Défense de la langue française   
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Quand l'Académie des sciences morales et politiques
se penche sur le devenir du français

Une langue de caractères

Le Figaro 7/11/2002


Joseph Macé-Scaron

Dans une récente communication à l'Académie des sciences morales et politiques, Gabriel de Broglie a analysé le mouvement des langues pour démontrer qu'elles n'obéissent pas aux lois de l'économie, ni à celles de la biologie.
Après un rappel historique sur la formation des langues au fil des siècles et un regard sur la situation actuelle, Gabriel de Broglie « ne voit pas le monde en voie d'unification linguistique. (Il) pense même que le concept d'une langue universelle est une idée scientiste de la fin du XIXe siècle, aujourd'hui dépassée. Aucune des seize langues artificielles qui se sont prétendues universelles ne s'est implantée dans un usage perceptible.
L'anglo-américain est-il alors en train de se substituer aux langues artificielles dans leur ambition d'universalité ? Non plus, et pour plusieurs raisons. Tout d'abord la langue d'usage, ou
« dialecte de transaction », comme disait Chateaubriand, qui sert aux touristes, aux commerçants ou aux experts à l'occasion de leurs contacts internationaux, est une langue pauvre dont le vocabulaire s'évalue entre 200 et 500 mots.[…] D'autre part, les Etats-Unis d'Amérique ne sont pas eux-mêmes, sur leur territoire, en voie d'unification linguistique, et les langues minoritaires, l'espagnol surtout, s'y développent. Enfin, les langues de toutes les grandes nations sont en expansion numérique et aucune ne donne des signes de dépérissement. La langue la plus parlée est le chinois mandarin, par un milliard de personnes... »
Mais si le monde n'est pas en voie d'unification linguistique, poursuit Gabriel de Broglie, c'est surtout grâce à la vitalité des grandes langues internationales qui sont au nombre de quatre, l'anglais, le français, l'espagnol, le portugais, auxquels se joindront peut-être le russe et le chinois. Pour accéder à ce rang, ces langues doivent présenter des caractéristiques. Ainsi : « Le français les réunit toutes, avec l'anglais. A l'échelle de la planète, notre langue ne se trouve pas dans la situation alarmante que certains dénoncent parfois. Le français n'a jamais été parlé par un aussi grand nombre de locuteurs qu'aujourd'hui. Les francophones réels sont au nombre de 110 millions, les francophones occasionnels, de 60 millions, et les francisants, ayant des notions de français, de 170 millions. Les francophones sont dispersés sur les différents continents... Notre langue se déforme peu, elle évolue, elle s'enrichit... Cela la place au deuxième rang des grandes langues mondiales, même si, en nombre, elle prend place derrière l'espagnol et d'autres langues asiatiques. »
L'Union européenne engage-t-elle nos vielles nations vers une fusion linguistique ? « Le traité de Rome est muet sur les langues. Le traité de Maastricht proclame le principe de la diversité culturelle... D'où viennent donc ces questions résurgentes des langues de travail, de l'étiquetage des produits, de la langue des brevets?
Périodiquement, une initiative maladroite de la Commission ou d'un pays de langue non latine vient relancer un débat qui a déjà été tranché. La France proteste et ses partenaires la laissent monter seule au créneau, sachant qu'elle est le meilleur défenseur d'un principe auquel tiennent treize des quinze membres de l'Union, le plurilinguisme, sachant aussi que tout ce qui méconnaîtrait la diversité linguistique de l'Europe serait sans avantage économique, entraînerait au contraire un appauvrissement, pas seulement culturel, et des conflits linguistiques bien inutiles.
" Le mouvement des langues n'est pas seulement commandé par des phénomènes de puissance, la richesse des empires, la force de lois. Il dépend aussi des caractères propres de chaque langue « Le français est la langue unique et unifiée en usage en France. C'est une situation exceptionnelle dans le monde et récente. Le confort des Français dans leur langue date de quatre-vingt-cinq ans. Il y a peu de différences entre les niveaux de la langue, maternelle, populaire, officielle, de culture. A travers le monde, aussi, le français se déforme peu, beaucoup moins que l'anglais et que l'espagnol. Notre langue est normalisée, institutionnalisée et figée. Le vocabulaire se rétracte. Il y a certes des emprunts à l'anglais, mais moins qu'il y a quarante ans... » Et Gabriel de Broglie de noter les relâchements dans le parler de la langue, le passé simple et le subjonctif en voie de disparition, le participe passé manié avec maladresse, les détériorations de l'orthographe, l'abus des sigles et des locutions d'attente sans signification. Et pourtant, « malgré la sévérité dont on doit faire preuve, le français ne perd pas ses qualités, qui continuent à être reconnues, hors de la sphère francophone... »
Le français offre l'outil le plus évolué au service de l'activité intellectuelle ; certes, il n'est pas seul, il y a aussi l'anglais, mieux adapté au monde de l'économie, de l'entreprise. Le français n'est pas oppresseur, pas même impérialiste enfin, le français n'ouvre pas seulement les voies de la francophonie, il facilite l'accès à toutes les langues et l'échange entre elles.
Pour Gabriel de Broglie, « l'entretien d'une langue, c'est d'abord son enseignement. On a tout dit sur la faillite de l'enseignement du français en France ». Il évoque aussi le rayonnement de la langue française : « Ce n'est pas le chiffre mondial des tirages qui révèle l'attrait de la langue français mais la résonance universelle de la littérature, la place de la création écrite dans l'identité et la symbolique des groupes sociaux, le dialogue entre les siècles par la réussite littéraire, la consécration par l'Etat de la gloire littéraire. »
La langue française suit le mouvement des autres langues : « Elles perdent leur caractère collectif et leur vertu de mobilisation sociale. Elles ne jouent plus, ou moins, le rôle de matrice d'une culture, et n'engagent plus le destin national. »
La situation du français dans le monde ne justifie pas les constats trop alarmistes ni les prévisions catastrophiques. « La véritable inquiétude que la situation du français peut inspirer ne vient pas de la situation du monde, ni des rapports de puissance, ni de la conscience linguistique des francophones hors de France[…]Elle vient d'une impardonnable irresponsabilité, faite d'inconscience, d'incivisme et de snobisme, de la part des élites françaises[…]Une intervention déterminée du gouvernement en faveur d'une politique intérieure et internationale de la langue française me paraît maintenant s'imposer. Cette intervention paraît d'autant plus nécessaire que la Convention sur l'avenir des institutions européennes va engager la phase constructive de ses travaux et qu'elle n'échappera pas à une réflexion sur les langues de travail de la Communauté élargie, pour retenir deux, trois ou cinq langues de travail. En tout cas, pas une langue unique, quel que soit le coût. »
En conclusion : les langues « jouent comme des organismes indépendants et indéterminés. Si elles vivent, c'est comme une culture ou comme un média, par une énergie qui leur est extérieure, insufflée par l'esprit humain. C'est pour cette raison que l'on ne doit pas succomber au pessimisme ambiant, que le destin de notre langue n'est pas scellé, que l'on peut le ressaisir. Il y faut de la conviction, de la volonté, et même de la ferveur. »

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