Un de nos adhérents, Patrick Leloup, a réagi après lecture d'un article paru dans le numéro hors série d'avril 2004 du mensuel
Science et Vie Junior qui traitait de l'intelligence.
Cet article s'intitulait "
Es-tu un homme ou une machine ?" et était consacré au "
prix Loebner", qui récompense les auteurs de logiciels qui réussiraient à se faire passer pour des humains lors d'un dialogue machine - humain par clavier interposé.
Voici le message qu'il a adressé à
SVJ. le 17 avril 2004 :
Dans l'article «
Es-tu un homme ou une machine ? » de votre numéro hors série sur l'intelligence, vous écrivez :
« [Ces programmes]
commencent par éplucher la phrase de leur interlocuteur grâce à leur module d'analyse syntaxique, à la recherche des mots les plus importants. Cette analyse est facilitée par la langue utilisée, l'anglais, dont la grammaire est beaucoup moins complexe que celle de notre français par exemple. »
Cette fable a la vie dure. En réalité, la compréhension d'un texte par un automate n'est pas entravée lorsque la grammaire est élaborée (complexe, à vos yeux), elle en est facilitée. La compréhension n'est pas facilitée par une grammaire rudimentaire, elle en est complexifiée, jusqu'à la rendre parfois impossible.
Je vous conseille d'utiliser les traducteurs automatiques que vous pouvez trouver sur les pages de garde des moteurs de recherche (ex. : " Outils linguistiques " sur Google). Par exemple, l'an dernier, le site
www.cnn.com de CNN traitait de la mort d'un certain Chuck Jones, créateur du lapin Bunny, et titrait :
«
Bugs Bunny animator Chuck Jones dies ».
Voici la traduction que j'ai obtenue à l'aide du traducteur de Google
«
Matrices de Jones de mandrin d'animateur de lapin de bogues ».
En tête de l'article, on trouvait le titre suivant :
«
Cartoon legend Chuck Jones dies »
Google traduit par :
«
Matrices de Jones de mandrin de légende de dessin animé ».
Le traducteur aurait pu éviter de traduire «
Chuck » par «
mandrin » à cause de la majuscule, mais il n'a aucun moyen de savoir si « dies » est le verbe « mourir » ou le nom « matrices ». Ce problème est particulièrement frappant dans les phrases anglaises courtes, qui ne sont pas nécessairement pourvues d'un verbe, et comme on peut en trouver dans les titres des journaux, ou encore dans une page de garde d'un site Internet.
Certes, le traducteur de Google n'est sans doute pas le plus élaboré, mais il faut bien comprendre que ces erreurs de traduction ne relèvent pas du tout d'une complexité de la grammaire de la langue cible, mais bien d'un problème profond de compréhension du sens de la phrase originale. La langue anglaise possède une syntaxe et une grammaire plus rudimentaires que beaucoup d'autres langues à déclinaisons, ce qui en fait une langue peu précise et polysémique.
Il existe bien entendu des ambiguïtés dans les langues française, allemande, etc., mais elles sont en nombre infiniment moindre que dans la langue anglaise pour laquelle un même mot peut servir de nom, de verbe ou d'adjectif et qui enfile les substantifs les uns derrière les autres en laissant au lecteur ou à l'auditeur le soin de trouver leurs liens. Le traducteur automatique de Google figure ces liens par le mot « de », car il n'a guère de moyens de savoir si d'autres mots tels que « pour », « à », etc. ou une autre construction, ne seraient pas mieux adaptés.
Une traduction automatique de l'allemand, du français ou de l'italien vers l'anglais donne certes des choses souvent amusantes, mais il s'agit alors beaucoup plus souvent de problèmes d'idiomes ou de sens précis d'un mot particulier que de problèmes de compréhension de la construction de la phrase.
Je suis informaticien ; dans un document d'un fournisseur de matériel pour réseaux, je relève, au hasard :
«
WAN service provider toll network » (WAN est un acronyme signifiant « réseau étendu »).
Mot à mot, en conservant l'acronyme, cette phrase signifie «
WAN service fournisseur péage réseau ».
Le lecteur, en recréant les liens qui ne sont figurés dans cette phrase que par la place des noms, doit comprendre qu'on parle d'un réseau payant géré par un fournisseur de services spécialisé dans les réseaux étendus ....
Si vous traduisez mot à mot «
World Trade Center », vous obtenez «
Monde Commerce Centre ». S'agit-il du «
centre DU commerce mondial », du «
centre De commerce mondial » ou du «
centre mondial du commerce » ... ? Au lecteur de faire son appréciation.
Comment traduisez-vous «
professeur anglais » ? Par «
English teacher ». Comment traduisez-vous «
professeur d'anglais » ? Encore par «
English teacher » !
Le fait qu'un même mot puisse servir d'adjectif, de substantif ou de verbe est également la source d'un grand nombre d'ambiguïtés. Que signifie «
Empty glasses » ? Aussi bien «
verres vides » que «
videz les verres » (ou «
vide les verres »).
Comment savoir si «
Time flies » signifie «
le temps passe » ou «
chronométrez les mouches » ?
Ce ne sont pas là de simples jeux de mots comme on en trouve dans toutes les langues ; ils mettent en évidence que c'est la structure même de cette langue qui est un grave obstacle à la compréhension d'un texte court par un automate.
L'ambiguïté est dans l'absolu aussi grande pour un humain, mais il s'en tire grâce au contexte et grâce à son expérience lui permettant de choisir le sens le plus probable et le plus pertinent. Le cas le plus célèbre d'imprécision est celui de cette résolution de l'ONU demandant à Israël son retrait «
from occupied territories » : les Israéliens comprennent «
DE territoires occupés » mais les Palestiniens, qui s'appuient sur la version française, lisent «
DES territoires occupés », or la formulation anglaise signifie aussi bien l'un que l'autre.
Mon but n'est pas de montrer que la langue anglaise serait stupide ou autre; il est de vous montrer qu'il serait bon de cesser de faire comprendre à vos lecteurs francophones que leur langue (votre propre langue) serait inapte à la communication, et que la langue anglaise s'imposerait au monde par la seule grâce de ses supposées qualités intrinsèques qui en feraient une merveilleuse langue de communication.