Intervention à la Maison de la Francité
pour le lancement de DLF Bruxelles-Europe de Roger Vancampenhout


LA DIVERSITE LINGUISTIQUE
ET LES INSTITUTIONS DE L'UNION EUROPEENNE


SEPT CONSTATS ET SEPT MESURES
[1]

Sept constats
Premier constat : la diversité culturelle et linguistique de l’Union est ancrée dans les traités
Le multilinguisme, fondé sur la diversité linguistique de l'Union européenne, est ancré dans les traités. Il constitue un principe de base de la politique linguistique, tant interne qu’externe, des institutions de l'Union. Une lecture attentive des dispositions des traités (et de la future (?) « Constitution ») et de l’ « acquis communautaire » nous indique, entre autres, que :
    - l’Union « respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique » (article I-3) ;
    - les citoyens de l’Union ont « le droit d’adresser des pétitions au Parlement européen, de recourir au médiateur européen ainsi que le droit de s’adresser aux institutions et organes consultatifs de l’Union » (quid des autres organismes et/ou agences ?) « dans une des langues de la Constitution et de recevoir une réponse dans la même langue » (article I-10) ;
    - « toute personne peut s’adresser aux institutions de l’Union dans une des langues de la Constitution et doit recevoir une réponse dans la même langue » (article II-101) ;
    - « l’Union contribue à l’épanouissement des cultures des Etats membres dans le respect de leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l’héritage culturel commun » (article III-280) ;
    - « l’action de l’Union vise à développer la dimension européenne dans l’éducation, notamment par l’apprentissage et la diffusion des langues des Etats membres » (article III-282) ;
    - en matière de politique commerciale commune, « le Conseil statue également à l’unanimité pour la négociation et la conclusion d’accords dans le domaine du commerce des services culturels et audiovisuels, lorsque ces accords risquent de porter atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l’Union » (article III-315) ;
    - « le Conseil adopte à l’unanimité un règlement européen fixant le régime linguistique des institutions de l’Union » (quid des organes consultatifs et autres organismes et/ou agences ?) « sans préjudice du statut de la Cour de justice de l’Union européenne » (article III-433) ;
    - le premier (et le seul) acte législatif en la matière est le règlement du Conseil n°1 de 1958, les quatre langues officielles de l’époque devenant également langues de travail. Ce règlement, qui fait partie de l’acquis communautaire, a été adapté automatiquement à chaque élargissement ;
    - que le traité est rédigé dans les vingt-et-une langues officielles des Etats membres, « les textes établis dans chacune de ces langues faisant également foi » et que « le présent traité peut aussi être traduit dans toute autre langue déterminée par les Etats membres parmi celles qui, en vertu de l’ordre constitutionnel de ces Etats membres, jouissent du statut de langue officielle sur tout ou partie de leur territoire » (article IV-448).
Il est à noter que la Commission Barroso, entrée en fonction le 22 novembre 2004, compte pour la première fois, parmi les membres du Collège, un commissaire, M. Jan Figel, qui a le multilinguisme dans ses compétences.
L’on voit donc que les principes du multilinguisme sont clairement énoncés et que les instruments de sa promotion existent. C’est au niveau de la communication courante non officielle, tant sur le plan interne des institutions que sur celui externe de la grande communication avec les citoyens, que se posent les problèmes de la mise en œuvre effective du multilinguisme.

Deuxième constat : le coût de la traduction et de l’interprétation « à payer pour l’Europe » est, somme toute, modique
Dans leurs communications internes et externes, les institutions de l’Union s’appuient sur des services de traduction et d’interprétation, qui sont les plus performants du monde et ont recours, dans une mesure croissante, aux nouvelles technologies de la traduction automatique et de l’interprétation orale. L’Union développe également ces nouvelles technologies (la reconnaissance vocale, etc.) à travers ses programmes de recherche et de développement technologique. Certes, tout cela a un coût, mais, pour reprendre la formule de Jacques Delors, n’est-ce pas « le prix » - somme toute modique, lorsqu’on le rapporte au nombre de citoyens de l’Union – « à payer pour l’Europe » ?

Troisième constat : le multilinguisme généralisé – a fortiori étendu aux langues régionales officielles - est difficilement gérable
Ces deux premiers constats étant faits, personne ne contestera que, pour des raisons évidentes (d'organisation, de coût, etc.), le multilinguisme intégral restera limité à un certain nombre d’activités de l’Union (voir aussi le quatrième constat). Il serait donc contre-productif de pousser trop loin la revendication du multilinguisme intégral, voire - a fortiori – de l’étendre aux langues régionales et « minoritaires ». La promotion de ces langues – qui est parfaitement légitime au plan national – risquerait, au niveau des institutions de l’Union, de porter préjudice à l’objectif recherché. Déjà, Malte – qui a pourtant deux langues officielles - a exigé pour son idiome le statut de langue officielle à part entière. Et que penser alors des revendications régionales relatives au catalan, au basque, au galicien, voire au valencien ? Ce multilinguisme intégral et sans aucun doute excessif serait rapidement taxé de dérive de la « Tour de Babel » et ferait naturellement le jeu de la langue unique (EN).

Quatrième constat : le multilinguisme généralisé à toutes les situations de communication n’est pas gérable
Il résulte des constats précédents que le seul multilinguisme raisonnable et praticable est un multilinguisme à géométrie variable selon les situations qui se présentent sur le terrain : intégral dans certains cas (citons, à titre d'exemples, la diffusion écrite de la législation dans les Etats membres, l’interprétation de certains débats de nature politique, aux niveaux ministériel ou parlementaire, etc.), limité dans d'autres (citons, à titre d'exemples, la limitation à trois langues – DE, FR, EN – des débats internes de la Commission européenne, ou des informations administratives destinées au personnel des institutions implantées notamment à Bruxelles ou à Luxembourg, ou encore l'usage de deux langues - EN et FR -, sans que cela ne donne lieu à protestation, pour un grand nombre d’ informations internes ou les informations syndicales au sein des institutions européennes dans leurs principaux lieux d’implantation, avec une adaptation correspondante de ces combinaisons linguistiques dans d’autres lieux d’implantation (par exemple, EN /FR + DE en Allemagne, + NL aux Pays-Bas et en Belgique néerlandophone, + ES en Espagne, + IT en Italie, + PT au Portugal, + PL en Pologne, etc.). Par définition, ce multilinguisme à géométrie variable sera fonction, entre autres facteurs, du lieu géographique, du locuteur, de l’émetteur, de la destination, du public - cible, etc. de cette communication écrite ou orale.

Cinquième constat : la dérive vers l’unilinguisme et le tout-anglais de communication menace la diversité culturelle
Par ailleurs, pourquoi nier que l’EN – l’une des langues de communication internationale les plus répandues - occupe une place privilégiée, notamment dans le multilinguisme à géométrie variable et est devenu, à côté du FR, le pivot de nombreuses combinaisons linguistiques dans la communication externe et interne des institutions de l’Union ? Cela dit, faire de l’EN le seul maître à bord de cette communication reviendrait par définition à nier la diversité linguistique. A cet égard, la francophonie, qui dépasse également la dimension régionale, peut et doit constituer un des contre - poids possibles et conserver une place de choix dans la communication externe et interne des institutions et organes de l’Union, en particulier, lorsque ceux-ci sont implantés dans les pays francophones ou à composante francophone ou dans les pays de langues latines. Par ailleurs, au plan mondial, le FR, langue officielle d’un grand nombre d’Etats répartis sur plusieurs continents et de plus de 175 millions de locuteurs, ne constitue-il pas le socle d’une altermondialisation de la culture, qui devrait prochainement se concrétiser dans la Charte de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité culturelle ?

Sixième constat : le nombre d’utilisateurs de l’espéranto n’a pas encore atteint – l’atteindra-t-il jamais ? - une masse critique suffisante
Quel que soit l’intérêt que suscite le projet de l'espéranto en tant que langue artificielle unique, celui-ci ne saurait constituer, en tout cas dans un avenir prévisible, une solution praticable aux problèmes posés par les contraintes du multilinguisme. Avant que le nombre de locuteurs ou d’utilisateurs de l’espéranto ait pu acquérir une masse critique suffisante (à ce jour, un million de locuteurs dans le monde) et obtenu l'adhésion des relais politiques nécessaires, la langue unique aura dans l’intervalle - à défaut de la pratique d’un multilinguisme à géométrie variable - occupé la totalité du terrain. La promotion de l’espéranto comme seule alternative du multilinguisme risquerait paradoxalement de produire les mêmes effets que celle du multilinguisme excessif et débridé (voir le troisième constat) en ce sens que la justification de l’instauration d’une langue universelle et artificielle unique risquerait de nourrir l’argumentaire des partisans de la langue vivante unique !

Septième constat : le débat linguistique prend vite un tour émotionnel et personnel
La langue étant, d’une part, intimement liée à l’expression de la personnalité et, d’autre part, le lieu d’expression collective de l’histoire et des traditions des peuples ou des nations, il n’est pas étonnant que le débat linguistique prenne rapidement un tour personnel, émotionnel, voire polémique qui, si l’on n’y prend garde, peut facilement faire le jeu de la langue unique présentée comme seule capable de mettre fin à la controverse.

Sept mesures

Première mesure : l’UE doit traduire son objectif dans des initiatives vers l’extérieur et dans les régimes et pratiques internes des institutions
Veiller à ce que le multilinguisme soit respecté au niveau des débats politiques et à celui de la communication officielle externe avec les citoyens des pays de l’Union. En revanche, il ne conviendrait pas de réglementer de manière stricte le multilinguisme au sein des institutions de l’Union. En effet, toute limitation officiellement réglementée du multilinguisme provoquerait, notamment chez les et locutrices et locuteurs des langues non retenues au titre de langues de travail privilégiées, une réaction contre-productive pour la co-existence pacifique des langues de l’Union et nourrirait l’europhobie de certains milieux prompts à souligner les avantages du recours à la langue unique. Parallèlement, les institutions doivent consentir en leur sein des efforts intensifs de formation linguistique. Concrètement et pour éviter toute discrimination, l’on pourrait suggérer, par exemple, que chaque fonctionnaire ou autre agent des institutions et organes de l’Union, quelles que soient sa nationalité et/ou langue d’expression, fasse l’effort d’utiliser, dans la communication orale des réunions internes de service, l’une des deux grandes langues de communication (EN ou FR) autre que la sienne pour les francophones et anglophones (sauf bien entendu si, d’un commun accord, les participants font un autre choix). Par rapport à la communication externe non officielle avec les citoyens des pays de l’Union (via les médias, les sites Internet, etc.), l’on devrait favoriser l’utilisation de groupes de langues différenciés – « à géométrie variable » - selon les besoins et compte tenu des inévitables contraintes de coût budgétaire.

Deuxième mesure : promouvoir la recherche dans les nouvelles technologies de la traduction et de l’interprétation
Promouvoir la recherche dans les nouvelles technologies de la traduction automatique et de l’interprétation orale.

Troisième mesure : limiter le multilinguisme maîtrisé aux langues officielles nationales
Ne pas étendre au niveau de la pratique des institutions de l’Union le multilinguisme aux langues minoritaires et régionales. En revanche, autre chose est de favoriser la promotion de ces langues aux niveaux national et régional.

Quatrième mesure : promouvoir un multilinguisme pragmatique, raisonnable et « à géométrie variable » selon les situations de communication
Réaffirmer solennellement (Conseil européen, Parlement, Commission, etc.) le principe de la diversité linguistique de l’Union. Parallèlement, penser un mode d’organisation et des modalités de fonctionnement tels que le multilinguisme soit perçu, non seulement comme maîtrisable, mais aussi comme une source d’enrichissement culturel : d’où la nécessité de favoriser la recherche de solutions pragmatiques, raisonnables et à géométrie variable selon les situations, plutôt que chercher à maîtriser le multilinguisme par une limitation réglementée. A cet effet, il sera utile de comparer les « bonnes pratiques » d’un multilinguisme pragmatique et à géométrie variable, en établissant une liste de pratiques vertueuses en la matière (annexe 1), comportant des exemples tirés de la communication externe et interne des institutions de l’Union et de la communication des organisations et associations de la société civile.

Cinquième mesure : établir une surveillance des pratiques externes et internes des institutions de l’Union en matière de multilinguisme
Proscrire la solution de facilité consistant dans le choix d'une langue parlée et écrite unique et l’option exclusive de l' EN. Le multilinguisme – sous une forme maîtrisée, mais pragmatique, raisonnable et praticable - doit être respecté non seulement dans le régime linguistique des institutions, mais aussi dans celui des organes et autres organismes (agences) de l’Union et dans les communications des organisations non gouvernementales et associations de la société civile actives au niveau de l’Union. A cet effet, il conviendrait d’établir une liste « grise » de pratiques négatives d’unilinguisme exclusif (annexe 2) et de favoriser une démarche volontariste visant à les proscrire. Par ailleurs, au plan international, il convient de défendre vigoureusement la diversité culturelle, en particulier en liaison avec l’action que déploie dans ce domaine les instances de la francophonie internationale.

Sixième mesure : promouvoir un multilinguisme maîtrisé plutôt que l’utilisation d’une langue unique artificielle
Tout en comprenant les motivations des partisans de l’adoption – forcément à très long terme - d’une langue commune telle que l’espéranto en tant que solution de substitution au multilinguisme, il convient de concentrer les efforts, à court et moyen terme, sur la définition d'un projet de multilinguisme pragmatique, raisonnable, praticable et à géométrie variable, tel qu’esquissé ci-dessus, susceptible de contribuer en outre à l'enrichissement culturel et linguistique des personnels des institutions et des populations de l'Union.

Septième mesure : pratiquer la tolérance mutuelle et la curiosité vis-à-vis de la langue de l’autre
Pratiquer dans le débat linguistique la tolérance mutuelle, utiliser – même avec quelques mots – la langue de l’autre et consentir au plan individuel un effort permanent de formation en vue de l’acquisition de langues supplémentaires.

[retour][1] Les opinions exprimées dans la présente contribution n’engagent que son auteur.

Annexe 1
Liste d’exemples positifs de multilinguisme à géométrie variable
1.1 Dans la communication externe des institutions, organes et organismes de l’Union
- Sites EUROPA et EUROPA FUTURUM

1.2 Dans la communication interne des institutions, organes et organismes de l’Union
- Informations administratives DE – FR – EN des institutions européennes
- Commission en Direct FR - EN (Gazette d’information du personnel de la Commission) (en dépit d’une certaine dérive vers EN)
- Informations FR – EN des organisations syndicales et des Comités du personnel des institutions européennes à Bruxelles et Luxembourg

1.3 Dans la communication interne et externe des ONG et associations de la société civile
- Site de Notre Europe, l’association française de Jacques Delors : FR – EN – et autres
- Site de la Fondation allemande Heinrich Boell : DE – ES - EN

Annexe 2
Liste d’exemples négatifs d’unilinguisme
2.1 Dans la communication externe des institutions, organes et organismes de l’Union
- l’unilinguisme quasi-exclusif ou exclusif EN de la Banque centrale européenne (BCE)
- l’unilinguisme exclusif EN de la dernière née des agences de l’Union, l’Agence européenne de la défense – European Defence Agency (AED – EDA)
- l’unilinguisme EN de certains sites de directions générales et services de la Commission européenne, tels que . . .

2.2 Dans la communication interne des institutions, organes et organismes de l’Union

2.3 Dans la communication interne et externe des ONG et associations de la société civile
- la déclaration du président du patronat . . . français (MEDEF) sur la langue unique, l’EN, du brevet communautaire (européen)
- l’unilinguisme EN des communications de certaines organisations importantes de la société civile, telles que . . .
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