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Le français pour Benoît Duteurtre
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Invité d’honneur du déjeuner du
20 octobre, l’écrivain et musicologue
Benoît Duteurtre s’est d’abord
inquiété – à juste titre – du déclin de la
musique française, pour en venir ensuite
à l’objet principal de notre Association.
Voici des extraits de cette partie de son
intervention.
Quant à la langue française, les nouvelles
ne sont pas très bonnes non plus. Vous avez
sans doute vu hier que les professeurs des écoles françaises sont
atteints par un mal nouveau qui s’appelle le «
burn out ». Je me suis
demandé pourquoi
Le Monde avait besoin d’utiliser ce mot anglais
plutôt qu’un équivalent français. J’écoute aussi la radio. Je crois que
la proportion de mots anglais par phrase, y compris sur les chaînes
publiques, augmente d’une façon terrible. J’ai l’impression que c’est
un phénomène continu depuis déjà quelques décennies, mais que,
tout d’un coup, on est entré dans une phase d’accélération et qu’on
est au moment où les choses basculent et où l’anglais est en train de
devenir pratiquement la langue principale de l’Europe. Récemment,
je me baladais dans le forum des Halles et j’ai vu un magasin de
chaussures « Shoe Store ». Mais ce n’était pas des chaussures
anglaises, c’était simplement des chaussures. Pourquoi fallait-il
baptiser ce magasin d’un mot anglais, alors qu’on pourrait le dire en
français ? En fait, je me suis dit que la simple utilisation du même mot
en anglais donne une espèce de supplément de modernité à celui qui le prononce, à celui qui l’utilise et au produit qu’il désigne. C’est un
phénomène immense, énorme, auquel on ne peut pas grand-chose.
Un de mes neveux, à propos de quelque objet qui lui avait plu, me
disait « c’était vraiment très
staïle (style) ». Comme si le même mot
prononcé à l’anglaise apportait quelque chose de plus. Face à cette
situation, on peut avoir deux attitudes : ou, ce qui n’est pas
totalement déraisonnable, on se dit : « C’est un phénomène
tellement fort qu’on n’y peut rien. » Ou on se demande à quelle
échelle on peut réfléchir et peut-être se battre, d’une façon qui ne
paraisse pas seulement passéiste. Je pense que c’est à l’échelle de
l’Europe qu’il faut agir aujourd’hui. Je suis content, d’ailleurs, que
Jean Quatremer ait reçu le prix Richelieu, parce que son blog sur la
question de l’anglais à Bruxelles est vraiment passionnant. Car c’est à
l’échelle européenne que les choses ont vraiment basculé. Je me pose
la question : « C’est quoi, l’Europe ? » C’est à la fois une culture
commune et une mosaïque de cultures extrêmement différenciées,
avec chacune sa langue. Si on ne commence pas par prendre en
considération cette idée même de l’Europe, on est simplement dans
l’application d’un modèle américain, qui serait à terme unifié par
l’anglais. C’est ce qui se produit depuis dix ans. Les Français et les
Allemands n’ont opposé aucune résistance à ce phénomène, d’autant
moins que les Anglais eux-mêmes, trop contents de voir l’Empire
s’étendre, ont joué très subtilement la partie. L’absence de résistance
des pouvoirs publics français est préoccupante. Je pense qu’on doit
vraiment s’attacher à défendre l’idée que l’Europe est un ensemble
avec plusieurs langues et non pas un ensemble unifié par l’anglais. Je
crois que ce combat est encore relativement jouable. Il suffirait que
les Allemands s’allient aux Français pour défendre l’idée de plusieurs
langues de travail pour que, dans les faits, on ne bascule pas vers
l’anglais. Donc, je crois qu’on peut se battre encore à l’échelle
européenne pour la défense de la langue française. J’espère qu’on
continuera à le faire et je pense qu’il faut aussi bien sûr se battre à
l’échelle française, notamment contre l’invasion de mots anglais et
des anglicismes. Sur France Info maintenant, lorsqu’on fait un
reportage dans un pays étranger de langue non anglaise, le journaliste pose ses questions en anglais. Ainsi, une radio d’État
française va poser ses questions en anglais aux Libyens, J’imagine
qu’à Radio France on devrait pouvoir se battre pour que des
interprètes soient de nouveau utilisés et qu’on interroge chaque
personne dans la langue de son pays comme cela fut l’usage à la radio
française jusqu’à une époque récente.
Voilà quelques petites réflexions qui me venaient à l’esprit à
l’occasion de ce déjeuner. Mais il y en a beaucoup d’autres. Je voulais
simplement vous dire le plaisir que j’ai d’être avec vous et l’utilité du
combat que vous menez – même si, profondément, dans mon
pessimisme raisonnable, je pense que la cause est... assez mal partie,
mais qu’il importe toujours de se battre.
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Benoît Duteurtre, écrivain, musicologue. né en 1960 à
Sainte-Adresse (Seine-Maritime).
Diplômes : Licence de musicologie.
Carrière : critique musical et journaliste (depuis 1985),
notamment pour Le Monde de la musique, Diapason, Elle,
Les Lettres françaises, L’Événement du jeudi, L’Idiot international,
Paris Match et Le Figaro magazine, critique musical
et journaliste à Marianne (depuis 1997), critique littéraire
au Figaro littéraire (depuis 1998), chroniqueur musical à
Classica (depuis 2009) ; conseiller artistique de la Biennale
de la musique française à Lyon (1991), de la fondation
Singer Polignac, directeur de la collection « Solfèges » aux
éditions du Seuil (1991-97), fondateur et directeur de
l’association Musique nouvelle en liberté (depuis 1991),
producteur (depuis 1997) à France Musique de l’émission
« Étonnez-moi, Benoît », chroniqueur au magazine Rive
droite rive gauche sur Paris Première (1999) ; membre du
comité de lecture des éditions Denoël (depuis 2002).
Parmi ses oeuvres : Sommeil perdu (1985), Gaieté parisienne
(1996), Drôle de temps (1997, prix de la nouvelle de
l’Académie française), L’Opérette en France (1997, prix
Pelléas 1998), Les Malentendus (1999, prix Charles Oulmont
1999), Le Voyage en France (2001, prix Médicis 2001), Le
Grand Embouteillage (2002), Service clientèle (2003), Chemins
de fer (2006), La Cité heureuse (2007), Les Pieds dans l’eau
(2008), Ballets roses (2009), Le Retour du Général (2010),
L’Été 76 (2011) ; auteur de la série TV Les Folies de l’opérette
(2001) et de la comédie musicale Viva l’Opéra (comique) !
ou le fantôme de l’Opéra-Comique (2004).
Décoration : officier des Arts et des Lettres.
(D’après le Who’s Who 2012.)
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