Défense de la langue française
• Siège administratif : 222, avenue de Versailles 75016 Paris • 01 42 65 08 87 • dlf.paris@club-internet.fr •
Le français pour Michel Bernardy
----------------------------------------
Invité d’honneur de notre déjeuner d’automne, sa présentation par Jacques Dhaussy , Michel
Bernardy nous a autorisés à reproduire des extraits
de son célèbre ouvrage : Le Jeu verbal. Le choix* fut
délicat tant cet ouvrage est passionnant. Il a été
publié en 1988, 1990, 1994 et 2004 aux éditions de
l’Aube. Une nouvelle version revue, corrigée et
augmentée, préfacée par Valère Novarina, est
publiée par l’Âge d’Homme (216 p., 22 €), et vient
de recevoir le prix Émile-Augier de l’Académie
française.
Le chant profond de notre langue est chaque jour altéré par la
civilisation mécanique et ses moyens considérables. Le jargon
règne, et le langage français en est opprimé au point qu’il nous
le faut sans cesse réapprendre, et non seulement l’actuel, mais
encore celui des siècles passés. L’erreur s’affiche, et la vérité n’est
plus perçue comme évidente. Le monde verbal est à reconquérir.
Il forme l’individualité d’un peuple au-delà des frontières d’une
nation. Les acteurs y doivent être sensibles. Leur rôle est
d’interroger la parole en un temps où l’image prévaut, comme
l’ont interrogée les poètes, qui savent de quoi est fait le talent
d’un autre poète, le génie d’une langue et sur quoi repose le
mystère de la parole.
On n’habite pas un pays, on habite une langue.
Cioran, Aveux et anathèmes.
Si, au regard de la norme du langage qu’il utilise, un enfant
prend conscience que « sur un arbre perché » ne veut rien dire,
mais que « perché sur un arbre » est habituellement admis comme
significatif, et que le poète a joué avec l’ordre des mots, il ouvrira
son esprit à d’autres possibles que peut lui offrir son propre
langage, il sera prêt à accueillir la nouveauté des langues
étrangères contenues dans sa langue maternelle, et, partant, la
singularité de celles que l’on parle ailleurs qu’en son pays.
Or le langage énergumène est aujourd’hui le langage officiel
proféré par les media, avec son vocabulaire réduit, sa syntaxe
élémentaire et répétitive, ses tics qui se propagent comme des
virus, ses néologismes barbares et ses anglicismes, son phrasé
haché, conditionné par la lecture d’un texte qui défile sous la
caméra. Et je ne parle pas des clichés d’intonation des voix off.
Aussi les jeunes de vingt ans, lassés d’un signifié sans signifiance,
sont-ils fascinés par un langage autre qu’ils interrogent, une
signifiance dont ils pressentent un signifié plus vaste, en même
temps que plus apte à désigner ce qui les distingue.
Et Racine pour eux n’est point mort, non plus que Molière.
[…] Ils sentent qu’il y a derrière les mots, la singularité des
tournures, l’archaïsme de certains vocables, une vérité tangible
qui les concerne, et à laquelle rien dans les études ne les prépare,
car seules – et cela est inéluctable, étant donné la compétition
internationale – sont privilégiées les matières monnayables, au
détriment de celles qui naguère structuraient la pensée de
l’honnête homme, et lui permettaient de trouver, sinon le bonheur,
du moins une certaine liberté mentale.
• Siège administratif : 222, avenue de Versailles 75016 Paris •