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Le français pour François Busnel
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Après avoir reçu une médaille de la
Monnaie de Paris et L’Opéra royal
de Versailles, superbe livre de notre
président Philippe Beaussant, de
l’Académie française, le lauréat du
prix Richelieu 2015 remercie.
Je dédie ce prix aux téléspectateurs qui,
très souvent, m’abordent, m’écrivent, pour
me dire que la langue française leur faisait
peur mais que le spectacle d’un écrivain ou
d’une romancière évoquant son nouveau livre avec les mots justes les a
totalement débloqués et leur a rendu leur langue.
Mais je dois vous faire un aveu terrible. Un aveu qui, peut-être, vous
conduira à reprendre ce prix...
Je dois confesser, à ma grande honte, que je n’ai jamais aimé celui dont
vous m’honorez aujourd’hui. Non pas le prix, pour être tout à fait exact,
mais l’homme. Richelieu. Ah, Richelieu !
Nourri dès l’enfance par Alexandre Dumas, Richelieu fut pour moi
l’incarnation du diable. « L’homme en rouge », écrivait Dumas, face aux
mousquetaires. Quand on découvre la langue française, que voulez-vous,
on ne la découvre pas avec les machinations diplomatiques d’un cardinal
(fût-il fondateur de l’Académie française) mais avec les gasconnades de
d’Artagnan, les mignardises d’Aramis, les sentences mystérieuses et sombres d’Athos, le vocabulaire rabelaisien de Porthos : remarquez que ces
quatre langues cohabitent admirablement en une seule et se passent de
celle, politique et diplomatique, employée par le cardinal de Richelieu.
Bref, Richelieu, enfant, m’était haïssable.
Ce nom n’eut pas davantage de succès, quelques années plus tard, lorsque
je découvris le livre qui allait changer ma vie et me précipiter dans le métier
qu’aujourd’hui vous récompensez. Ce livre, le voici :
Cyrano de Bergerac, sans
doute l’un des plus beaux hommages à la langue française. Dans la pièce
de Rostand, Richelieu est l’oncle du comte de Guiche et ce dernier,
souvenez-vous, a l’imprudence de lancer à Cyrano, non sans avoir tenté de
l’assassiner :
« Un poète est un luxe aujourd’hui qu’on se donne. Voulez-vous être
à moi ? – Non, Monsieur, à personne. – Votre verve amusa mon oncle Richelieu,
hier. Je veux vous servir auprès de lui. – Grand Dieu ! – Vous avez bien rimé cinq
actes, j’imagine ? » Le Bret à l’oreille de Cyrano : «
Tu vas faire jouer, mon cher,
ton Agrippine
! – Portez-les lui. – Vraiment... – Il est des plus experts. Il vous
corrigera seulement quelques vers… – Impossible, Monsieur ; mon sang se coagule
en pensant qu’on y peut changer une virgule. »
Tout est là : la langue française dans sa plus belle illustration, dans sa plus
belle défense ! En alexandrins, en rimes et en beauté : mourir pour une
virgule.
Ce que nous dit Cyrano, et que j’ai découvert bien jeune, c’est que la
langue est ce que nous possédons de plus précieux. Et on n’abdique pas ce
que l’on a de plus précieux. Suivra la fameuse tirade des « non, merci ! ».
Mais aujourd’hui, à cette tirade je ne souscris pas et vous dis, du fond du
coeur : oui, merci.
Merci de considérer que la télévision, la presse écrite et la radio peuvent
être aujourd’hui au service de la langue française. C’est en tout cas ce que
je crois, ce que je m’efforce de montrer à
L’Express et à
Lire, dans « La
Grande Librairie » aujourd’hui et sur France Inter hier.
À la télévision, je pratique exclusivement le direct, car le direct c’est la vie.
Pourtant, le direct est propice à tous les écarts de langage : le pléonasme,
la répétition, l’apocope (un docu, un réac...), un emploi des temps
anarchique, le politiquement correct (un élément de langage pour parler de la langue de bois) et, pire que tout, l’anglicisme. Je n’ai rien contre
l’anglais, pas plus que contre le turc, l’ouzbek ou le corse, mais nous
pourrions au moins franciser. Forger de nouveaux mots est une occupation
à la fois saine et amusante : il existe une créativité lexicale qui devrait être
une fête de l’esprit. Enrichir le français, l’adapter à la vie moderne, soit,
mais à condition de faire rayonner le français et non de l’appauvrir.
Parler un beau français (plus qu’un bon français), telle est la mission de
l’école. Mais je crois aussi que la télévision, du moins sur le service public,
doit être l’école du peuple.
À la télévision, je cherche à donner à ceux qui me regardent l’envie de
lire. Car je crois que c’est par là que nous parviendrons à redonner à notre
langue force et tenue. Ce qui compte est moins l’histoire que la façon dont
elle est racontée. Je cherche le mot juste. Le mot qui dit la chose. C’est dans
ces mots que se reconnaissent les téléspectateurs.
Vous m’avez posé une question, absolument capitale, et je voudrais y
répondre :
«
Comment intéresser les Français à leur langue ? »
C’est la question la plus importante, la plus passionnante. La seule qui
vaille, à mes yeux. La solution tient peut-être au respect des quatre points
suivants :
1. Remplacer le mépris par l’admiration. Il est de bon ton, aujourd’hui,
de ricaner, de moquer, de railler. Internet et la télévision, notamment, et
désormais la presse écrite et quelques écrivains en manque de notoriété
jouent un rôle détestable dans ce bouleversement des valeurs. On n’ose
plus être enthousiaste, admiratif, curieux, tant on craint de passer pour un
benêt. Or on peut admirer sans flatter, aimer sans flagorner. Tout est là !
Admirons, aimons, soyons curieux de tout, pratiquons la courte échelle
lorsque l’époque est au croche-patte : les mots viendront et la langue, enfin,
se déploiera. On ne peut s’élever sans admiration.
2. Refuser la résignation. L’esprit du temps est au défaitisme : c’est cela
qu’il faut combattre. Si le point précédent (que je résumerais par l’équation
mathématico-littéraire suivante : curiosité + admiration x 2 + enthousiasme
au carré =
carpe diem = liberté), si ce point a été compris, alors nous avons
les armes pour ne jamais nous résigner.
3. Lire. Tout, et surtout les bons écrivains. La France, aujourd’hui, n’en
manque pas, il suffit de s’adonner (point 1) à la curiosité pour les découvrir.
La lecture est le meilleur moyen de s’armer pour affronter le quotidien et
l’unique façon de mettre des mots sur ce que l’on ressent. Le langage ne
sert pas seulement à communiquer mais à découvrir : nuance ! On ne peut
le faire que par la littérature. La littérature est une attention, fraternelle et
sans limites, dans un monde démesurément inattentif. Attention aux mots
en premier lieu, parce que la langue est la voie d’accès au réel, et à travers
elle, par elle, le chemin qui conduit aux êtres, aux heures, aux destins, aux
paysages, à l’enfance, à la joie et – qui sait ? – peut-être au bonheur.
4. Encourager l’utilisation des dictionnaires. Il en existe de très nombreux,
qui contribuent au « gai savoir » : drôles, amusants, simples d’utilisation...
On ne peut intéresser les Français à leur langue qu’en leur rappelant que
cette langue est affaire de plaisir. Revaloriser le plaisir, qui relève de l’art
et de l’esthétique, est un enjeu fondamental : tout comme la gastronomie
diffère de la bouffe, tout comme l’érotisme écarte de la baise, la langue
française éloigne de la barbarie. Apprendre sa langue, c’est s’élever audessus
de la boue, conquérir sa liberté. La langue est la voie d’accès au réel,
aux êtres, aux autres. Et à soi.
Je vous remercie et j’approuve ici, sans être au seuil de mon tombeau :
Richelieu a du génie, et le français est beau.
François Busnel, né en 1969. Journaliste.
Diplôme : DEA de philosophie.
Carrière : producteur et présentateur de l’émission quotidienne
« Envie de lire » sur BFM (1996-2002).
- Chroniqueur littéraire aux
Dernières Nouvelles d’Alsace (1997-2004).
- Présentateur des « Écrans du
savoir »sur la Cinquième (1999-2000) et des « Livres de la 8 » sur
Direct 8 (2005-08).
- Rédacteur en chef adjoint du service culture (2001-
04), rédacteur en chef du service Livres (2007), éditorialiste (depuis
2007) à L’Express.
- Chroniqueur à « Vol de nuit » sur TF1 (2001) et à
France Info (depuis 2005).
- Directeur de la rédaction de Lire (depuis
2004).
- Présentateur de « La Grande Librairie » sur France 5 (depuis
2008).
OEuvres et travaux : Mythologie grecque (2002) ; Mythologies (série de
26 épisodes pour La Cinquième) ; Les écrivains new-yorkais face au
11 septembre (documentaire écrit et réalisé pour TF1).
Décoration : chevalier des Arts et des Lettres (2015).
Distinction : Prix de la critique (1999).
(D’après le Who’s Who 2015.)
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