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Le français pour Mathieu Vidard
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Voici l’allocution prononcée par le lauréat
du prix Richelieu 2019.
Nous reproduirons dans le prochain
numéro celle de Wendy Bouchard – qui lui a
succédé au micro.
Je vais rétablir la vérité sur mon parcours littéraire. Mais d’abord, je suis très
heureux d’être avec vous aujourd’hui pour recevoir ce prix Richelieu.
Défense de la langue française ! C’est une vraie surprise, presque une ironie
du sort pour moi, parce que je suis quand même surpris comme ces élèves qui,
je dois bien l’avouer, n’ont jamais brillé au firmament des classements scolaires,
qui ont collectionné plutôt les résultats laborieux, les annotations « passable »
des professeurs. Je ne compte plus les « peut mieux faire » ou « se contente
du minimum ». En tout cas, j’avais souvent la tête ailleurs pendant les cours et
un mal de chien à me concentrer lorsque la matière ne m’intéressait guère, et
j’avais d’ailleurs une relation particulièrement conflictuelle avec tout ce qui
touchait de près ou de loin à une discipline scientifique. J’étais donc à mille lieues
d’imaginer ce qui allait me tomber sur la tête quelques années plus tard. Les
seuls moments quand même où je me recentrais et où je trouvais du plaisir,
c’était les cours de langue. J’ai pu en apprendre plusieurs à l’école et je les ai
toutes aimées sans exception, de l’espagnol au grec ancien, en passant par
l’allemand ou l’italien. Les mots voyageurs, les sonorités nouvelles, les
prononciations étrangères m’ont donné envie de partir et d’aller me frotter à des
mondes inconnus et comme j’étais également passionné de chant lyrique, j’ai pu
me laisser porter par la musique et les langues. Les lieder en allemand, les
comédies musicales comme à Broadway, l’opéra italien ou la mélodie française.
En tout cas, Schubert, Mozart ou Bernstein ont été de précieux compagnons et
m’ont permis aussi d’imprimer, peut-être durablement, dans mon cerveau le plaisir des autres langues que la mienne. Puis très vite est venue la radio. C’est une
autre façon finalement de jouer avec la voix. Et j’avais ce rêve de faire comme
dans ce poste allumé toute la journée dans la maison familiale, parce que
j’entendais les timbres des voix, j’entendais les mots et j’étais loin de me douter
que la radio, le fait de parler dans un micro exigeait d’abord d’écrire, puisque,
bizarrement, nos métiers de l’oralité, qui sont vraiment au coeur de l’exercice,
passent d’abord par la pratique quotidienne de l’écriture, pour rechercher le mot
juste ou la formule appropriée, celle qui va – on l’espère en tout cas – accrocher
l’auditeur jusqu’à la fin du programme. Impossible pour nous d’arriver justement
à l’heure du direct sans avoir écrit abondamment. Et c’est vrai que notre métier,
finalement, toutes ces années passées à la radio, c’est d’abord de préparer des
listes de questions qu’on va poser à nos invités, d’écrire des sortes de dialogue,
dans l’urgence de la pendule qui avance et du « rouge antenne » qui va
s’annoncer. Pas de temps d’ailleurs de trop réfléchir au fond, les mots et les
questions doivent fuser et trouver leur place en bouche un peu comme un mets
bien cuisiné. Et puis est venu le temps des émissions scientifiques, une autre
paire de manches pour moi. J’entre dans le royaume de la précision horlogère
des termes attachés à toutes ces disciplines, puisque, vous le savez, l’
astronomie
n’est pas l’
astrologie, la
masse n’est pas le
poids. Chaque mot scientifique désigne
une chose en particulier, et l’exercice ne supporte aucune approximation. Et je
découvre dans le même temps la réalité du travail de chercheur qui est de publier
en anglais et qui m’oblige à faire des allers-retours avec des traductions, et
j’avoue avoir marché bien des fois comme un funambule sur le fil des mots, en
espérant ne pas tomber dans le vide des contresens. Mais quoi que vous fassiez,
de toute façon, à la radio – en direct –, la chute n’est jamais loin : la liaison
épouvantable que vous pouvez laisser échapper et qui vous obsède d’ailleurs
jusqu’à la fin de votre antenne, ou le mot pris pour un autre… La semaine dernière
encore, par exemple, je remerciais un archéologue d’avoir pensé à inclure dans
son ouvrage une « friche » chronologique. J’ai entendu que quelque chose n’allait
pas, que le son ne tournait pas rond une fois qu’il était sorti de ma bouche, mais
je n’arrivais pas à faire remonter la « frise » chronologique à la surface.
Heureusement, mon invité, avec subtilité, me l’a gentiment glissée dans sa réponse.
Les auditeurs sont assez impitoyables avec nous. Les anciens professeurs de
français, en particulier – il y en a peut-être dans la salle aujourd’hui –, sont
redoutables, ne laissant absolument rien passer, du mot inapproprié, des
anglicismes, intonations, pléonasmes ou tics verbaux. Lorsque je vois arriver dans
le bureau le courrier, avec souvent ces enveloppes manuscrites à l’écriture soignée,
je sais que la sentence va être terrible et ça ne manque pas. Combien de fois je me suis vu reprocher ma façon de dire « bonjoure » à mes invités ou de dire,
ou de glisser « et donc », « finalement », « et voilà », distribués généreusement
à la moindre occasion.
Depuis un an et demi, je me suis frotté à un nouvel exercice, celui de l’édito,
le matin : deux minutes trente de science à 7 h 20, dans la matinale de Nicolas
Demorand ; 500 mots pas un de plus pour raconter les avancées de la recherche.
Un autre exercice, puisque, là, je suis en première ligne : plus d’invités du tout
pour me cacher. Les mots ne sont plus des questions pour un autre, mais un
récit dont je suis l’auteur et que je dois livrer à l’heure où les gens se réveillent.
J’ai pu faire l’expérience de la puissance des mots et de leur réception à une
heure de grande écoute. Les mots peuvent à la fois déclencher le rire,
l’étonnement, l’exaspération ou la révolte. Les mots peuvent piquer, irriter ou
cogner comme un effet boomerang, et vous revenir donc sans ménagement à la
figure. Et à l’heure des réseaux sociaux, les mots, croyez-moi, ne pardonnent pas.
Mais, en tout cas, la puissance de l’émetteur radio permet aussi de faire acte
de militantisme : inviter, par exemple, les auditeurs à envoyer des courriels plutôt
que des «
mails » et à utiliser le mot-clé plutôt que le «
hashtag ». C’est une
maigre contribution, mais je pense qu’elle est quand même réelle. Une autre
contribution est d’inviter ces linguistes, lexicographes ou lexicologues de talent
à l’antenne. Jean Pruvost ou Marie Treps, par exemple, qui sont ici et qui sont
mes amis aussi, et qui nous ouvrent les portes des mots et qui permettent de
faire souffler dans nos oreilles la diversité merveilleuse des langues du monde.
Je reçois avec beaucoup de plaisir et de joie ce prix Richelieu. Je vous en
remercie. Il me touche comme ces mots qui font mouche.
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Mathieu Vidard, journaliste, animateur et producteur de radio et
de télévision, né en 1971 à Nantes.
Carrière : à Radio Pays de la Loire (1994 - 1997) ;
France Bleu à
Nancy (1998 - 2000). À France Inter depuis 2001, pour « C’est
comme à la radio »; il anime « Le 5/7 » du week-end (2002 - 2005)
et « Taxi Europa » (été 2004) ; « Le 7/9 » (été 2005), puis « Café
bazar » (2005 - 2006). Depuis septembre 2006, il présente « La
Tête au carré ». En 2009, il crée la société Vidard Prod. Depuis
octobre 2010, il présente « J’ai marché sur la Terre » sur France 2
et, depuis la rentrée 2017, « Science grand format » sur France 5,
et la chronique « L’Édito Carré », dans « Le 7/9 » de France Inter.
OEuvres : Abécédaire scientifique pour les curieux : Les Têtes au carré
(2008), Abécédaire scientifique pour les curieux : Les Têtes au carré -
Saison 2 (2009), Les secrets du ciel (2014), Le Carnet scientifique
(2016), Dernières nouvelles de la science (2019).
Distinctions : prix Jean-Perrin (2010) et prix Binoux, Henri de
Parville, Jean-Jacques Berger, Remlinger (2018).
(D’après Wikipédia.)
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