Défense de la langue française
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Le français pour Laura Alcoba
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Dans Le Bleu des abeilles (Gallimard, 2013, 128 p., 15,90 €),
Laura Alcoba,
retrace sa vie d’écolière, la
découverte de la neige, la
correspondance qu’elle
entretient avec son père,
retenu prisonnier politique en
Argentine. Elle y décrit aussi
sa vie quotidienne dans une
banlieue parisienne et la
découverte émerveillée de la langue française. Tout cela forme une
chronique acidulée, joyeuse, profondément touchante. En voici un
extrait (p.72 et 73).
Les e muets me fascinent depuis le début. Je les ai aimés dès les
premiers cours de Noémie, à La Plata, dès que mon professeur de
français m’a fait découvrir le premier d’entre eux, celui qu’elle
cachait au bout de son prénom. Une voyelle muette ! Quand on ne
connaît que l’espagnol, on ne peut pas imaginer que de telles
choses existent – une voyelle qui est là mais qui se tait, ça alors !
J’étais plus que surprise – littéralement abasourdie. Et comme
exaltée, soudain : je voulais tout savoir à propos de la langue qui
était capable de faire des choses pareilles.
J’ai aimé mon premier e muet comme tous ceux qui ont suivi. Mais
c’est plus que ça, en vérité. Je crois que, tous autant qu’ils sont, je les
admire. Parfois, il me semble même que les e muets m’émeuvent, au
fond. Être à la fois indispensables et silencieuses : voilà quelque chose
que les voyelles, en espagnol, ne peuvent pas faire, quelque chose qui
leur échappera toujours. J’aime ces lettres muettes qui ne se laissent
pas attraper par la voix, ou alors à peine. C’est un peu comme si elles
ne montraient d’elles qu’une mèche de cheveux ou l’extrémité d’un
orteil pour se dérober aussitôt. À peine aperçues, elles se tapissent
dans l’ombre. À moins qu’elles ne se tiennent en embuscade ? Même si
je ne les entends pas, quand on m’adresse la parole, j’ai souvent
l’impression de les voir. Et plus j’apprends le français, plus vite je les
repère. Parfois, j’imagine que les voyelles muettes me voient aussi. De
mieux en mieux, me semble-t-il, à mesure que j’avance, comme si elles
avaient également appris à me connaître. Comme si, depuis leur
cachette, elles avaient une attention pour moi – un regard, un geste,
une manière de me rendre la pareille. J’aime nous imaginer dans
cette communication silencieuse. J’en viens à me sentir en connivence
avec l’orthographe française. Et j’adore ça.
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Laura Alcoba , née en 1968 en Argentine,
arrive
en France à l’âge de dix ans. Universitaire,
romancière et éditrice.
Diplômes : entre à l’École normale supérieure
(1989); maîtrise de lettres modernes (1991)sous la
direction de Florence Delay ; puis agrégation
d’espagnol ; thèse de doctorat (1999).
Carrière : maître de conférences à l’université de
Paris Ouest-Nanterre (littérature espagnole du
Siècle d’Or (XVIe et XVIIe siècles); traductrice ;
éditrice aux éditions du Seuil (depuis 2013).
Publications : Manèges (2007) Jardin blanc (2009)
Les Passagers de l’Anna C. (2012) Le Bleu des Abeilles
(2013).
Distinctions : prix de soutien de la Fondation Del
Duca (2013).
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