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La langue française
pour...
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Le secrétaire définitivement provisoire de l’OULIPO
(OUVROIR DE LITTÉRATURE POTENTIELLE)
«
C’est à coup de références purement
littéraires que je m’exhortais à ne pas
tomber trop tôt dans les filets de la
littérature », écrit le professeur
Marcel
Bénabou qui cumule ses fonctions
actuelles avec celle de secrétaire
provisoirement définitif de l’OULIPO.
«
Et puis, il faut bien l’avouer, j’avais parfois d’autres alibis. Je me disais
qu’il y avait mieux à faire. Il fallait vivre. S’épanouir. Exulter et jubiler.
Accumuler les joies. Varier les voluptés et les plaisirs. Collectionner les
moments de liesse et de délectation, d’allégresse et de ravissement. Faire
le tour enfin de tous les enchantements. Je voyais s’accorder sur un seul
mot les leçons des maîtres dont je m’étais gavé : jouir. Carpe diem! Les
roses de la vie ! Mignonne allons voir ! La magique étude du bonheur !. [...]
Vivez si m’en croyez ! Si tu t’imagines Xava xava xava ! [...]
Je me souvenais, opportunément dans ces moments-là, que j’étais
méditerranéen et que [...] je ne devais pas avoir honte, après tout, d’aimer
encore la mer et le soleil, le sable et le sel. [...] J’allais avoir ainsi de
quoi nourrir l’oeuvre à venir... »
Une oeuvre considérable de très nombreux ouvrages
1 (dont certains
sont perçus comme des « classiques » :
Pourquoi je n’ai écrit aucun de mes livres2 – prix de l’Humour noir –,
Écrire pour Tamara3...),
d’une écriture charnelle, témoignant d’une volonté d’osmose
entre mots et état d’esprit. OEuvre particulièrement
remarquée et admirée par le jury du prix Bernard-
Landry de la Francophilie [voir
DLF n° 275, p. 12].
Né à Meknès, Marcel Bénabou passe sa jeunesse au
Maroc jusqu’à l’adolescence. Il arrive à Paris à l’âge
de dix-sept ans et entre au lycée Louis-le-Grand.
L’ancien élève de l’École normale supérieure,
agrégé de l’Université, est professeur émérite d’histoire romaine de
l’université Paris-VII. Ses travaux portent sur la Rome antique, en
particulier l’Afrique romaine et les processus d’acculturation et de
romanisation qui sont à l’oeuvre dans ses provinces. Il devient
membre de l’Ouvroir de Littérature Potentielle (ou OuLiPo) en
1970, peu après son ami Georges Perec. Ses travaux oulipiens portent
souvent sur la genèse de l’oeuvre littéraire, l’autobiographie.
Dès l’enfance, dans l’entourage immédiat de Marcel Bénabou,
trois langues au moins se côtoient : le français, l’arabe et l’hébreu.
Mais, bien qu’inégalement maîtrisées, inégalement utilisées,
inégalement révérées, ces trois langues jouent des rôles importants et
soigneusement distincts. Viennent s’ajouter quelques bribes
d’espagnol et d’araméen. En tête arrive, bien entendu, le français,
objet d’un apprentissage approfondi et vécu dans sa tradition
familiale comme une véritable initiation ; la langue de la conversation
« noble », de la vie intellectuelle, de l’écriture...
Ainsi, d’une manière précoce, Marcel Bénabou découvre que le
maniement de ces diverses langues exige une gymnastique
intellectuelle particulière, qui lui donne le goût du jeu avec les mots.
L’OuLiPo ne pouvait que répondre à ses aspirations : maîtriser le
système qu’est le langage, le sortir de son fonctionnement routinier.
Le forcer à révéler ses ressources cachées.
S’il y a un contresens à éviter à propos de l’OuLiPo, c’est bien de le
considérer comme une bande de joyeux farfelus. Depuis plus de
soixante ans, ce groupe de travail rassemble mathématiciens,
physiciens, linguistes et écrivains amoureux du langage. Amis des
contraintes volontaires, mais formelles, les oulipiens s’intéressent,
d’une manière souvent humoristique, à la façon dont un texte peut
naître en appliquant dans son écriture une consigne qui stimule
l’imagination et la libère. En ressort une langue riche et pleine de
fantaisie.
S’agit-il d’un projet philosophique et humaniste ? À l’Oulipo, le
sérieux est mis presque sur le même plan que le rire, qui cache
souvent une interrogation métaphysique. Car, chez ses membres,
demeure un rapport à l’Histoire. Il suffit de songer à Georges Perec
qui écrit
La Disparition à partir de l’absence de ses parents disparus
en camp de concentration. Quand on se prive d’une lettre aussi
courante que le « e », c’est aussi une contrainte violente sur la langue,
même si cela est abordé de manière ludique.
« L’
OuLiPo n’est pas une exhibition de virtuosité, souligne le professeur
Bénabou,
mais un tête-à-tête avec le langage, une exploration de
virtualités. » Car finalement
« Éc-rire, à bien y regarder, qu’est-ce d’autre
que tracer deux lettres puis rire ? »
Hélène Tirole
1. Notamment :
–
Jette ce livre avant qu’il soit trop tard (Seghers, 1992).
–
Jacob, Menahem et Mimoun. Une épopée familiale (Seuil, 1995).
–
Georges Perec, What a man (Le Castor astral, 1996).
–
Résidence d’hiver (Le Verger, 2001).
– L’appentis revisité (Berg International, 2003).
–
Anthologie de l’Oulipo (Gallimard, 2009).
2. Seuil, 2010, 208 pages, 15,20 €.
3. PUF, 2002.