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Après l'euro, l'anglo !
Le point de vue de Marc Favre d'Échallens
Les Echos le 3 décembre 2002
Marc Favre d'Echallens administrateur de l'association Défense de la langue française.
Après la tentative de juillet 2002 de la Commission européenne d'imposer l'anglais comme langue de communication commerciale en France dans l'étiquetage des produits alimentaires, c'est maintenant sous la forme doucereuse de la rationalité et de la « convivialité » que les projets de langue unique, commune ou principale, apparaissent à l'occasion de l'élargissement de l'Europe.
Ainsi, on nous ménage en demandant l'anglais obligatoire mais à côté de la langue française, celle-ci restant langue de Culture (avec un grand C, soyons civilisés !). On nous raisonne en rappelant le coût excessif des traductions dans la future Europe élargie, voire en nous faisant miroiter la création par l'anglais d'un « véritable espace de convivialité » ! Après le gourdin linguistique digne de l'abbé Grégoire de cet été, la langue d'amour et de liberté est maintenant offerte, c'est beau, c'est grand; comme certains lèguent leur corps à la Science, les « anglophoniseurs » font don de l'anglais à l'Europe, mon ordinateur en est tout ému !
Mais la réalité est plus crue, ce sont des intérêts financiers, économiques et politiques à courte vue qui guident cette politique, au nom d'apparentes réductions de coûts par l'uniformisation des produits et des modes de consommation, il ne s'agit pas ici de convivialité mais de trivialité. Quant au coût de la mise en place de l'anglais comme langue commune dans les États de l'Union, il n'est pas calculé, ce sont les citoyens sommés d'apprendre l'anglais qui le paieront. Ne parlons pas de la destruction de l'enseignement des autres langues européennes, il est vrai que, déjà pour certains, la messe est dite. Ainsi le directeur du British Concil aux Pays-Bas, David Aldervide, a, le 4 octobre, précisé, à l'attention des Néerlandais, que « chacun doit être bilingue parce que; dans vingt-cinq ans le néerlandais sera une langue morte ».
Ce bilinguisme imposé est la mort programmée de toute langue maternelle face à la nouvelle langue supérieure et prestigieuse, les études de sociolinguistique menées notamment à l'université de Montréal le démontrent. À la fracture sociale s'ajoute ainsi une fracture linguistique.
Devant l'inflation du coût des traductions dans l'Europe élargie, aucune étude, aucune solution n'est avancée autre que l'adoption de l'anglais. Les « décideurs » médiatiques ou économiques coupent, tranchent. Une seule solution s'impose: la langue mondiale, celle de 1'« hyperpuissance » américaine. Est-ce l'Europe que l'on veut construire ou l'union de l'Occident américain ?
La liberté des échanges économiques n'est pas synonyme d'anglophonisation, l'entreprise Renault depuis son alliance avec Nissan l'a compris, pas par philanthropie francophone mais par efficacité. Renault vient de créer un MBA francophone pour cadres japonais. Louis Schweitzer précise même: « La mondialisation ne doit pas réduire la diversité des cultures au bénéfice d'une norme dominante induite par une même langue. L'interaction des cultures constitue un levier de performance et de progrès. » Louis Schweizer est crédible, car ses propos se traduisent en actes et en crédits (budget initial du MBA de 13 millions d'euros sur cinq ans).
Mais, pour nos zélateurs de l'anglais, l'argument économique n'est qu'un leurre, une justification extérieure à leur volonté de passer dans le camp des vainqueurs. L'abandon de sa langue constitue la transgression la plus forte, la plus visible, du passage dans le camp des maîtres. La béquille psychologique d'une rationalité économique ou humaniste, justifiant son choix, est toujours utile pour (se) raconter des histoires quand on ne veut plus participer à un destin collectif.
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