Défense de la langue française   
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DIPLOMATIE
Perez De Cuellar :
« Il faut sauver le français à l'ONU »

Le Figaro le lundi 17 novembre 2003
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L'ONU a décidé de regrouper à Bruxelles les activités de ses Centres d'information en Europe. L'objectif est de réduire les dépenses des Nations unies dont le budget a atteint 2,6 milliards de dollars pour les deux années 2002 et 2003. Contrairement à la dizaine de bureaux qui seront supprimés, les Centres de Genève et Vienne seront maintenus comme New York, ces deux villes sont en effet le siège de plusieurs organes des Nations unies. Secrétaire général de l'ONU de 1982 à 1992, Javier Perez de Cuellar s'inquiète des effets négatifs de cette décision pour la francophonie.
Propos recueillis par Charles Lambroschini
LE FIGARO. - L'ONU compte fermer son centre d'information à Paris en décembre. Cette décision, qui concerne aussi une dizaine d'autres bureaux européens, est justifiée par une politique d'économies. Mais, comme l'a écrit Maurice Druon dans Le Figaro du 8 août 2003, les Etats-Unis sont soupçonnés d'avoir voulu marquer des points contre la francophonie. Comme ancien secrétaire général de l'ONU et francophile de toujours, quelle est votre analyse?

Javier PEREZ DE CUELLAR.
-Je regrette cette décision. Certes, elle ne vise pas seulement Paris. Mais si les Espagnols, qui voient aussi disparaître le bureau de Madrid, peuvent seulement se plaindre, la France, elle, a le droit d'exprimer son opposition. Aux Nations unies, il y six langues officielles mais seulement deux langues de travail : l'anglais et le français. Chaque document officiel doit être publié simultanément dans- ces deux langues. La réalité est toute différente. Le texte anglais est distribué immédiatement, le texte français suit... un jour ou une semaine plus tard. L'abandon de Paris par les Nations unies n'est donc pas neutre. Cette initiative exprime la conviction que la langue des relations officielles doit être l'anglais comme le latin au temps de l'empire romain.

Comment la France peut-elle rappeler l'ONU à ses engagements francophones?
Quelques mois après mon élection comme secrétaire général, en janvier 1982, j'avais été reçu par Français Mitterrand qui se plaignait que l'ONU délaisse le français. Je lui avais répondu « Ce sont vos diplomates qui cèdent devant la langue anglaise. Ce sont les Africains qui défendent le français. » Aujourd'hui, je suis désolé que le Quai d'Orsay ne réagisse pas plus vigoureusement à la fermeture du bureau parisien des Nations unies. La langue est une dimension du patriotisme, se battre pour le français, c'est se battre pour la France. Le Québec a réagi, il a sauvé sa langue.

Quelles mesures pratiques préconisez-vous?
L'effort doit commencer en France. Il faut redonner aux Français le goût de leur littérature. Dans ma jeunesse, mes condisciples parisiens récitaient par coeur Molière et La Fontaine. Or l'autre jour je me suis plongé dans le supplément littéraire du Monde pour découvrir qu'une fois de plus il consacrait quatre pages aux romans anglophones.

L'Organisation internationale de la francophonie, dont le premier secrétaire général fut votre successeur à L'ONU Boutros-Ghali, est supposée conduire la résistance. Quel jugement portez-vous sur son action?
Il s'agit d'un appareil bureaucratique qui, malheureusement, ne rend pas les services dont la langue a besoin. Au Pérou, ni votre lycée de Lima ni l'Alliance française ne disposent de moyens financiers suffisants. A Paris, quand j'entends le franglais des présentateurs de la télévision, je trouve que la France ne fait pas assez pour protéger sa langue. J'ai 83 ans, mais je n'ai jamais employé le mot OK, même en anglais.

La défaite du français à l'ONU serait donc irréversible?
La France doit s'engager dans une lutte à outrance. Car une langue exprime un esprit une psychologie, une vision du monde. L'hégémonie de. l'anglais entraîne forcément la domination intellectuelle et donc politique. D'ou la polémique déclenchée par le projet de l'Unesco d'une convention prônant la défense de l'identité culturelle. Les Américains y sont hostiles parce qu'ils savent bien que la diversité culturelle préserve la diversité politique. Regardez ce qui se passe avec l'espagnol. Cette langue dispose du vivier latino-américain qui, de plus, se trouve aux portes des Etats-Unis. Le résultat est là pour la première fois de leur jeune histoire, les Etats-Unis connaissent sur leur propre territoire la concurrence d'une autre langue.

L'ONU se défend d'avoir cédé à un complot des anglophones. Elle souligne que les activités des bureaux européens seront centralisées à Bruxelles, ville francophone.
D'abord, Bruxelles n'est francophone qu'à moitié. Ensuite, je tiens à dire à mes amis anglophones fascinés par la technologie, qu'Internet ne peut pas, toujours et partout, remplacer l'information fournie par des êtres de chair et de sang. Enfin, au moment où l'ONU a tellement besoin de trouver des appuis dans l'opinion, c'est une illusion de croire que Bruxelles pourra remplacer efficacement non seulement Paris mais aussi Lisbonne, Copenhague ou Athènes.

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