Défense de la langue française
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Dossier : l'avenir de la francophonie
La fin annoncée du globish
Jacques Myard, Député, membre de la Commission des Affaires étrangères
Il s'agit bien évidemment d'un avis personnel, mais il me semble que le fait de débattre d'un thème tel que " la Francophonie et le développement durable " ne fait pas réellement sens Il Semble que l'enjeu réel soit aujourd'hui celui de savoir si le français, en tant que langue, a encore une modernité économique. Notre langue est-elle un élément de ce débat ? Le fait de répondre " oui " à cette question est la seule manière de revenir - non sans faire un long détour - au thème de l'économie durable, nouveau leitmotiv de la politique française, voire des politiques locales. Il n'y a, certes, rien de neuf à rappeler qu'une langue n'est pas un simple moyen de communication mais que c'est au contraire un système holistique de pensée. Une langue est ainsi normalement structurée pour accéder à un ensemble de concepts de la connaissance humaine. Le français, à cet égard, a des qualités indéniables sans pour autant être supérieur à aucune autre langue. Ce qui rejoint tout à fait le discours sur la nécessité de respecter les langues régionales, nationales, etc. C'est dans le dialogue des cultures que s'enrichissent les cultures et les civilisations.
Néanmoins, nous assistons actuellement à un phénomène assez exceptionnel dans ce débat des concepts et de la connaissance, notamment en France. Les élites françaises font preuve d'un certain renoncement à parler le français, en particulier dans l'ensemble des symposiums internationaux. On se demande parfois si la France n'a pas honte de parler sa langue. La dernière bataille n'est autre que celle de L'Eurovision où l'on a dû assister au ridicule de la France représentée par le sabir international décadent. Dans le domaine scientifique, certains faits doivent être rappelés. Selon une étude américaine - il faut parfois savoir se référer à l'adversaire potentiel - sur les 22 domaines de recherche de haute technologie du XXIe siècle concernant l'aéronautique militaire, la France possède la maîtrise de 17 d'entre eux. C'est dire que nous ne sommes pas encore totalement défaits dans la compétition internationale. Cela étant, Julien Benda l'avait compris, "on ne peut être trahi que par les siens" et on assiste effectivement à une forme de trahison des clercs. De plus en plus de publications sont payées par le contribuable français mais écrites dans un anglais réducteur (et réduit). Le rapport Attali enfonce, lui, des portes ouvertes. Certaines de ces 300 propositions ont un intérêt mais l'ensemble se contente de reprendre beaucoup de choses déjà vues comme l'injonction à faire de l'anglais la langue définitivement privilégiée, ce qui n'a aucun sens. Aujourd’hui, le Quai d'Orsay lui-même répond en anglais dans les échanges avec ses partenaires !
Les conséquences de cette dérive sur le plan interne seront très lourdes. À force de nier ce que nous sommes en niant la langue française, nous allons provoquer un retour fort à des réflexes identitaires voire nationalistes, et ce, dans l'excès. On constate d'ailleurs à l'heure actuelle un certain nombre de réactions, y compris dans les entreprises françaises qui révèlent que, à mettre en péril sa langue et son identité, on risque d'aboutir à quelques retours de bâtons féroces. Les Français coupent la branche sur laquelle ils sont assis. Le fait de jouer les " idiots utiles " de l'économie dominante ne peut que nous conduire à voir un nombre croissant d'étudiants choisir d'aller se former directement dans les universités américaines. De plus, ce phénomène remet en cause toute une stratégie d'échanges, de diversité culturelle, d'influence. Il est atterrant de constater la cécité d'une part de l'élite française. Nous assistons en effet à la fin programmée du globish, ce sabir international né des rapports incestueux entre la noble Langue de Shakespeare et les idiomes dégénérés du Texas. Porté par l'économie dominante américaine, son primat peut être aujourd'hui mis en question. Car ce privilège exorbitant accordé globish va directement à l'encontre du débat nécessaire des cultures, des conceptions économiques. Cela revient à regarder le monde à travers le prisme désormais dépassé des années 1960. Nous allons nécessairement assister au déclin de l'économie américaine, pour des raisons internes, ne serait-ce qu'avec la montée de l'hispanité qui va provoquer l'émergence d'une nouvelle situation du type " Autriche-Hongrie ". L'ancien président Vincente Fox nous avait ainsi répondu lors d'une visite à Paris à une question volontairement provocante sur la " future reconquête de la Californie et du Texas par le Mexique " que celle-ci n'était en fait " pas utile ", dans la mesure où l'on verrait certainement et, " dans le temps d'une vie d'homme, l'émergence d'un Etat hispanique entre le reste des États-Unis et le Mexique ". Il y a également des raisons externes à ce déclin qui va affecter la puissance relative des Etats-Unis.
Le monde prend la voie d'un multilinguisme planétaire. C'est' dire que la vision actuelle que nous avons d'une langue, le globish comme d'une passerelle universelle, va rapidement s'éroder pour laisser place à des mondes multiples et variés sur le plan linguistique. L'anglais restera, bien sûr, une langue internationale, l'espagnol s'en rapproche à grands pas, le chinois bénéficiera de l'effet de masse et, enfin le français restera une langue parlée par quelques millions d'individus sur tous les continents.
En définitive, à travers la Francophonie, nous avons quelque part l'instrument du dialogue des civilisations qui nous est cher. Grâce à elle, nous pouvons mettre en avant et débattre de thèmes qui répondent justement aux défis de la mondialisation. L'instrument scientifique et économique que constitue une langue comme le français est de nature à faire progresser des thèmes qui, au demeurant, sont politiquement nôtres, tels que l'économie durable. Cependant, il faut avant tout prendre conscience et reconnaître que c'est l'un' des enjeux que la Francophonie doit s'approprier et non le seul, si elle veut pouvoir participer au concert pérenne des nations.
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