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- Pour l'expression transparente des êtres et des choses. Entre nations, le français, langue diplomatique, demeure capable d'éviter de meurtrières équivoques[2] . Y recourir plus souvent servirait davantage la paix que d'user de multiples versions faisant également foi.
De même, à l'échelle des personnes, un français limpide facilite la compréhension d'homme à homme.
Et il aide, par l'école, à la formation des hommes et des femmes de demain. Liberté n'équivaut pas à laisser-aller. L'exigence de clarté ne se sépare pas d'une exigence de rigueur.
- N'y a-t-il pas trop de rigueur dans les structures du français ?
- Trop, non. Cette rigueur est formatrice. Elle donne le sens des nuances et elle approfondit. « Distinguer pour unir. »
Le langage mathématique à ses vertus. Il est nécessaire dans son domaine. Mais par-delà la pure définition des chiffres, des fonctions et des faits, reste l'océan de l'âme humaine. De l'abstrait au vivant, de l'inanimé à l'animé, une grande langue de synthèse n'est pas de trop. Le français y a quelques titres…
- Il est graduel. Les bases sont simples. La phrase française est plus linéaire que celles des langues à déclinaison. L'ordre progressif des mots évite l'ambiguïté à laquelle est sujet, dans bien des cas, même l'anglo-américain scientifique et technique.[3]
Mais une parfaite clarté implique un souci de vigilance.
- « Tenir sa langue pour tenir sa pensée » ?
- L'apprentissage d'une certaine rigueur d'expression forme au contrôle de sa parole, donc au contrôle de soi. C'est moins le nombre des mots que leur agencement mutuel qui nuance leur sens.
- Une langue d'intellectuels ?
- Pas seulement. Loin de là. La langue, comme la musique comporte une majeure et une mineure. La majeure du français s'appelle clarté et raison. Une autre tendance a nom : charme, goût, fantaisie. Les deux s'équilibrent comme les jambes d'un marcheur.
Combien de francophones d'adoption, épris de notre langue, y sont venus par le cœur et s'y sont élevés par la raison ! L'inverse aussi est vrai.
- Le français d'aujourd'hui ne pèche-t-il par excès d'abstraction ?
- Cet écueil menace toutes les langues modernes. Point trop n'en faut. Le remède réside chez les francophones eux-mêmes.
Si ceux d'Europe, peut-être, forcent sur l'aspect rationnel de notre langue, que l'on songe à l'originalité, à la fraîcheur apportées au français par les Québécois ou par les Libanais, au sens de la nature par laquelle les Africains sont en train de la rajeunir !
- L'Afrique pèse-t-elle dans la balance de l'avenir francophone ?
- Elle peut peser de plus en plus lourd. Par sa démographie et par sa créativité. Si les projections sont justes, plus de la moitié des francophones seront Africains au cours du premier quart du XXIe siècle.
Tout en apportant à la langue française leur sens de l'intuition, de l'unité du visible et de l'invisible, ils puiseront force en elle, ils s'imprégneront de ses structures.
C'est Senghor, initiateur, avec le Tunisien Bourguiba, de l'idée francophone, qui s'écriait : « Le français est la langue des dieux ». Et aussi : « Les mots du français rayonnent de mille feux comme les diamants ».
Nous voici loin du simple utilitarisme souvent donné comme atout-maître de l'anglo-américain. Y succomber reviendrait pour les Africains à perdre une part de leur être.
- Que peuvent encore donner à la langue française l'Afrique et les îles lointaines de la Francophonie ?
- Elles-mêmes d'abord. Et puis cette sorte de mystérieuse profondeur qui la revivifiera. Se réclamer d'une langue, c'est aussi l'illustrer en la respectant, la rehausser en y concourant chacun par sa pierre ou par son bouquet, l'enrichir en vue d'un service plus haut.
- Pour quel service, quelle mission ?
3) Pour une civilisation de la personne humaine |
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- On confond souvent culture et civilisation. La langue exprime l'une en profondeur et projette l'autre vers l'extérieur.
Dans la culture, il y a une intériorité. On y ressent plus encore une faculté d'acquérir qu'une somme de connaissances acquises. Elle débouche sur une qualité d'être.
- Ne parle-t-on pas de la « culture Macdo » ?
- Voilà le contre-exemple parfait. À ce degré, la pseudo-culture n'est que l'épiphénomène d'un comportement, d'une mode calculée par et pour une technique de consommation. Accoler le mot « culture » à ce type d'enseigne ne mérite qu'un franc éclat de rire.
- Elle englobe une sphère plus large. Par-delà l'héritage culturel de pensée et de sensibilité propre à une personne ou à une société, la civilisation ne peut se dissocier d'un comportement social ni des apports dont l'enrichissent la science et l'économie.
- Il n'y a donc pas d'antinomie entre culture, économie, science, civilisation… ?
- Renoncer à l'une ou à l'autre les appauvrit toutes. L'antinomie naît d'une crispation ou d'un rétrécissement. On ne sacrifie pas sa main droite pour sa main gauche ni son cœur pour favoriser sa tête. Le respect de l'homme dans sa totalité les rend indissociables.
L'homme de ce temps, assoiffé de ses racines, risque de les perdre de deux façons : en se tournant uniquement vers l'extérieur et ses modes fugaces, au point d'oublier le trésor de ses profondeurs ou au contraire en prétendant se couper d'un environnement technologique qui peut entretenir et renouveler son fonds culturel. On ne doit pas cesser de croire aux deux.
- « Vaste programme » ! Mais si « l'âme d'un peuple vit dans sa langue » , comme le disait Gœthe, peut-on parler d'autant de civilisation qu'il y a de langues ou de peuples ?
- Ne les opposons pas les unes aux autres dans un processus d'émiettement.
Au sein de grandes communautés de civilisation dans lesquelles une ou quelques langues offrent la référence de choix, il existera toujours des colorations diverses, des variations d'accent comme de climat. Tel peuple se réfère davantage à ce qui est, tel autre au devenir. Tel penchera vers la définition, tel vers l'évocation… Mais si les langues reflètent le propre de chaque individualité, elles servent aussi bien à les rapprocher, à offrir sans cesse des plates-formes de compréhension.
Le souci de la personne non de l'individu anonyme et interchangeable, mais de la personne dans sa richesse propre et ses relations avec d'autres personnes marquera, au premier chef, la ou les civilisations de l'Europe ; un sens du collectif marquera celles de l'Asie orientales ; un rythme vital de la nature, les mentalités africaines ; une priorité de l'action, les comportements nord-américains…
- La civilisation exprimée, illustrée par la langue française au cours des derniers siècles n'est-elle pas l'image d'un temps et d'une aire géographique donnés ?
- Un millier d'années se sont passées à affiner le joyau qu'est notre langue et à le faire rayonner par excellence à partir de l'Europe occidentale.
Mais la civilisation de la personne conduit en soi à la compréhension de chacun, Européen ou non. C'est au sens de la différence, présent dans la pensée littéraire, philosophique, scientifique, politique, sociale… de langue française, qu'ont été sensibles de tout temps les grandes voix de la Francophonie, d'où que viennent leurs appels.
Autant la personne humaine est universelle dans son essence, autant elle reste infiniment variée dans la forme de ses aspirations.
- Notre époque ne sonne-t-elle pas le glas des âmes et des différences ? Une forme unique de civilisation technique et financière n'est-elle pas en voie de recouvrir le monde ?
- Souvenons-nous d'un régime et d'une philosophie qui en étaient venus à dominer un tiers de la planète, de l'Elbe au Pacifique. Que sont devenues leurs conquêtes proclamées « irréversibles », leurs ambitions d'hégémonie mondiale proclamée « inéluctable » ?
Voici le même vocabulaire mondialiste, appliqué au règne du dollar. La langue qui le sert atteint aujourd'hui ses plus hautes eaux. Nul doute qu'elle connaisse aussi ses crises. Aucun empire, ni culturel, ni financier, n'est immortel.
Il y a des positions acquises…
- Et aussi des modes qui se démodent ! Si concentrée et « globalisée » que soit l'économie, si fort que soit le poids de la superpuissance qui l'incarne, il y a l'ascendant du Droit personnel. Le premier corpus de Droit moderne fut codifié en langue française à l'aube du XIXe siècle.
A l'aube du XXIe, la même langue peut véhiculer des concepts juridiques et moraux dont le monde a besoin. Les nations francophones partagent l'idéal, tout en respectant les lois de l'économie, de faire passer d'abord l'homme, la dignité de la femme, la protection de l'enfant, les droits fondamentaux de la personne humaine.
- La Francophonie peut-elle secouer seule le joug des contraintes actuelles ?
- Seule, non. Mais est solidaire des zones linguistiques sœurs, hispanophone, lusophone, d'autres encore. Le monde a tout intérêt à éviter qu'en 2050, seul le chinois demeure face à l'américain sur les décombres des autres langues.
Nous ne le voulons pas. Or il s'agit d'un danger mortel. Il est urgent de réagir.
- Une réaction des francophones et de leurs alliés doit-elle s'engager à partir de l'esprit de l'homme ou du progrès technique qui modèle son environnement ?
- Des dizaines de peuples en Afrique et dans le monde ont soif à la fois d'âme et de développement. Faire passer la personne humaine, sa grandeur, sa sensibilité, sa totalité, avant la suprématie de l'économie et du dollar, implique tout ensemble l'effort de l'esprit et la capacité de percées scientifiques originales.
Effort d'exprimer, non l'imposture de l'instant qui passe, mais le vrai, le beau, le durable, et de parvenir à une conception du monde, à un art de vivre acceptable pour les peuples les plus divers - et, en même temps, effort d'appliquer de nouvelles découvertes à alléger les détresses.
La première des libertés consiste à ne pas mourir de faim. La première des coopérations réside dans un enseignement de l'agronomie où maintes fois ont excellé les francophones.
- N'est-ce pas le souci des scientifiques, quelle que soit leur langue ?
- Encore faut-il ne pas condamner tant de voix au silence. Prétendre, comme le fait « l'Institut pour l'Information scientifique » de Philadelphie, restreindre la diffusion des nouvelles scientifiques à une seule langue en évinçant les autres, revient à délibérément amputer celles-ci d'une part essentielle de leur rayonnement.
Il faut que le français, et aussi l'allemand, le russe, d'autres encore, redeviennent de grandes langues scientifiques.
Il faut créer une banque de données multilingue et avant tout francophone, reliée aux réseaux informatiques.
Loin de craindre la « numérisation » des canaux d'information, il faut prendre ce tournant technique et saisir la chance d'accroître sur les ondes et les câbles la place occupée par notre langue, par nos langues.
- Sont-elles à même de relever le défi des sciences de demain ?
- Elles ont relevé celui d'hier. De Pascal à Louis de Broglie ou à Charpak, la limpidité du français scientifique a fait ses preuves durant trois siècles et demi. En lui sont rigueur et ordre logique.
Le même français peut reprendre son rôle en s'enrichissant des néologismes propres à chaque spécialité. Il dispose de tous les atouts pour les créer lui-même, y compris en puisant dans les mines de mots oubliés ou d'expressions imaginées par les peuples qui le parlent.
Autre chance : son unité. C'est lui qui présente le moins d'écart entre langage scientifique et langage littéraire.
- Science, littérature, synthèses philosophiques… même combat ?
- Même combat pour la personne humaine. Des cantilènes de l'an mil aux voix des lanceurs d'Ariane, le verbe français demeure pensée, harmonie et action.
Il reste au service des trois grandes causes que nous avons évoquées : la DIVERSITÈ, la CLARTÈ, la PROMOTION DES HOMMES.
Un nouveau Pascal, ou bien un poète de la stature d'un Dante ou d'un Gœthe francophone naîtra-t-il à l'aube du troisième millénaire ? En quel point d'une Francophonie éparse et vivante ? Au bord des grands lacs canadiens, des forêts africaines, ou en Europe, ou sous la neige du Mont Liban, dans les deltas d'Asie ou les îles de lumière ?
À la langue française, fleuve de rigoureuses clartés, de recouvrer ses grands accents pour témoigner de l'homme et de ce qui dépasse l'homme.
CERCLE FRANÇOIS SEYDOUX
DÉFENSE DE LA LANGUE FRANÇAISE
1998
[1](Le ministre des Affaires étrangères von Brentano.) [Retour]
[2] Rappelons-nous la controverse concernant l'expression « from occupied territories » : de ou des territoires occupés ? [Retour]
[3] À cause notamment de la place du complément de nom. [Retour]
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