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INTERVENTION
de Monsieur Christian PONCELET
Président du Sénat
lors de l'inauguration de la Foire du Livre
de Brive
Vendredi 8 novembre 2002
Monsieur le Sénateur Maire, cher Bernard Murat,
Cher Georges Mouly,
Mesdames et Messieurs.
J'éprouve aujourd'hui un grand plaisir à répondre à l'invitation de mon collègue Bernard Murat, à inaugurer cette 21e foire du livre et à participer au lancement, moment émouvant, d'une nouvelle police de caractères, la seule police que les écrivains aiment, dans une ville qui, si j'en juge par son maire, avait déjà du caractère.
C'est pour moi aussi l'occasion de relever avec malice que cette Foire illustre parfaitement les débats que nous venons d'avoir au Sénat sur la décentralisation, et qu'elle confirme nos convictions sénatoriales sur le nécessaire réveil des territoires.
Voilà une manifestation désormais bien établie dans le paysage littéraire, ancrée dans une province qui a donné à la France des écrivains qui en ont chanté les beautés. Voilà une manifestation qui sait tirer parti de l'hospitalité de ses habitants et de la richesse de sa gastronomie - dont on m'a dit qu'elle n'était pas étrangère au succès de la Foire et à l'afflux des écrivains et des éditeurs.
On ne saurait reprocher à des gens de lettres et de plume d'avoir du goût en toutes choses. Les arts et les lettres ont pris très tôt et je m'en réjouis le train de la décentralisation. En cette année Victor Hugo, il m'est agréable de relever que nos écrivains, privés désormais des duretés de l'exil, cherchent l'inspiration dans les presbytères de la vallée de Chevreuse, les manoirs du Limousin ou les bastides provençales, profitant des technologies modernes pour envoyer par messagerie électronique mais toujours en retard, leurs manuscrits aux vénérables maisons de la rive gauche. Les éditeurs ont même devancé ce mouvement puisque des maisons très dynamiques et remarquables ont élu domicile à Cognac, Arles, Toulouse, ou Montpellier et rayonnent bien au-delà de nos frontières, ce qui démontre bien que l'on peut être local et universel.
Ce constat m'amène, si vous permettez que l'on parle un peu politique, à l'actualité du livre, et à vous livrer quelques réflexions.
Je crois tout d'abord que nous devons nous réjouir de la volonté exprimée par le ministre de la culture et de la communication de renforcer les spécificités du secteur public audiovisuel. Le Sénat est depuis longtemps le défenseur du service public. Il a appuyé les initiatives du gouvernement précédent en ce qu'elles le libéraient partiellement de la pression publicitaire.
Sans nier les efforts de France-Télévision, il me semble que notre pays, qui a aussi une image et une réputation en ce domaine à défendre, a le devoir de donner au livre une place plus grande et à de mei1leures heures sur les chaînes du service public. Il faut probablement aussi que nous cessions de donner le spectacle d'une classe politique toujours unanime à souhaiter l'amélioration des programmes mais souvent absente lorsqu'il s'agit de prendre les mesures juridiques nécessaires ou de modifier les cahiers des charges.
Je crois aussi - et je sais que cette opinion n'est pas partagée par tous ici et que des inquiétudes se sont exprimées - que nous devons nous réjouir de la solution finalement retenue pour le rachat des publications du groupe Vivendi.
Notre pays ne peut à la fois souhaiter avoir des industries culturelles dynamiques et, selon un réflexe égalitariste atavique, dénigrer les acteurs de poids qui pourraient accompagner la promotion de nos écrivains en France et dans le monde.
Le patriotisme que nous demandons aux chefs d'entreprise - et nous avons tous été choqués d'apprendre que l'un d'entre eux considérait. que l'exception culturelle était morte - a pour contrepartie une certaine solidarité avec ceux qui engagent des moyens dans nos industries culturelles à la condition naturellement qu'ils servent notre culture.
Le fait est que l'industrie du cinéma a été plus active et organisée dans la défense de son exception et que les politiques ont relayé ses points de vue, notamment en 1994 dans les négociations du GATT. Je me suis souvent étonné que le livre soit oublié dans ce combat. J'ai La faiblesse pourtant de penser - j'espère qu'au moins ici, on ne jugera pas en cela le Sénat ringard - que pour la défense des valeurs de la Culture, pour exprimer le meilleur d'une civilisation, rien n'est plus haut que le livre. Pas forcément tous vos livres en particulier bien sûr, mais ... presque tous !
Et les enjeux ne manquent pas, aujourd'hui, les écrivains français étudiés dans certaines universités d'Europe de l'Est sont parfois seulement ceux qui sont à l'honneur dans certaines universités américaines, qui jouent paradoxalement le rôle de prescripteur et d'arbitre du goût.
La situation est encore plus grave - et je déplore l'incapacité chronique des pouvoirs publics à se saisir de cette question, dans le domaine de l'édition scientifique et des revues qui sont des lieux de pouvoir. C'est d'elles que dépend le maintien d'un français scientifique vivant C'est d'elles que dépendent la vita1ité et la richesse de nombreux laboratoires et même de nos industries.
Des exemples à foison ont montré que les grandes revues scientifiques anglo-saxones où nos compatriotes rêvent de se faire publier n'étaient pas forcément des lieux neutres et purs où seule compte la qualité des travaux. On raconte que la publication d'une découverte française attend quelques semaines le temps que le laboratoire concurrent américain dépose le même brevet, que ces revues sont un formidable lieu d'intelligence économique voire de pillage. Maintenant qu'un groupe français a récupéré les publications médicales et scientifiques, j'appelle à une grande concertation entre les pouvoirs publics, Recherche, Affaires étrangères, Culture, Francophonie, défense, industrie, et la profession pour un plan d'ensemble de reconquête des outils de la publication scientifique.
Il s'agit d'enrayer le déclin et le sentiment d'abandon, qui a saisi par exemple, je le dis avec un sentiment mêlé de honte, de tristesse et d'indignation - les responsables de notre propre Académie des Sciences qui ont décidé l'abandon de la langue française.
Á quoi bon se battre pour la culture, prétendre avoir une autre vision de sa place dans la société, défendre une certaine idée de la France, si au jour le jour, nous sommes prêts à ces lâchetés quotidiennes au nom de la soi-disant efficacité et en général de la simple vanité. Vanité d'être publié, de paraître international d'autant plus parfois qu'on est médiocre. Le protocole de Londres sur les brevets, hélas signé par le précédent gouvernement, que Jean-Pierre Raffarin avait d'ailleurs dénoncé lorsqu'il était sénateur, mérite, puisqu'il n'est pas encore ratifié, un réexamen attentif car nous ne pouvons accepter ses dispositions conduisant au tout anglais dans ce domaine stratégique.
Ceci renvoie aux débats sur l'avenir de l'Europe. Nous sommes tous convaincus que la construction européenne est notre horizon. Pour autant, ces politiques en faveur des industries culturelles ne seront possibles que si le cadre juridique communautaire le permet.
Et nous avons l'ardente obligation d'exiger et d'obtenir que les politiques culturelles et linguistiques ne soient en rien entravées par les principes généraux du commerce que la Commission applique.
L'exemple du statut de la 1angue française est édifiant et je suis sûr que Jean-Marie Rouart qui va remettre le prix de la langue française, ne me démentira pas. En 1994, le Premier ministre avait écrit une lettre d'une extrême fermeté à la Commission, qui voulait contester à la France le droit de légiférer sur l'emploi de sa langue. La Commission s'était couchée devant l'affirmation politique forte d'un État fondateur, affirmation politique conforme à l'idée même que nous nous faisons de l'Europe.
En juin 1995, sous les auspices de Jacques Chirac, le Conseil européen a posé le principe que la diversité linguistique de l'Europe était un élément essentiel de son identité et que chaque citoyen de l'Union avait un droit à ce que l'Union et les États défendent les langues nationales. Et cet été. nous apprenons que la commission, cédant aux arguments d'une célèbre chaîne de restauration rapide, lance une procédure d'infraction contre la France car celle-ci impose l'étiquetage en français des denrées alimentaires.
J'affirme que c'est la Commission et même la Cour de justice de Luxembourg qui sont en situation d'infraction aux principes mêmes qui fondent la volonté des Européens de vivre ensemble.
Et je voudrais que tous les intellectuels, comme ils l'ont été pour le cinéma, que tous les politiques, comme l'avait fait le Premier ministre en 1994, soient rassemblés pour dire au président de le Commission que nous n'accepterons jamais cette interprétation. Parce que nous pouvons le dire haut et fort, nous porterions seuls par notre négligence la
responsabilité de ces abandons.
Et j'ai la faiblesse de penser, puisque maintenant nous savons, après l'accord qui vient d'intervenir après un dernier combat de retardement, que la PAC sera révisée et réduite à partir de 2OO6, qu'il y a un combat à terme aussi important et qui mérite peut-être qu'on en fasse une exigence non négociable, que l'on tape du poing sur la table, c'est celui de la Culture.
La constitution européenne en projet et la Convention sur l'avenir de l'Europe doivent donc permette de figer dans le marbre par un article spécifique ce principe que rien ne doit pouvoir entraver la possibilité des États de prendre toute mesure de nature à maintenir la diversité culturelle et linguistique de l'Europe et à développer la vitalité des cultures nationales, car elles sont par nature dans l'intérêt de l'Europe.
Telles sont les conditions mêmes pour que le projet européen ait un sens. Si nous réussissons l'Europe de la défense, mais parce que nous avons finalement accepté de nous rallier à l'OTAN, si nous faisons l'Europe en acceptant que les produits culturels et les langues soient traités comme des marchandises, et que la langue des États-Unis d'Amérique en soit la langue officielle de fait, nous serions comme ces cavaliers dont parlent Fernando Pessoa qui entrent victorieux dans une ville conquise mais dont l'étendard porte en lettres d'or le mot « défaite » !
Voilà pourquoi, mes chers amis, en répondant à l'invitation de Bernard Murat j'ai souhaité profiter de cette décentralisation du monde parisien des lettres dans un département qui est à certains égards…, capital, pour vous inviter à la mobilisation et vous assurer du soutien du Sénat dans ces combats.
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