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Éditorial N° 266
Le mot juste et le ré-enchantement du monde
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Confucius nous a prévenus depuis longtemps :
«
Lorsque les mots perdent leur sens, les gens
perdent leur liberté. » N’a-t-il pas également
affirmé que s’il était un jour chargé d’une
responsabilité politique «
il commencerait par
fixer le sens des mots » ? Ces remarques nous ont
quasiment obsédé à la lecture du très beau livre
que notre président, Xavier Darcos, de
l’Académie française, vient de publier :
Virgile,
notre vigie1. Et cet ouvrage, par les termes
employés, nous a rappelé à plusieurs reprises
Pour
le ré-enchantement du monde, une introduction à Chesterton, de
Philippe Maxence2.
Dans une analyse très fine de l’oeuvre de Virgile, Xavier Darcos nous
présente le poète latin du Ier siècle avant J.-C. comme cet observateur
placé à l’avant de l’embarcation ou dans la mâture du navire, chargé
de surveiller le paysage marin et de repérer les amers, comme ce
guide qui permet de tailler la route en toute sécurité pour arriver à
bon port. Vigie, il l’est, car, né dans une période où régnaient les
guerres civiles, il propose dans les
Bucoliques, les
Géorgiques et
l’
Énéide, les sacrifices qui mènent à la paix – Énée quittera Didon – et
à la réconciliation, au bonheur calme et simple, dans le respect et
l’amour de la nature, avec cette élévation d’esprit qui s’ouvre à la
transcendance. Si d’autres poètes, Horace et un peu plus tard Ovide,
ont contribué à chanter le destin de l’empire, sa paix, ses
restaurations morale et religieuse, sa puissance quasi illimitée,
«
Virgile seul est devenu aussitôt un classique, une référence obligée,
un code de goût universel, imité, cité et récité ». Sainte-Beuve, lui, a pu écrire : «
Virgile a deviné, à une heure décisive du monde, ce
qu’aimerait l’avenir. »
À un moment où aucun discours politique n’est privé de
« valeurs » – qui ne sont guère précisées –, il est particulièrement
agréable de lire un ouvrage où tous les termes latins sont traduits avec
une infinie précision. En voici un exemple :
« [...]
rien n’est plus éloigné du monstrueux et du délirant que la
poésie de Virgile. Elle évite l’outrance, les manières affectées ou
rugueuses. Elle est habitée par la gravitas, cette vertu romaine
majeure, mélange de sérieux, de dignité et de profondeur. L’attitude
mentale de Virgile est ici conforme au climat de restauration morale
entrepris par Auguste, qui souhaitait revaloriser les vertus romaines
léguées par la tradition des Anciens, par le mos maiorum. Elles
reposent sur cinq notions principales : la fides (la loyauté
réciproque) ; la pietas (la dévotion aux siens, morts et vivants, et à sa
patrie) ; la virtus (la droiture dans la vie de citoyen et de soldat) ; la
majestas (la certitude d‘être membre d’une nation d’élite) ; et enfin
cette gravitas. Ces cinq facettes de la mentalité romaine miroitent de
façon indistincte et permanente dans l’oeuvre de Virgile. »
Artiste issu de la ruralité, Virgile n’a jamais renié ses origines, mais,
ajoute Xavier Darcos, «
on sait qu’il détesta la politique, l’agitation
sociale, l’excitation des théâtres et des cirques, les intrigants, les
mondains, les ambitieux, les aventuriers. Peut-être même, comme Tite-
Live, a-t-il pressenti que Rome s’écroulerait un jour faute d’avoir su
garder des liens authentiques avec une vie accordée à la pureté
écologique ».
Ce que désirait Virgile c’était une espérance de stabilité sereine, une
harmonieuse tranquillité de l’ordre, un ré-enchantement du monde.
Il en indique les chemins et souligne les efforts et la discipline que cet idéal exige. Il fut surnommé « le Père de l’Occident » et son oeuvre,
exclusivement en vers et peu abondante, «
a continûment influencé la
culture européenne, non seulement pendant toute l’Antiquité, mais
également dans l’époque moderne, de Dante à Valéry, de Ronsard à
Hugo, de Racine à Rousseau, de Montaigne au romancier autrichien
Hermann Broch ».
Virgile est le poète de l’enracinement. Décidément, son « chant de la
terre » est d’une profonde actualité. «
Il semble dessiner un horizon
de l’histoire et du travail des hommes, le poète devenant l’écho sonore
de l’Esprit qui anime le monde, l’âme de la nature. »
Jacques Dhaussy
1. Éditions Fayard, 280 p., 19 €.
2. Ad Solem, Genève - Paris, 2004, 21 €.
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