer dans le détail, voici le rappel des conséquences de l’uniformisation linguistique et culturelle déjà engagée dans le fameux village mondial : perte d’identité, de repères culturels, déficit d’influence, exclusion sociale, discrimination à l’embauche, fuite des cerveaux. Nous y sommes déjà, dans certains domaines (économique et scientifique). Il y a déjà des citoyens de première catégorie : anglophones de naissance et les autres. Cela n’est pas admissible. Robert Philippson, linguiste réputé (et anglais de surcroît) dénonce cet impérialisme. Dans un article du Guardian de 2001 il écrit : « English yes, equal rights first ». L’anglais oui, mais avant tout l’égalité des droits.
- Objectif N° 2 : user de tous les moyens de pression possibles pour, d’une part que les objectifs d’intégration inscrits dans le Traité constitutionnel (article 3 : respect de la diversité culturelle et linguistique) ne restent pas lettre morte. Et d’autre part que le mauvais exemple cesse d’être donné par les institutions mêmes. Je pense aux sites internet, vitrines de l’Europe à forte valeur symbolique, qui sont souvent en une seule langue, ou les inscriptions en lettres géantes uniquement en anglais au rond-point Schuman, endroit à forte valeur symbolique aussi.
Dans un tel contexte, le français a-t-il un rôle privilégié à jouer au service du pluralisme ? Ses atouts sont certains : tout d’abord, pragmatiquement, c’est encore la deuxième langue la plus utilisée dans les institutions. Ensuite, c’est encore, après l’anglais, la langue la plus enseignée dans l’Union, sinon la plus parlée (l’allemand la devance en nombre de locuteurs).
« Si le français n'est plus la langue d'un pouvoir, il pourrait être une langue de contre-pouvoir », en exprimant « la résistance à l'uniformité du monde. » (Lionel Jospin au 10e congrès international de la FIPF, 2000)
- Objectif N° 3 : convaincre les citoyens qu’être polyglotte c’est devenir mobile (vraie liberté de circulation) et tolérant (comprendre l’autre).
Les Luxembourgeois maîtrisent bien quatre langues : le luxembourgeois, le français, l’allemand et l’anglais. Les Catalans parlent le catalan et l’espagnol, et souvent, en plus, le français et l’anglais. À Marrakech, les Marrakchi berbères connaissent 4 langues : une langue Tamazight, l’arabe dialectal, l’arabe classique et le français + un peu d’anglais. Langue maternelle + 2, c’est ce que vise à encourager dans les pays membres, le plan d’action langue 2004-2006 de la Commission. Cela, c’est un choix politique à long terme qui demande une continuité, des moyens financiers et des efforts pédagogiques.
Pour conclure, dans ce vaste chantier, quelle peut être la pierre de DLF Bruxelles-Europe ?
Comme les traités précédents, le traité de Constitution garantit le respect de la diversité linguistique et culturelle, article 3 déjà cité. Il faut encore que cette diversité soit mise en œuvre. Les dispositions des traités sont des outils et des leviers aux mains de celles et ceux - les décideurs - qui auront ou n’auront pas cette volonté politique, mais aussi aux mains des citoyens (et par conséquent aussi des fonctionnaires et autres agents des institutions européennes et organismes internationaux) ainsi qu’aux mains des organisations de la société civile, qui auront ou n’auront pas la volonté de les (faire) appliquer. C’est dans ce cadre-là que s’inscrit notre démarche.
Chers amis de DLF Bruxelles-Europe, « Le fatalisme à ses limites. Nous devons nous en remettre au sort uniquement lorsqu’on a épuisé tous les remèdes » (Ghandi) ou, comme dit le proverbe chinois, les seuls combats perdus d’avance sont ceux qu’on ne livre pas.
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