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Éditorial N° 293
Parlons français !
C’est le 23 mars 2024, dans la belle salle Pierrotet de la mairie du 5e,
aimablement mise à notre disposition par la maire, Mme Florence
Berthout, que s’est tenue l’assemblée générale de DLF. Celle-ci a
accueilli notre président, Xavier Darcos, chancelier de l’Institut de
France, venu clore cette réunion annuelle.
Le 11 janvier se tenait à Chantilly le 10
e anniversaire de la création de
Destination France, en présence du président de la République. Alors
qu’il n’y avait que des Français, le président de la République a
commencé à parler anglais. Je lui ai demandé de bien vouloir parler
français, ce qu’il a fait. Il y a de ces automatismes.
Nous avons reçu sous la Coupole M
me Annie Leibovitz, très grande
photographe américaine, c’était merveilleux. Elle parle en anglais sans
que je comprenne bien. J’ai exigé qu’il y ait une traduction. On est
encore dans des combats absurdes, presque inutiles, pour que chacun
soit à sa place. Il n’y a pas de raison, sous la Coupole de l’Institut de
France, de parler anglais sans traduction.
Le nouveau secrétaire perpétuel de l’Académie française, M. Amin
Maalouf, est très intéressé par ces questions. C’est lui-même un polyglotte
mais il voit très bien, grâce à son histoire personnelle, que la guerre
linguistique est une guerre tout court et qu’il faut continuer à sauver la
langue française au Liban parce que c’est un enjeu géopolitique. DLF
aura auprès du nouveau secrétaire perpétuel, comme vous l’aviez déjà
auprès de la regrettée Hélène Carrère d’Encausse, un soutien très
énergique.
Le dernier débat à l’Académie était de savoir quel destin nous pouvions
donner à un rapport sur les anglicismes dans la communication
institutionnelle, rapport rédigé par Gabriel de Broglie et sept ou huit autres académiciens. Nous avions déjà protesté contre cette
évolution. Nous ne comprenions pas pourquoi des institutions publiques
avaient recours à des anglicismes lorsque ce n’est pas nécessaire.
Pourquoi appeler «
Lorraine airport » l’aéroport de Lorraine ? Ce rapport
de bonne qualité sera édité chez Fayard dans les semaines qui viennent.
Nous restons très vigilants. Nous ne doutons pas que cette vigilance
soit nécessaire. Cependant on a toujours l’impression lorsque nous
défendons la langue française que nous sommes dans un combat solitaire
contre l’anglais. Il n’en est rien. Les intellectuels anglais, les grands
universitaires ont le même problème que nous. Ça concerne aussi
l’Allemagne. La langue des universitaires, la langue de l’histoire de ces
grands pays est autant agressée que la nôtre par le charabia franglais,
les TikTok, les mots inventés, les mots-valises, par toutes ces chansons,
le slam, le rap qui concassent la langue. Ils ont le même problème dans
ces pays. J’essaie d’être le moins possible dans la formule du face-à-face
anglais contre français parce que nous avons avec nous des amis anglais,
je pense notamment à l’université d’Oxford dont je rappelle qu’elle a
édité à ses frais la totalité de l’oeuvre de Voltaire, ce que la France a été
incapable de faire. Quand vous discutez avec des gens de ce niveau – je
pense notamment au président du département des études françaises
d’Oxford, M. Nicolas Cronk – ils ont les mêmes difficultés que nous à
sauvegarder, dans l’usage courant, la langue anglaise classique. Il s’agit
moins d’un combat de sauvegarde du français que de la sauvegarde des
langues structurées avec leur histoire, leur culture, leur passé, leur
environnement civilisationnel, contre une espèce de sabir universel qui
s’installe partout. Ce qui frappe, c’est que la jeune génération est très
branchée sur les téléphones, les réseaux, les TikTok, etc. Or ces réseaux
sont internationaux. Ils parlent cette langue que je ne comprends pas.
Faite d’abrégés, de verlan, de formules synthétiques. Je m’y perds
complètement.
Oui au rayonnement de la langue française, mais il faut savoir que ce
combat, c’est celui qui oppose des langues de culture, des langues
civilisationnelles face à un bric-à-brac, une langue babelienne, de
construction internationale, un volapük, comme disait le général de
Gaulle. Le travail reste très nécessaire.
Alors bravo à l’engagement de chacun. Bravo aux éditions, et aux
éditions locales. Je reçois beaucoup de livres publiés par des délégations
de DLF. Je vois aussi qu’il y a beaucoup d’interventions auprès des élus
locaux. C’est un travail un peu ingrat, on a souvent l’impression de vider
l’océan avec une petite cuiller. Tout est utile. Les petits ruisseaux font
les grandes rivières.
Nous voyons que ceux qui aiment le français hors de nos frontières
sont plus vigilants que nous. Ils ne comprennent pas que nous acceptions
des mots que nous n’aurions jamais dû accepter ou des déformations,
des laxismes, des barbarismes.
Cette semaine même à l’Institut de France avec les deux ministres
Rachida Dati et Nicole Belloubet, nous avons remis les prix du concours
« Dis-moi dix mots ». Dans ce concours il y avait le terme « aller aux
oranges », terme utilisé en Afrique subsaharienne pour dire « aller se
promener, s’amuser, ne pas travailler ». C’est une belle image. J’ai
beaucoup approuvé que nous allions chercher des expressions de ce
genre. C’est là que se trouvent des viviers, des laboratoires d’usages
nouveaux dans ces pays qui défendent mieux la langue française que
nous.
Moi qui ai été ministre de la Coopération, j’ai toujours été frappé par
la qualité de la langue des responsables politiques africains, notamment
subsahariens. Nous sommes stimulés. Et je ne parle pas des Canadiens
qui nous reprochent de mâchouiller des anglicismes toute la journée
et qui ne comprennent pas pourquoi. Nous sommes regardés aussi par
les pays où la francophonie est très présente, et ils ne nous trouvent pas
assez battants. Je l’ai dit lors de la réunion préparatoire du Sommet de
la Francophonie qui se tiendra au mois d’octobre. J’ai dit qu’il fallait
entendre la voix des francophones qui nous rappellent à l’ordre, nous
les Français. Ce n’est plus Français contre Anglais, c’est francophones
contre Français... J’espère que le Sommet de la Francophonie le dira et
que les idées qui sont les nôtres circuleront ainsi.
Xavier Darcos
Chancelier de l’lnstitut de France