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Séance du jeudi 29 novembre 2001
Intervention du Sénateur Jacques Legendre lors de l'audition des rapporteurs des commissions du Sénat après examen du budget 2002 du ministère des Affaires étrangères.
M. le président. La parole est à M. Legendre, rapporteur pour avis.
M. Jacques Legendre, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, pour la francophonie.
Monsieur le président, Monsieur le Ministre, mes chers collègues, c'est un exercice assez singulier que celui auquel doit se livrer le rapporteur pour avis des crédits de la francophonie.
Il faut non seulement examiner les crédits consacrés par le service des affaires francophones au financement de la francophonie multilatérale, mais aussi débattre de l'action conduite par les pouvoirs publics en faveur de notre langue, et cela concerne bien d'autres services et bien d'autres ministères.
De plus, cette année, une difficulté supplémentaire apparaît dans l'appréciation des crédits consacrés à la francophonie multilatérale. Il devait en effet revenir au sommet de Beyrouth de définir un certain nombre de grandes orientations pour les deux années à venir, en particulier dans le domaine financier. Le sommet a dû être reporté en raison du contexte international. C'est une conférence ministérielle, qui devrait se tenir dans quelques semaines à Paris, qui arrêtera le montant des contributions que 1es États membres s'engagent à verser au profit des instances de la francophonie multilatérale pendant le biennium 2002-2003.
Lors de l'audition par la commission des affaires culturelles du Sénat, monsieur le ministre délégué à la coopération et à la francophonie nous a déclaré que la France annoncerait, à tout le moins, le maintien de sa contribution lors de cette conférence budgétaire.
Monsieur le ministre, vous est-il possible aujourd'hui de nous en dire plus ?
En attendant, le projet de budget du ministère des affaires étrangères se contente, à quelques aménagements techniques près, de reconduire en 2002 les enveloppes financières décidées pour le présent biennum 2000-2001. Je les rappellerai très brièvement.
Les crédits du service des affaires francophones s'élèvent à 37,4 millions d'euros, soit 245,4 millions de francs. Cette contribution du ministère des affaires étrangères, complétée des apports en provenance d'autres ministères, a porté, en 2001, à 283,5 millions de francs la contribution de la France au fonds multilatéral unique, assurant ainsi le financement de l'agence internationale de la francophonie, celui de l'université Senghor et celui de l'association internationale des maires francophones. La contribution globale de la francophonie multilatérale s'est élevée à 760 millions de francs en 2001 et devrait atteindre un niveau comparable en 2002.
Quant à l'ensemble des crédits concourant au développement de la langue française et à la francophonie, relevant de la DGCID ou d'autres ministères, culture ou éducation par exemple, ils s'élèveront à près de 914 millions d'euros, soit 6 milliards de francs en 2002,contre 893 millions d'euros en 2001.
Devons-nous nous satisfaire de cette stabilité dans l'effort budgétaire ? Non, Monsieur le Ministre, car, année après année, il nous faut constater les atteintes portées à l'usage de la langue française en France et l'érosion de ses positions à l'étranger.
Chaque année, nous dénonçons des abandons, des reculs, des renoncements. Chaque année, on tente de nous rassurer, on nous explique que l'essentiel n'est pas en cause, que la bonne volonté du Gouvernement existe et qu'elle est attestée par l'effort financier qu'il consent. Et chaque année, il nous faut constater de nouveaux errements.
C'est ainsi que l'article 14 du projet de loi relatif aux mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier comporte une disposition autorisant les émetteurs de titres de capital et de titres de créance à établir leur note d'information au titre de l'appel public à l'épargne dans une langue usuelle en matière financière, c'est-à-dire, en clair, en anglais !
La commission des finances du Sénat avait fait adopter par notre assemblée une disposition n'autorisant de déroger à la règle de l'usage du français que pour des produits financiers très techniques s'adressant à des investisseurs professionnels. Malgré cette concession sur le fond - qui nous coûtait - le Gouvernement a fait rétablir la disposition d'origine par l'Assemblée nationale, ce qui a amené quatre-vingt un de nos collègues et moi-même à déposer un recours devant le Conseil constitutionnel.
A quoi sert l'effort financier de la France en faveur de la francophonie...
M. Michel Charasse, rapporteur spécial . À M. Boutros Ghali!
M. Jacques Legendre, rapporteur pour avis. ... si le Gouvernement lui-même propose au Parlement en violation de l'article 2 de la Constitution, de renoncer à l'usage du français en matière financière ?
Autre exemple préoccupant d'un recul accepté : la signature par la France, le 29 juin 2001, de l'accord sur l'application de l'article 65 de la convention sur la délivrance des brevets européens. Bien évidemment, a été mise une fois de plus en avant la nécessité de limiter le coût des traductions. Il n'empêche que nous avons accepté que des titres juridiques partiellement rédigés dans une langue étrangère puissent créer en France des droits et obligations !
Le temps me manque pour développer d'autres sujets de préoccupation, mais il me faut quand même une fois de plus dire mon inquiétude, mon angoisse même, devant l'inexorable montée de l'usage unique de l'anglais dans les organismes européens.
Créé le 1er janvier 2001, l'office de coopération Europe Aid est chargé de la mise en oeuvre de l'ensemble des instruments d'aide extérieure de la Commission financés à partir du budget communautaire et des fonds européens de développement. Or le document qui décrit la procédure d'établissement du contrat d'aide passé entre l'autorité européenne et le consultant précise que le contrat, mais aussi tous les échanges écrits ne seront acceptés que s'ils sont rédigés en anglais. Autrement dit : nul n'est censé ignorer l'anglais s'il souhaite obtenir une aide financière de l'Union européenne !
Notre inquiétude et notre impatience sont partagées par des esprits lucides et que nous ne sauriez récuser, monsieur le ministre. Ainsi, c'est Alain Decaux qui, par deux fois, nous met en garde : le 17 octobre 2001, dans Le Monde, il renouvelle un appel qu'il avait déjà lancé dans Le Figaro. Il proclame « la survie du français, cause nationale » en s'interrogeant publiquement : « Le français se trouvera-t-il un jour dans la situation de ces langues indiennes d'Amérique dont Chateaubriand disait que seuls les vieux perroquets de l'Orénoque en avaient gardé le souvenir ? » (Sourires.)
En proposant cette année le rejet des crédits de la francophonie, la majorité de la commission des affaires culturelles affirme sa volonté de ne pas céder à l'engourdissement et à la bureaucratisation qui guette, et exige avec force que la francophonie retrouve l'imagination, l'élan, la détermination qui assureront son avenir.
Monsieur le ministre, vous avez compris que les sénateurs ne sont pas prêts de partager le triste destin des perroquets de l'Orénoque ! (Applaudissements sur les travées au RPR, de L'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
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