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Éditorial N° 279


Ovide. Désirer, renaître, survivre*
par Xavier Darcos, de l’Académie française
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Il y a quelques années, notre président Xavier Darcos, de l’Académie française, avait publié un remarquable Virgile qui nous avait enthousiasmé. Il y a quelques mois, il nous offrait un Ovide qui ne pouvait pas manquer d’exciter notre curiosité. Elle n’a pas été déçue.

De mes lointaines études secondaires et universitaires, que me restait-il d’Ovide ? La traduction, fidèle ou non, d’une simple phrase : « Les animaux regardent le sol, l’homme seul peut tourner son regard vers le ciel. » Déjà un programme de méditation. Joie de retrouver une partie de cette remarque dans une note au bas de la page 197 de cet Ovide qui allait enfin me faire connaître ce poète latin : « Le dieu donna à l’homme seul un visage tourné vers le haut et lui imposa de regarder le ciel, de lever les yeux vers les astres. » (Métamorphoses 1 , 85-86.)

Cet ouvrage non seulement fait revivre cet écrivain, de sa naissance à Sulmone dans les Abruzzes le 20 mars 43 av. J.-C., dans une famille aisée de rang équestre, c’est-à-dire vouée aux postes de confiance (officiers, préfets, gérants du Trésor public et de la fortune de familles proches de l’empereur), à son trépas en exil, à Tomis sur les bords de la mer Noire en 17 ou 18. Il a alors une soixantaine d’années, il est « malade et désespéré de tout ». Son existence est en quelque sorte résumée par les trois verbes placés en sous-titre du volume : désirer, renaître, survivre.
Jeune, intelligent, original, sans souci pécuniaire, avec des relations dans l’entourage du pouvoir et une absence de scrupules moraux, Ovide s’est d’abord consacré aux Amours, à L’Art d’aimer. Il en est devenu l’un des poètes, chantant le plaisir, les moeurs dissolues et même la bagatelle. Peut-être trop ! Et pourtant avec une part d’autodérision. N’a-t-on pas dit qu’Ovide était un « donneur de recettes » pour séduire les femmes et mener la jouissance à de plus hauts sommets ? Bref un chantre de la dolce vita, de la même génération que Tibulle et Properce après celle de Catulle. De quoi contrarier l’empereur Auguste qui encourageait alors la mesure, la gravitas. « On ne peut pas exclure qu’Ovide, en abusant de cette manière licencieuse et narcissique, ait donné à Auguste des raisons d’être irrité, voire d’y trouver un prétexte pour l’exiler, histoire de faire un exemple », se demande Xavier Darcos. Peut-être la vie dévergondée de la propre petite-fille de l’empereur, Julia, l’a-t-elle encouragé à prendre une telle sanction, ne serait-ce que pour détourner l’attention de sa propre famille.

Le 19 novembre de l’an 8, sur un simple édit d’Auguste, Ovide « est assigné à résidence en Scynthie mineure sur les bords du Pont-Euxin. Il n’est pas banni mais relégué, relegatus : il ne perd donc pas sa citoyenneté romaine et sa fortune ne lui est pas confisquée ». Cependant il ne reverra jamais Rome. Ses dernières oeuvres portent des titres d’élégies du spleen et de la solitude : Tristes, Pontiques. Xavier Darcos n’hésite pas à traiter certains passages de « jérémiades ».

Si cette biographie d’Ovide nous offre un panorama de la vie à Rome, de la littérature qui pouvait y circuler, la partie passionnante de l’ouvrage réside particulièrement dans l’analyse que fait l’auteur des Métamorphoses où les héros de la mythologie évoluent, se transforment, aboutissent même à des changements de nature, passant parfois du divin, de l’humain, au règne animal, minéral ou végétal. Les exemples ne manquent pas... Ovide, écrit-il, est un « philosophe de l’incertitude. Il ne s’intéresse pas à l’être au sens où l’entend la philosophie grecque classique. Il lui préfère le devenir ». Les Métamorphoses affichent « une haine du statique et de tout ce qui pourrait figer le mythe ou la tradition en les désincarnant ». Aussi passe-t-il en revue « les innombrables avatars du vivant, seule façon authentique de donner à percevoir un sens à la vie qui va et tâtonne, au temps qui fuit, à la mort qui vient1 en misant sur un idéal de perpétuelle régénération, en démontrant l’unité du monde au coeur de tous les brassages ». Comment ne pas évoquer Pythagore à propos de ce poème-fresque ? Ce dernier expliquait ainsi le monde : rien ne meurt, tout change. La métamorphose, c’est lire le monde. Et Xavier Darcos qualifie ces Métamorphoses de « baroques ». L’art baroque n’est-il pas d’abord mouvement et beauté du mouvement ? Le tragique, l’élégiaque et l’épique animent ce brassage de mythes grecs, de fables romaines, de fictions populaires et de récits légendaires.

Nous ne pouvons donner ici qu’un pâle reflet de cette oeuvre très riche, très vivante ; le style en est alerte, nuancé, pittoresque, n’hésitant pas à user parfois de mots très contemporains. Elle nous donne aussi l’occasion de constater qu’Ovide, en voulant donner « l’impression que l’échange est facile entre le mystère et le réel, le transcendant et le quotidien », a influencé bien des écrivains français.
Jacques Dhaussy


* Fayard, 2020, 302 pages, 20,90 €.
1. En 2017, sous le titre Ovide et la mort, étaient regroupés aux PUF (Presses universitaires de France)
un certain nombre de travaux dispersés ou inédits consacrés à Ovide, 466 pages, 25 €.
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