Mesdames, Messieurs,
La Charte européenne des langues régionales et minoritaires, contre laquelle s'élève l'appel que j ai initié et dont quelques uns des premiers signataires sont ici présents, a été signée la semaine dernière par le Ministre des affaires européennes, et le Président de la République a aussitôt saisi le Conseil Constitutionnel. de sa compatibilité avec notre Constitution, ce dont je me félicite. Il nous faut bien sûr attendre la décision de cette juridiction pour savoir si le texte de la Charte sera soumis à la ratification du Parlement, prévue pour l'an 2000. Mais d'ores et déjà, on peut noter que le gouvernement français n'a signé que 39 engagements sur 98 que comporte la Charte et qu'il a refusé d'entériner les paragraphes prévoyant l'utilisation obligatoire des langues régionales dans les actes administratifs et les procédures en justice. Cela évite le pire, mais ne change rien au fait que le préambule de la Charte reconnait le " droit imprescriptible" des citoyens à pratiquer les langues régionales ou minoritaires « dans la vie privée et publique ».
Notre opposition est d'abord affaire de principe. En effet, la France vient, en signant cette Charte, de franchir un pas vers la reconnaissance des groupes minoritaires en tant que tels, ce qui est contraire à la conception républicaine de la citoyenneté qui fonde notre Nation citoyenne.
Je ne reviens pas ici sur le contenu, touffu et juridiquement complexe, de cette Charte.
D'une phrase, je rappelle simplement que la Charte, rédigée par une instance qui ne dispose d'aucune légitimité issue du peuple, en l'occurrence le Conseil de l'Europe, vise à promouvoir l'utilisation et l'enseignement des langues régionales ou minoritaires.
Cette Charte peut aussi conduire vers le communautarisme, vers un modèle propre au monde anglo?saxon dont Tony BLAIR a fait l'apologie après les attentats de Londres et qui consiste à voir la société, non comme composée de citoyens égaux en droits et devoirs, mais comme un agrégat de groupes ethniques, religieux ou sociologiques vivant chacun côte à côte, sans brassage ni destin commun. Ce modèle n'est pas le nôtre, nous ne souhaitons pas qu'on l'adopte.
Cette Charte s'inscrit enfin dans un dessein politique qui est le renforcement du rôle des régions, au sein de l'Union européenne, au détriment des Etats-Nations. Elle va dans le sens d'une Europe fédérale, au sein de laquelle le fondement des identités individuelles ne serait plus la citoyenneté. Elle encourage donc l'ethnicisation des esprits.
Qu'on ne se méprenne pas sur mes intentions je considère moi aussi que les langues régionales et minoritaires sont une richesse culturelle pour ceux qui les pratiquent et pour le patrimoine national. Elles ont une histoire et une littérature, elles ont donné à la France un Prix Nobel (Frédéric Mistral), même si je remarque en passant que les écrivains et les poètes qui ont le plus contribué à diffuser les cultures régionales, comme les Bretons Théodore BOTREL et Pierre-Jakez HELIAS, les Flamands Georges RODENBACH et Emile VERHAFREN, les Alsaciens ERCKMANN et CHATRIAN, ont écrit en français.
Je suis tout à fait favorable à ce que des particuliers puissent utiliser ces langues chez eux ou entre eux, qu'ils les apprennent ou les enseignent. Cela est d'ailleurs tout à fait possible aujourd'hui, car existent des diplômes d'études supérieures sanctionnant leur apprentissage, des journaux, des radios et des créneaux horaires sur les chaînes télévisées du service public qui leur sont dévolues.
Je sais également qu'existe une situation un peu particulière qui est celle des DOM-TOM. Dans les territoires d'outre-mer comme la POLYNÉSIE et la NOUVELLE-CALÉDONIE, existent de nombreuses langues locales. En Polynésie, leur utilisation, même dans les débats judiciaires, est tolérée par la République en vertu d'un usage : n'y changeons rien. Aux Antilles et à la Réunion également, le créole est parlé par nombre de résidants non métropolitains d'origine. J'insiste toutefois sur le fait que ces DOM-TOM ont besoin du français pour communiquer avec leur environnement immédiat. Dans la Caraïbe donc, comme dans le Pacifique, il faut à la fois, par exception avec ce qui prévaut en métropole, donner toute leur place aux langues locales et renforcer l'usage du français.
Revenons à la situation métropolitaine. Ce que les promoteurs de la Charte veulent nous faire croire, c'est que les langues régionales sont brimées, alors qu'il n'en est rien. Ce qui nous sépare, c'est que nous considérons que leur usage dans la sphère privée est déjà suffisamment protégé alors qu'ils recherchent une consécration juridique de leur place dans la sphère publique. C'est précisément là que réside le danger pour la République.
En effet, à quoi aboutirait inévitablement une reconnaissance juridique des langues régionales et minoritaires ? Tout d'abord à dévaloriser la notion d'appartenance à la Nation française. Le rapport CARCASSONNE argumente qu'en signant la Charte, la France ne reconnaît que les droits des individus et pas ceux, collectifs, des groupes de locuteurs. Pour ma part, je crois que reconnaître une langue régionale dans la région où elle est pratiquée revient à reconnaître en tant que groupe ethnique l'ensemble de ses locuteurs. Je crois que les régionalistes et les autonomistes demanderont demain que l'on redessine la carte administrative de la France en fonction de l'existence des particularismes régionaux.
Ne voit-on pas déjà des élus demander, outre la reconnaissance de la langue basque, la création d'un département basque? Pourquoi demain ne créerait-on pas un département «Flandre» distinct du Nord, ou un département Bretagne, voire un département gallo, puisque cet idiome pourrait être reconnu comme une langue distincte?
Si nous évoluions dans cette voie, cela serait remettre en question la notion même de peuple français qui depuis la Révolution est le fondement de la citoyenneté. Ce serait condamner l'État à être dépossédé de ses prérogatives au profit des régions, voire des « pays», qui dépasseront les frontières nationales. C'est ce vers quoi tend l'article de la Charte signé par la France et prévoyant de favoriser les contacts entre locuteurs d'une même langue dans différents Etats on nous proposera demain de créer une structure franco-allemande englobant l'Alsace les Lander riverains, une structure franco?flamande entre la Flandre belge et la partie du département du Nord où l'on parle, très peu au demeurant, flamand.
Mieux encore, comme la France a signé l'article qui interdit l'exclusion des langues régionales dans la vie des entreprises, on verra demain des sociétés privilégier l'embauche de cadres pariant une langue régionale au détriment des non-locuteurs. Personne ne me convaincra que cela favorise la compétitivité de notre économie et la mobilité de la main d'œuvre.
Qui peut sérieusement penser que les principaux problèmes que doit affronter la France, le chômage et l'exclusion, l'aménagement du territoire et la modernisation industrielle, peuvent être résolus à l'échelle des régions dialectophones ? Une telle approche serait une régression.
Si nous souhaitons que la France demeure un Etat unitaire, Si nous refusons que l'Etat-Nation éclate en petites entités définies par la langue, c'est pour deux raisons. La première est que la promotion des langues minoritaires constitue un obstacle à l'intégration, qui est une priorité.
Imaginez ce que sera demain l'avenir d'un jeune Français d'origine étrangère ou d'un étranger qui veut s'intégrer et que le hasard du marché de l'emploi a fait s'installer à Perpignan ou à Biarritz, à Brest ou à Hazebrouck. Son intégration passe par la maîtrise du Français, langue universelle qui lui ouvre des horizons. Or la France retient de la Charte l'obligation d'enseigner les langues régionales dès la maternelle et en primaire, dans les régions concernées, pour les familles qui le souhaitent, « au moins », ce qui veut dire, éventuellement, pour tous. Quel sera l'avenir de ces enfants éduqués en catalan ou en basque, en breton ou en flamand et qui se retrouveront liés à un bassin d'emploi qui souvent ne fait même pas la taille d'un département? Est-ce le rôle de l'école de la République d'enseigner ces langues, alors qu'existent pour ce faire des écoles privées et qui d'ailleurs doivent le rester?
Aujourd'hui les écoles en langues régionales réclament de devenir publiques. Soit, mais combien d'élèves scolarisent-elles? Environ 6000. Ce niveau de confidentialité démontre que la promotion des langues minoritaires tient de l'idéologie, pas du fait sociologique.
La seconde raison de notre opposition réside dans le mauvais coup que cette Charte porte à la francophonie, donc au rayonnement de la France. Au moment même où la francophonie est négligée au point qu'un accord international aussi crucial que celui de RAMBOUILLET, signé en France avec la participation active de notre diplomatie, n'est rédigé qu'en anglais, on propose de mettre l'accent sur la promotion de langues parlées par quelques dizaines de milliers de Français. C'est un contresens évident.
Langue de communication présente sur les cinq continents, outil traditionnel de la diplomatie, langue d'écriture de nombreux écrivains étrangers par la naissance ou la nationalité, le fiançais est seul à pouvoir faire contrepoids à l'omniprésence de l'anglais. Il faut une action d'envergure pour en promouvoir l'enseignement et l'usage. Choisir le chemin inverse qui consiste à favoriser les langues régionales ou minoritaires reviendra à consacrer, demain, l'anglicisation totale des échanges. Soutenir financièrement les productions audiovisuelles en langues régionales, comme le prévoit la partie de la Charte signée par la France, est une erreur: l'argent public doit aller en priorité à la production d'œuvres en français, de fictions en particulier, susceptibles d'offrir un contrepoids à la production anglo-saxonne tant sur les écrans français que sur ceux des télévisions de l'espace francophone.
Pour toutes ces raisons, les signataires de l'appel que j'ai initié jugent cette Charte inutile, inopportune et même dangereuse. Ceux d'entre eux qui détiennent un mandat parlementaire voteront contre sa ratification lorsque celle-ci sera discutée par le Parlement. A moins, c'est évidemment mon souhait, que le gouvernement choisisse la voie de la sagesse en s'en tenant à une simple signature, sans demander la ratification.
Conférence de presse de Georges SARRE 12/05/99
Ancien ministre, président délégué du Mouvement des Citoyens