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Le français pour Bruno Dewaele
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Nous remercions Bruno Dewaele,
non seulement de son intervention lors
du déjeuner du 29 mars, mais aussi du
compte rendu qu'il a eu la gentillesse de
nous fournir.
Bruno Dewaele était notre invité d’honneur, le 29 mars, au palais du
Luxembourg. Ami de DLF de longue date, celui qui fut sacré
champion du monde d’orthographe par Bernard Pivot à la tribune de
l’ONU, en 1992, nous a fait part de son expérience de chroniqueur
de langue. À
La Voix du Nord d’abord (plus de mille articles depuis
trente ans), à la revue
Lire Magazine ensuite, laquelle lui a confié une
bonne part de ses pages « Langue française ».
L’orateur en a profité pour faire un clin d’oeil à la devise de notre
association, qu’il s’ingénie depuis toujours à faire sienne, quand il ne
serait pas loin d’y voir un idéal plus exigeant qu’il n’y paraît. « Ni
laxisme ni purisme », un footballeur dirait sans doute qu’il y a... la
place, mais il n’est rien moins que facile de savoir où mettre le
curseur : c’est que l’on est toujours, quoi qu’on fasse, le puriste ou le
laxiste de quelqu’un ! Il a ainsi reconnu avoir évolué sur nombre de
sujets qui lui paraissent liés aux inévitables mutations de la langue, ou
relever d’un dogmatisme plus convenu que raisonné. Faut-il encore
stigmatiser la goujaterie de celui qui « s’excuse » quand la plupart des
grammairiens d’aujourd’hui reconnaissent que, s’agissant moins d’un
accidentellement pronominal que d’un pronominal non réfléchi, il n’est en rien question de s’accorder son pardon (pas plus qu’on ne
s’empoigne quand on se saisit d’un balai, on ne se blanchit quand on
s’excuse) ? De même, la confusion entre
deuxième et
second est-elle
toujours à dénoncer quand on s’aperçoit que, jadis, c’était au premier
d’entre eux qu’il revenait de désigner ce qui n’était pas suivi d’un
troisième ? Les rôles n’ont été redistribués que parce que, dans
l’intervalle,
deuxième est devenu plus fréquent que second : un peu
maigre pour hurler avec les loups !
Notre homme s’est dit autrement préoccupé par bon nombre de
dérives qui, elles, mettent en péril l’intégrité de notre langue. La
disparition de l’accord du participe passé par exemple, jusque dans la
bouche de prétendus « sachants »... N’entendons pas seulement par
là celui du participe conjugué avec
avoir quand le COD le précède,
mais aussi avec
être, voire sans auxiliaire ! On ne compte plus, aux
étranges lucarnes, les mesures qui ont été
pris, les propositions qui
ont été
faits. On y a même entendu un jour qu’Élisabeth Borne
n’avait pas été
reconduit à la tête du gouvernement : bonjour la
« visibilité » chère à nos féministes ! Les mesures de simplification
réclamées par nos linguistes plus ou moins atterrés sont mort-nées : si
l’usager n’est plus même capable d’accorder un participe quand il fait
office d’adjectif, c’est la notion même d’accord qu’il sied
d’abandonner, pour s’aligner sur l’idiome largement asexué de nos
voisins d’outre-Manche...
À tant faire que de parler d’anglomanie, l’intransigeance devrait
également rester de règle face à cette contamination qui va bien audelà
des emprunts occasionnels, et d’autant plus dangereuse qu’elle
est larvée. Force mots de notre lexique se trouvent en effet vidés de
leur sens, pour adopter celui que leur donne Albion :
versatile fait
désormais moins dans l’inconstance que dans la polyvalence,
choquer
impressionne plus qu’il ne froisse. Quant à notre syntaxe, elle file elle
aussi à l’anglaise, à l’instar de ce
dû à mué en locution prépositive sur
le modèle de
due to.
Autre crève-coeur, notre conjugaison, à laquelle on fait
quotidiennement subir mille morts. Il ne s’agit pas ici de moquer Mathilde Panot (encore qu’on puisse le faire par prétérition) parce
qu’elle a déploré il y a peu, au micro de RTL, que les femmes se
voient reprocher la façon dont elles se...
vêtissent. Apparaît plus
dangereux à notre visiteur le manque de maîtrise des temps et des
modes chez les scolaires d’aujourd’hui... et d’hier, prompts à enrôler
imparfait, futur simple et conditionnel présent sous une seule et
même bannière.
Que dire des dégâts causés par une écriture inclusive sans foi ni loi, qui
féminise à tout-va ? On répugne de moins en moins à mettre en avant
une membre du conseil municipal, à faire de M
me Borne (toujours
elle !)
la fusible du président de la République. Faudra-t-il exiger, au
nom de la parité comme de la plus élémentaire justice, que le soldat
mâle qui tombe sous les balles ennemies devienne
un victime ?
On allait oublier : tout ce qui précède a été abordé sous l’angle de
l’humour. Comme il se serait dit, naguère, sous une enseigne de prêtà-
porter, la vie est trop courte pour s’indigner triste !
Bruno Dewaele, écrivain, blogueur et chroniqueur, est né en1953 à Hazebrouck.
Carrière : agrégé de lettres modernes à 22 ans, il sera professeur à Lille et à Roubaix ,
avant de revenir enseigner, en 1977, dans sa ville natale.
Il remporte, en 1985, les championnats de France d’orthographe de Bernard Pivot.
En1992, il reçoit le titre de « champion du monde d’orthographe » à l’ONU à New York.
et, en 2006, celui de « grand champion de la dictée des Amériques » à l’Assemblée
nationale du Québec. Chroniqueur depuis 1995 à La Voix du Nord, dont il anime le blogue
À la fortune du mot, il rédige trois pages de langue française pour Lire Magazine depuis
2014. Il a également son propre site : « Par mots et par vaux ».
Décorations : chevalier de l’Ordre national du Mérite, officier des Palmes académiques
et chevalier des Arts et des Lettres.
Parmi ses oeuvres : Comme sur des roulottes ! (1984, lauréat du prix de l'Académie des
Treize) et Les Allées d’Étigny (1992, lauréat de la médaille d’or de l’Académie des sciences,
lettres et arts d’Arras, et du Prix de la nouvelle de la Renaissance française du Nord-Pasde-
Calais). À la fortune du mot (2001), Une faute par jour (2015), De l’Aborigène au Zizi
(2016), Le Grand Livre des dictées (2018), Cherchez la faute (2024).
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