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Invité d’honneur, au déjeuner du 10 octobre 2024, Axel Maugey a eu la gentillesse de nous tranmettre le résumé de sa conférence.


La marque majeure de l’esprit français, c’est de pouvoir accroître la liberté. Au fil des siècles, notre esprit a été formé par les cultures antiques notamment grecque et latine, mais aussi religieuses. Puis au fil du temps, par celles de nos amis venus de peuples proches comme les Italiens, les Allemands, les Espagnols, les Portugais, les Anglais et plus lointains, tels les Russes, les Arabes, les Japonais, les Chinois, sans oublier tous les autres plus récemment venus des Amériques, de l’Afrique noire longtemps méconnue ou de l’Asie multiple, inconnue.

L’esprit français prend sa source dans une langue structurée, une langue claire, précise, exacte, chère à nos siècles les plus glorieux. La polysémie du français accroît assurément la liberté, comme nous l’avons souligné. En somme, la France naissante (elle a eu en vérité plusieurs naissances) s’approprie l’héritage de ceux à qui elle s’identifie ou s’oppose.

Au XIXe siècle, sous la IIIe République, la colonisation ouvre notre langue à de nouvelles influences. Aujourd’hui, au XXIe siècle, le français doit se frayer un chemin dans un monde de plus en plus éclaté et vociférant. Il en a assurément la capacité, malgré une poussée très forte de l’ignorance.

L’esprit français s’incarne dans de nombreuses expressions, notamment dans la séduction. Molière, l’incomparable Molière, en connaît un brin sur le sujet. Avec Voltaire et La Fontaine, il ne cesse de nous fasciner. « On cherche ce qu’il dit après qu’il a parlé », affirme Chrysale, à propos de Trissotin dans Les Femmes savantes.

À quelqu’un qui demandait à Sacha Guitry « Quoi de neuf, maître ? », la réponse fut immédiate : « Molière. »

Au coeur de l’esprit français rayonne « l’art de la conversation ». On a connu des sommets de cet art au XVII^e siècle et au XVIII^e, notamment dans des salons fameux ou à la cour. Et même jusqu’à nous, grâce à Jean d’Ormesson qui a su nous captiver au cours d’émissions exceptionnelles.
Il a su de nombreuses fois nous enchanter par des propos tels que : « Tout le bonheur du monde est dans l’inattendu. »

Jusqu’à aujourd’hui, la France, malgré les aléas du temps et certains grincheux, a proposé un modèle de civilisation rarement égalé. Il suffit de lire les très nombreux témoignages venus du monde entier pour réaliser à quel point notre pays attire.

La France, celle de Louis XIV jusqu’à nos jours, a toujours voulu plaire au monde. Le veut-elle encore avec autant d’intelligence et de générosité ?

En dépit des grincheux, « l’esprit français » veut assurément continuer à briller, plaire, conquérir le monde, afin de mieux faire apprécier les subtilités de l’amour si chères à nos coeurs.

La liberté amoureuse, Guitry l’a également chevillée dans l’esprit et dans le corps. « Il faut courtiser la femme qu’on aime comme si on ne l’avait jamais eue et la convoiter comme si elle était la femme d’un autre. Il faut se la prendre à soi-même. » À sa mort, François Truffaut aura ce mot : « Il n’a plus d’ennemi puisqu’on lui reprochait d’être vivant. »

Marc Fumaroli, auteur d’une oeuvre magistrale, montre en effet que la bataille en faveur du français n’a rien d’évident de nos jours, car peu d’acteurs connaissent à fond l’histoire de notre civilisation et donc « les points positifs » qui pourraient nous permettre de redresser vigoureusement la barre.

Les clefs existent pourtant. La première se nomme l’école. La seconde, la francophonie forte de son empire humain. Il faudrait placer au coeur de notre combat la création de centres de qualité afin de promouvoir la beauté du français et créer des cercles francophones dans le monde entier.
Le français que nous aimons se love toujours dans la sobriété, la précision, l’élégance. Il reste un modèle. C’est cela l’esprit français.

Pourquoi le français a-t-il été tant désiré par les nations européennes et extraeuropéennes ? Tout simplement parce qu’elles ont constaté que les facettes chatoyantes et difficiles à saisir de l’humain étaient chantées à merveille par notre langue. D’où ce nom pour la France de « nation littéraire » qui a fait la fierté de tant de générations.

Aussi, au fil du temps, de Nietzsche à Stendhal, le français est-il devenu une « promesse de bonheur ».

Marc Fumaroli a raison de penser que l’enjeu porte sur la liberté et l’identité de l’Europe. Il est certain que la menace grandissante du parler globish prend des formes inquiétantes. À nous d’agir, pour éviter une catastrophe linguistique que les lois du marché veulent nous imposer.

L’éminent combat du regretté Marc Fumaroli s’affirme comme un véritable appel à la renaissance de notre civilisation.

L’esprit français, le voltairien Jean d’Ormesson l’a servi toute sa vie. Il a su le manier à merveille. Son héritage est considérable.

Comme vous pourrez le constater au fil des pages de ce livre, il est grand temps de réaffirmer le caractère insécable de « l’esprit français ». Ce qui unit, doit unir notre pays, c’est l’idée fondatrice de l’universalité. Il s’agit d’un legs des encyclopédistes.

Axel Maugey, universitaire et écrivain (biographie détaillée dans le numéro 263 de DLF, 1er trimestre 2017). OEuvres publiées depuis ou que nous n’avions pas citées : Récits secrets d’amour (1989) Privilège et rayonnement du français du XVIIIe siècle à aujourd’hui (2016) La France qui nous rassemble (2016) Un patron français au coeur de l’Empire chinois (2019) Gaston Miron : le poète et le politique. Un amoureux de la langue française (2021) Ton corps palpite en moi (2022) L’esprit français de Madame de La Fayette à Jean d’Ormesson(2023).

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