« J'ai été au coiffeur pour qu'il me fasse montrer la coupe de cheveux qui m'ira la meilleure ».
« Parler la France », et non plus parler le français, pourrait être en passe de devenir la norme linguistique prévalant dans l'Hexagone...
A côté des anglicismes, rejetés en bloc par les académiciens, une déformation de la syntaxe et un appauvrissement du vocabulaire se profilent. Bien sûr, la majorité des Français n'en est pas encore rendue au niveau de certains candidats de « Loft Story » - à peine 300 mots différents contre 1 500 en moyenne -, qui ont encore bien du mal à donner une définition des mots « connotation », « ingénue » ou « ménopause ».
Il n'empêche que du haut en bas de l'échelle sociale, « le français se perd » comme diraient les anciens. Les patrons médiatiques se perdent dans les formules toutes faites en employant à tour de bras « ceci dit » lorsqu'ils devraient dire « cela dit ». Les journalistes de radio massacrent les liaisons, faisant l'impasse sur « s » final de cinq cents pour le lier à euros. Les présentateurs de télévision s'y mettent aussi avec des écorchures du style : « untel va-t-être » plutôt que « untel va être ». Quant à monsieur tout le monde, il pourrait bien glisser un « c'est la chaussure A Gérard » lorsque « de Gérard » est de rigueur ou lancer: « tous les commerciaLS de cette entreprise sont biens payés ».
Entre barbarismes et déformations de la syntaxe, les Français font décidément un joli pied de nez à notre bon vieux Molière. A tel point que les fautes les plus répandues entrent dans la norme, n'en déplaise aux puristes. C'est le cas de la phrase « aller chez coiffeur », qui, selon Bernard Cerquiglini, délégué général à la langue française et aux langues de France au ministère de la Culture, pourrait bien devenir un jour « aller au coiffeur ».
Est-ce bien sérieux? Les publicitaires eux-mêmes s'en amusent, créant parfois des situations gênantes pour les amoureux de la langue. C'est le cas de la société Callipage, qui a concocté il y a quelques mois un slogan radiophonique propre à hérisser le poil des linguistes. En se proclamant « spécialiste du fourniturage de bureau », elle a donné la preuve que toutes les rimes n'étaient pas bonnes à prendre. Depuis, son message est revenu à de simples « fournitures », ce qui n'est pas plus mal.
Le complexe sur la langue française est visiblement passé de mode « On a tendance à condamner les variations de la langue française. C'est oublier que le français des faubourgs au dix-neuvième siècle n'était pas meilleur que celui d'aujourd'hui », explique Bernard Cerquiglini. D'une tolérance à toute épreuve, le délégué général du ministère précise même que les fautes de liaison avec le mot « euro » ne relèvent que de « l'hypercorrection ». « Je ne m'affole pas sur les variations du langage, ajoute-t-il. Si on obtient une bonne maîtrise du français dans ses fondements, on peut être plus libéral sur les variations ».
Ce n'est certes pas l'avis de l'association
Défense de la langue française, qui s'inquiète de son côté des 15 % d'enfants qui passent en sixième sans savoir lire. « On n'insiste pas assez sur l'enseignement de la grammaire à l'école, précise Guillemette Mouren-Verret, secrétaire générale de l'association. Sans doute à cause de programmes scolaires trop chargés ».
Mais l'école n'est pas la plus fautive dans cette affaire. L'environnement social, les médias et surtout les parents jettent les bases d'un français correct. Rassurons nous pourtant. Dans ce domaine, nos voisins anglais ne seraient pas mieux lotis. La « Queen's English Society », équivalent de l'Association de défense de la langue française, recense les mêmes horreurs. De là à dire que les anglicismes qui empoisonnent notre langue seront bientôt eux mêmes truffés de fautes...