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La Carpette anglaise vue par Le Figaro
Alain Richard promu « fossoyeur » du français
Par Tanguy Berthemet
Le ton est léger, mais l'affaire sérieuse. Car, entre deux sourires, ce prix de la Carpette anglaise, décerné hier, poursuit un noble et risible but : la défense de la langue française, quotidiennement rongée par des anglicismes sournois et des tournures anglo-saxonnes. Cette « palme d'indignité civique » est accrochée au revers d'un membre des élites françaises qui s'est particulièrement distingué par son acharnement à promouvoir la domination de la langue anglo-américaine en France. Et, de l'aveu même des onze jurés de l'Académie de la carpette, enragés volontaires de la francophonie sans concession, les candidats sont nombreux et la lutte âpre. Un déjeuner au Procope a tout juste suffi pour désigner un digne successeur à Louis Schweitzer, premier lauréat. C'est finalement Alain Richard qui s'est vu permettre de rehausser son costume de ministre de la Défense, en guise de fourragère, de cette « serpillière du déshonneur ». Il n'a fallu que l'invention d'un concept au ministre pour provoquer l'ire académique. Celle de « langue opérationnelle » qui, d'après un texte officiel, « a été introduite récemment dans la perspective d'un engagement au sein de l'Otan, dont la première langue utilisée, l'anglais, doit être pratiquée par tous ». En d'autres termes, selon Philippe de Saint-Robert, écrivain et président du jury, « cela revient à dire que, dans l'armée, symbole le plus fort de l'indépendance du pays, les ordres doivent désormais être donnés en anglais ». À quand « Attention ! Come forward children of the motherland, the glory day…» ? La distinction reçue par ce « grand fossoyeur de la langue de Molière » n'est pas surprenante. Alain Richard s'était en effet déjà distingué en organisant un colloque à l'École militaire si entièrement en anglais que les cartons d'invitation eux-mêmes ne comportaient pas un mot de français. Ce gagnant, certes méritant, laisse pourtant à certains des regrets de ne pas pouvoir honorer d'autres anglomaniaques fanatiques. Et de citer Pascal Lamy, commissaire européen au Commerce, dont « l'amour pour l'anglo-américain confine à la dévotion ».
Autres candidats battus, Jean-Cyril Spinetta, PDG d'Air France, pour sa tentative d'imposer l'anglais entre les pilotes francophones et les contrôleurs aériens à Roissy, Jean Glavany, inventeur d'un site Internet officiel sur l'agroalimentaire baptisé Frenchfoods, ou encore François Pinault, promoteur d'une campagne de publicité pour le Printemps rédigée en anglais. Mais attention, pas question dans cette croisade de vouer aux gémonies l'anglais, ni de le bouter hors de France. Tous les membres de l'académie s'assurent d'ailleurs parfaitement bilingues.
Le Figaro 9-11-2000
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