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Le français pour Louis Bachoud
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Invité le 14 novembre à
évoquer la restauration de son château
fort de Droisy, l’architecte Louis
Bachoud a commencé son exposé par
une déclaration d’amour à la langue
française. C’est donc des extraits de ce
passage que nous reproduisons, laissant
aux lecteurs le soin de lire la suite sur le
site de DLF ou de dévorer le passionnant
ouvrage : Histoire de pierres (Valensin,
2016, 190 p., 23 €).
Certains parmi vous me connaissent, d’autres me voient apparaître. Je
suis un pied-noir fier de ses origines. J’ai vécu d’abord en exilé nomade
dans le monde, comme architecte, et ensuite devenu plus métropolitain,
comme restaurateur d’un château fort oublié du XII
e siècle.
Ma seule patrie est donc la langue française, comme l’a énoncé Albert
Camus. Vous savez cependant, comme l’exprime Marie du Deffand que :
«
La vie se passe... en absence, on est toujours entre le souvenir, le regret et
l’espérance. » (
Maximes et Pensées, 1780.)
Je suis donc enfin parmi vous... avec l’espoir de participer à la défense
de la langue qui me porte. En effet, j’arrive au moment où les
falsifications et modifications de la langue française prennent une
dimension qui me force à réagir.
Parler du sexe de la grammaire alors que le système scolaire souffre de
maux bien plus préoccupants me semble très frivole. 314 professeurs
de français s’engagent à ne plus enseigner la règle d’accord selon laquelle le masculin l’emporte sur le féminin. Cela rappelle Constantinople en
1453. Alors que les forces turques s’apprêtaient à entrer dans la ville, le
clergé byzantin était occupé à discuter de la question transcendantale
du sexe des anges, facilitant ainsi la prise de la ville. [...] Il me devient
donc essentiel, impérieux pour moi, de me joindre au carré des hussards
de la défense de la langue française pour qu’elle ne soit pas atrophiée,
estropiée et que la culture française soit restaurée dans sa véritable
grandeur.
Je suis né dans le port d’Alger, sur un bateau qui partait vers la Grèce.
[...] et ne revint vers la France et ensuite l’Algérie que chassé par
l’ennemi nazi ou fasciste [...].
Ces années d’enfance, puis d’adolescence, passées en ces lieux, sont des
éclats lumineux de vie dans l’empilement des années d’exil.
En ces temps-là, les religions étaient des traditions que nous fêtions
ensemble, musulmans, juifs et chrétiens. Le douar de Boucaid, où j’ai
habité, était alors un hameau, et tous les gourbis m’étaient ouverts. La
beauté des paysages, la proximité des animaux, l’apprentissage d’une
rude nature, le parler carné de ces hommes calmes et hospitaliers m’ont
fait écrire le conte maghrébin
L’Oiseau des profondeurs, que je dédie à
ces années où l’Algérie était un pays de peuplement qui générait une
culture française assimilant, lentement, trop lentement peut-être, les
différences entre peuples. Je voulais être professeur de latin-grec et par
là même, intuitivement, lier un passé linguistique à mon avenir de citoyen
français et enseigner, dans le pays maghrébin, cette langue que le comte
de Rivarol qualifiait de «
sûre, sociale, raisonnable, ce n’est plus la langue
française, c’est la langue humaine ».
Je fermai la porte de mon pays natal en 1962, quelques semaines avant
les accords d’Évian. [...] Mon seul bagage était la culture française dont
nous étions nourris. [...]
Ma patrie reste donc uniquement la culture française, qui s’exprime par
la langue, la création artistique, la spiritualité, l’éthique, la vie de l’esprit,
la connaissance, l’étude de la nature. [...] Ce bien m’était précieux et
je l’ai porté par mon travail d’architecte à travers le monde, dans ses
expressions les plus connues, la langue, le patrimoine bâti, les arts architecturaux, littéraires et picturaux, la rigueur de la pensée, le doute
dans la création, le bien vivre et la cuisine. En un mot, j’étais fièrement
un représentant de la Culture française.
Les évènements ont voulu que je rencontre en 1980 des pierres qui
m’ont parlé. Le hasard n’existe pas. «
Il n’y a rien de contingent dans la
nature », affirme catégoriquement Spinoza dans son
Éthique. «
Toutes les
choses existent par nécessité, et leurs relations causales sont également déterminées
par nécessité. »
Il était donc nécessaire que cet exilé restaure et fasse revivre un tas de
pierres qui enfermait un fragment de l’histoire nationale. C’était une
conquête et une implantation définitives. Il était donc essentiel que je
m’ancre dans ce champ de ruines perché sur la rive d’un ru qui s’appelle
la Crise.
À cent kilomètres de Paris. [...] Une tour qui s’ouvrait comme quartiers
d’orange. Des bâtiments construits sur d’autres. Des logis démembrés.
Une terre nue, abandonnée. J’en devenais propriétaire en 1980 [...].
Je continue donc à enrichir ce qui m’a été donné et que je juge le plus
précieux pour moi : la culture et la civilisation françaises.[...]
Le travail à réaliser était immense. Il fallait [...] faire revivre neuf cents ans
d’histoire et de savoir-faire...
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Louis Bachoud, architecte, est né en 1935 à
Alger.
Formation : ingénieur des Arts et Métiers.
Carrière : architecte, urbaniste, chargé de cours
à l’université Robert-Schuman de Strasbourg,
professeur au Cefac (Centre d’études et de
formation des assistants techniques du
commerce, des services, du tourisme) et à l’AFE
(Association française d’éclairage). Il a vécu et
construit dans de nombreux pays d’Occident
et d’Afrique.
Œuvres : Guide des droits du citadin. Contre les
abus de l’urbanisme (Seuil, 1999, en col. avec
Olivier Chazoule).
Patrimoine culturel bâti et
paysager (Delmas, 2002, en col. avec Philippe
Jacob et Bernard Toulier).
Histoire de pierres.
L’Oiseau des profondeurs (Valensin,
2016) et L’Algie (Valensin, 2017).
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