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Extraits du débat parlementaire sur la loi programme de la recherche.
Parties relatives au débat sur la ratification du protocole de Londre, préconisée dans le projet de Loi voté par la commssion des Finances de l’Assemblée nationale
Séance du 28 février 2006
[...]
M. Jean-Michel Fourgous, rapporteur pour avis - Pour obtenir une tonne de blé, mille heures de travail étaient nécessaires il y a un siècle : aujourd'hui il n'en faut plus qu'une. La croissance, c'est de l'argent, de la sueur et de l'intelligence. C'est au troisième ingrédient de cette recette que le texte s'attaque. Pour le psychologue Binet, l'intelligence se résumait aux capacités de synthèse et d'abstraction. J'y ajouterai la capacité à trouver des solutions aux problèmes environnementaux, technologiques, sanitaires et sécuritaires.
Une première question de fond se pose : comment atteindre l'objectif de 3 % du PIB consacré à la recherche fixé à Lisbonne ? Tout d'abord, en encourageant les PME françaises à participer pleinement à l'effort en faveur de la recherche car notre pays accuse du retard en matière de recherche privée. Pour ce faire, il nous faut commencer par ratifier le protocole de Londres. Je rappelle que ce protocole, objet de discussions animées dans les couloirs de l'Assemblée, a été adopté par les commissions des affaires économiques et des finances à l'unanimité. La France risque de rater le train de l'histoire si elle ne ratifie pas ce protocole qui permettra d'abaisser le coût de dépôt de brevet, trop élevé pour des petites entreprises, et donc d'augmenter au moins de 20 % le nombre de brevets déposés et, partant, l'activité économique. L'obligation de traduire dans toutes les langues - anglais, allemand, islandais ou slovène - qui agissait comme un garrot pour les petites entreprises, les laboratoires et les universitaires est supprimée : l'accord de Londres renforce la langue française en l'instituant comme langue officielle de l'OEB, aux côtés de l'anglais et l'allemand. Ceux qui craignent une disparition de la langue française ont donc un comportement irrationnel. Par ailleurs, dans une économie mondialisée, adopter une attitude offensive plutôt que défensive se révèle bien plus payant.
M. Olivier Dassault - Très bien !
M. Jean-Michel Fourgous, rapporteur pour avis - Comme le président Dubernard l'a souligné, nous devons être « eurocompatibles ». Nos partenaires ne comprendraient pas que la France freine toute synergie européenne. Les Pays-Bas nous ont contactés tout à l'heure, par l'intermédiaire de leur ambassade, pour nous informer qu'ils ratifieraient l'accord.
Il faudrait aussi, pour combler le manque endémique de
business angels, se rapprocher des incitations fiscales britanniques, beaucoup plus importantes - le rapport est de un à dix. En France, il y a un « trou » dans le financement des entreprises entre 100 000 euros et un million d'euros : on laisse mourir des entreprises qui auraient un vrai potentiel de développement.
Il convient de renforcer les FCPI, formule qui fonctionne mais qui pourrait être plus efficace encore. Je propose d'augmenter les volumes collectés en relevant les plafonds, de réserver un quota à l'amorçage de nos entreprises, et d'orienter une partie de l'épargne placée en assurance-vie vers nos entreprises innovantes ; un amendement que j'avais cosigné avec Olivier Dassault, quoique discret, a ainsi déplacé plusieurs dizaines de milliards d'argent dormant vers les activités productives... Il faut également proroger les FCPI-entreprises, encourageant les grands groupes à soutenir les PME innovantes.
S'agissant du patriotisme économique, dont on parle beaucoup, je rappelle que la France compte 11 millions d'actionnaires et 22 millions d'épargnants ; le patrimoine mobile, de quelque 2 600 milliards, doit être encouragé à aller vers les activités innovantes et créatrices d'emplois.
Notre capacité à relever les défis - dans les domaines de la sécurité, de l'environnement, de la santé, de la démographie,de l'éducation...- dépendra de notre capacité à mobiliser les intelligences. La France dispose d'un réservoir quasi-inépuisable ; sachons utiliser ce potentiel. Je suis convaincu que ce projet contribuera largement à permettre à tous les acteurs de la recherche française de donner le meilleur d'eux-mêmes (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).
[...]
Séance du 2 mars 2006
[...]
M. Jacques Myard - La commission des finances propose, par un amendement après l'article 5, de ratifier le protocole de Londres, lequel rendrait les brevets en langue anglaise ou allemande directement applicables sur le territoire national. Cela n'est pas sans poser problème. Du point de vue constitutionnel, tout d'abord : en application de l'article 53 de la Constitution, les accords ou traités internationaux, dès lors qu'ils touchent aux finances de l'Etat ou portent sur le champ de l'article 34 de la Constitution, sont ratifiés, non par une loi ordinaire, mais par une loi d'autorisation, ce qui suppose l'égalité entre l'Assemblée et le Sénat. Ce ne serait pas le cas pour cette disposition introduite par amendement, en raison de la procédure d'urgence. En outre, aux termes de l'article 85 de notre Règlement, tout projet doit être soumis à la commission compétente, en l'occurrence la commission des affaires étrangères. Or celle-ci n'a pas été saisie et son président a d'ailleurs écrit au président de l'Assemblée à ce propos. Sur le plan constitutionnel, déjà, il se pose donc de sérieux problèmes.
Mais allons plus loin. Un brevet n'est ni un acte privé ni un contrat. C'est un acte qui, une fois délivré, crée un monopole. Il donne en effet à une entreprise la possibilité d'exploiter une invention, pour une vingtaine d'années en général. C'est donc un acte quasi public qui a force de loi. De ce fait, il doit être rédigé en langue française. En acceptant que des brevets en langue anglaise ou en langue allemande soient opposables directement en France, on viole l'article 2 de la Constitution, pour ne pas parler de l'ordonnance de Villers-Cotterêts du 10 août 1539.
Venons-en aux prétendus avantages de la ratification de l'accord de Londres. On nous dit que le dépôt de brevet auprès de l'office européen de Munich coûte cher. N'exagérons pas : le coût est en moyenne de 17 000 euros, dont 6 000 à 7 000 euros pour la traduction, soit en moyenne 23 euros par page, ce qui n'a rien d'extraordinaire. On nous dit aussi que les PME françaises profiteront de ce que les brevets en langue française seront directement applicables dans les États parties, l'Allemagne et l'Angleterre. Mais en général, quand on dépose un brevet à l'office de Munich, c'est pour qu'il s'applique plus largement, y compris aux Etats-Unis. Pour ce faire, l'entreprise française devra de toute façon assumer la traduction en anglais, et aussi en allemand, car l'Autriche n'a pas signé cet accord et refuse l'application directe de brevets en langue française sur son territoire. L'avantage annoncé est donc bien fallacieux.
A l'inverse, les entreprises américaines, les multinationales, mais aussi les entreprises chinoises et japonaises, bénéficieront de l'application directe en France de tous leurs brevets sans traduction. C'est un marché de dupes. Il en ira de même dans d'autres langues. Nos entreprises vont se trouver face à un
Funkspiel de brevets, un excès d'informations dans une langue à laquelle elles n'auront pas accès. Les entreprises américaines ont ainsi pour tactique de déposer des brevets qui n'apportent rien - à charge pour le concurrent de le prouver. Pour cela, les entreprises françaises qui veulent déposer un bon brevet devront faire traduire les mauvais.
Il est donc contraire à la Constitution, à nos intérêts économiques, à la diffusion de la science et de la langue française que d'accepter un tel marché de dupes. Il faut repousser l'article additionnel après l'article 5.
M. Nicolas Dupont-Aignan - Ce débat est très important et il est dommage qu'il soit organisé à la sauvette à propos d'un amendement portant article additionnel. Le protocole de Londres a été signé il y a un certain temps mais n'est toujours pas ratifié. Le faire serait mettre en cause les intérêts de notre pays.
D'abord, sur le plan économique, c'est une fausse bonne idée. Il ne s'agit que de faire plaisir à quelques grandes entreprises qui ont déjà entériné la disparition de notre langue dans leur fonctionnement. En revanche, les PME, qui n'ont pas les services pour cela, devront payer les frais de traduction pour savoir où en est la recherche brevetée dans leur domaine. Une fois de plus, dans notre pays, on favorise les intérêts de quelques-uns au détriment des autres. Ce n'est donc pas seulement une question de principe, s'agissant de notre langue, mais aussi d'efficacité économique.
En second lieu, sur le plan juridique, il est inimaginable qu'un texte en langue étrangère puisse avoir force de loi en France. Notre Constitution place le français au cœur de la citoyenneté et de l'identité nationales. De plus, ce serait rompre l'égalité entre les citoyens, dont certains seraient pénalisés parce qu'ils ne maîtrisent pas l'anglais. Les entreprises seraient conduites à recruter des salariés parlant couramment anglais et travaillant dans cette langue. Sera-t-on plus efficace ? Certaines multinationales qui avaient imposé l'anglais comme langue de travail en sont revenues.
Enfin, comment demander aux Québécois, aux Africains de parler français, comment faire de grands discours sur la francophonie si nous sommes prêts à saborder notre langue dans le domaine économique et scientifique ? Une telle contradiction ne nous honore pas et elle provoquerait un réaction en chaîne.
L'Italie, l'Espagne, l'Autriche ont bien compris que ratifier l'accord de Londres serait contraire à leur intérêt national. Pourquoi la France précipiterait-elle elle-même sa colonisation ?
M. Alain Claeys - Je m'exprime à titre personnel, car mon groupe a une position assez défavorable à cet amendement. Pour moi, le moment est venu de ratifier l'accord de Londres signé par le gouvernement de Lionel Jospin.
Je ne m'appesantis pas sur les aspects constitutionnel et juridique, et je ne sais pas si nous avons ici le cadre adapté pour procéder à cette ratification. Mais je reviens sur les autres arguments, fort intéressants, de M. Myard, et d'abord sur l'attitude des Etats-Unis, qui n'a rien à voir avec l'accord de Londres.
Pour une entreprise, un brevet, ce sont d'abord des revendications, et, si elles sont acceptées, une description. Jusqu'à une date récente, les brevets ne posaient pas problème, favorisaient la diffusion de l'innovation et étaient un élément positif pour la propriété intellectuelle. Depuis quelques années se produit une dérive de la notion de brevet dans le secteur du vivant et celui des logiciels.
Aux États-Unis en particulier, on fait des brevets de plus en plus larges : on brevète non plus forcément l'innovation, mais la connaissance, comme on l'a vu pour le génome. Nous avions eu ce débat ici même à propos de la directive européenne sur la brevetabilité du vivant : en 2001, nous avions émis des réserves et adopté un vœu unanime ; mais en deuxième lecture de la loi sur la bioéthique, le Gouvernement a considéré qu'il fallait néanmoins la transposer. Personnellement, j'émets toujours des réserves. Vous avez raison, Monsieur Myard, la tactique américaine est de faire trancher le juge en faisant des revendications larges ; j'en ai discuté avec le président de l'Office européen des brevets, Alain Pompidou, qui a mis en place un groupe de travail sur ce sujet. Le problème se pose également pour les logiciels, à propos desquels un débat a eu lieu au Parlement européen.
Mais cela n'a rien à voir avec l'accord de Londres. De quoi s'agit-il ? Aujourd'hui, dans l'espace de l'Office européen des brevets, qui est plus large que celui de l'Union européenne, une petite entreprise qui dépose un brevet est dans l'obligation d'assurer sa traduction dans la langue nationale. Dans l'accord de Londres du 30 juin 2001, trois langues sont reconnues : le français, l'anglais et l'allemand ; la même entreprise française pourra diffuser son brevet en français dans l'ensemble des pays. C'est la raison pour laquelle je suis favorable à la ratification de cet accord. Pour défendre la francophonie, soit on construit des lignes Maginot, soit on fait une guerre de mouvement - ce que permet l'accord de Londres.
M. Jacques Brunhes - Je voudrais faire part de ma surprise devant l'intervention de M. Claeys. Il ne s'agit pas de ligne Maginot, mais d'intérêt national... Le français est-il exclusivement une langue de culture, ou est-il aussi une langue scientifique, une langue économique, une langue politique et diplomatique ? Nous avons tous reçu du Président de l'Assemblée nationale une lettre cosignée par le Président du Bundestag, nous demandant de parler et d'écrire dans notre langue nationale, y compris lorsque nous nous rendons à l'étranger. De même, il ne faut pas abandonner le français dans le domaine scientifique - où l'on constate l'organisation en France de colloques internationaux qui se déroulent exclusivement en anglais, et l'utilisation de l'anglais pour les publications du CNRS -, ou dans le domaine économique en matière de brevets. Je ne partage pas du tout sur ce point l'opinion de M. Claeys : notre langue est un atout économique qui n'a pas de prix et qui ne se marchande pas.
MM. Jacques Myard et Nicolas Dupont-Aignan - Bravo !
M. Jacques Brunhes - Ratifier l'accord de Londres, ce serait accepter la structuration de la pensée avec cet ersatz d'anglais qu'est le « globish », au lieu d'utiliser le français, une vraie langue qui permet une vraie traduction : c'est un risque très grand. Accepter l'accord de Londres, c'est, qu'on le veuille ou non, faire de l'anglais la langue de travail et du droit pour les brevets étrangers non traduits ; c'est, qu'on le veuille ou non, favoriser la disparition progressive du français. M. Fourgous écrit le contraire, mais il aurait du mal à le démontrer...
M. Jean-Yves Le Déaut - Comme mon collègue Claeys, je considère qu'il ne faut pas qu'un brevet puisse limiter la recherche, notamment dans le domaine du vivant ou dans celui des logiciels.
L'accord de Londres, c'est un autre problème. Je ne crois pas qu'on puisse dire qu'il porte une atteinte à la francophonie puisqu'on pourra déposer un brevet en français et éviter d'avoir à payer les traductions... Or actuellement, un brevet américain coûte 8 000 euros, et un brevet européen coûte 22 000 euros (
M. Jacques Myard proteste). Et il est évident que cette différence de coût explique pour une large part que 45 % des 200 000 brevets enregistrés à l'OEB soient d'origine américaine, alors que nous, nous ne déposons ni en Europe ni aux Etats-Unis car le coût est prohibitif.
Enfin, je veux mettre en garde les défenseurs d'une « ligne Maginot » sur ces questions car ce qui va se passer à la prochaine réunion du comité des 25 de l'OEB, c'est que chacun en profitera pour faire valoir ses propres intérêts et que l'obligation de traduction dans les trois langues sera enterrée : le français passera à la trappe, et ceux qui s'égosillent pour le défendre à l'intérieur de nos frontières seront battus à plate couture !
M. Jacques Myard - Défaitisme !
M. Jean-Yves Le Déaut - Mais non, réalisme ! J'ai suivi tous les débats sur la propriété intellectuelle et je suis aussi patriote que vous. La vérité, c'est que l'accord de Londres, signé sous le gouvernement de Lionel Jospin...
M. Jacques Myard - Dans son dos !
M. Jean-Yves Le Déaut - ...prend en compte intelligemment le fait que le français ne soit plus aussi fort que naguère, et qu'il convient donc de le ratifier.
M. Christian Blanc - Je m'exprime à titre personnel. Je dois dire que je suis surpris par certains arguments. Le déclin du français dans le monde, nous le constatons, et il tient à des facteurs bien identifiés, liés à notre influence de plus en plus limitée dans les domaines économique et technologique. Certains se croient du reste autorisés à parler de « déclin relatif » de la France elle-même. De fait, je trouve que ce débat s'inscrirait mieux dans une réflexion sur la fermeture de plusieurs lycées français à l'étranger que dans l'examen du présent texte. Et je pense que nombre de ceux qui nous écoutent en ce moment doivent être surpris d'entendre certains avancer des arguments un peu inquiétants. Laissez à quelqu'un qui connaît bien l'économie réelle le soin de vous dire ce qu'attendent les chercheurs, les entrepreneurs innovants ou les créateurs de start-up : ce qu'ils veulent, c'est sortir du parcours extrêmement pénalisant que représente le dépôt de brevet.
M. Jean Le Garrec - Exactement !
M. Christian Blanc - Lorsqu'un saut technologique se produit, et que vous voulez déposer un brevet, mieux vaut avoir de solides économies personnelles - et encore n'avez-vous aucune assurance de pouvoir mener la démarche à son terme ! Si votre invention est particulièrement forte, sachez que vous ne trouverez pas - y compris auprès des banques - les moyens de déposer votre brevet aux États-Unis ou en Asie. Moralité : nombre d'inventeurs sont pillés, en particulier par des Américains ou des Asiatiques qui disposent de moyens logistiques considérables. Quant à vous, vous n'avez aucune chance de vous développer sur le marché mondial. Le dépôt de brevet accroche des semelles de plomb aux pieds des chercheurs et des inventeurs.
Dans ce contexte, mieux vaut faire preuve d'esprit pratique que de grandiloquence. Nous sommes peu nombreux en séance et la décision à prendre est lourde : alors, je vous en conjure, ne laissons pas tomber ceux qui représentent l'intelligence et la richesse de demain. Ne pas autoriser la ratification de l'Accord de Londres, c'est favoriser l'avènement de l'anglais universel avant cinq ans !
M. Jacques Myard et M. Nicolas Dupont-Aignan - Au contraire !
M. Christian Blanc - Mais si ! Vous semblez le croire sincèrement mais songez qu'il faut se battre pour que l'on parle français dans les conseils d'administration de nos grands groupes.
M. Jacques Myard - Renault est revenu au français !
M. Christian Blanc - Alors, ne prenons pas encore du retard en menant des combats d'arrière-garde !
M. Pierre Cohen - Je voudrais dire aux députés « souverainistes » de l'UMP qui sont venus pour cet amendement, que s'ils sont si soucieux du rayonnement de notre pays, ils auraient dû se mobiliser dès le début de notre débat. Il me semble en effet encore plus essentiel de dégager des moyens supplémentaires pour la recherche !
Sur le fond, je suis assez troublé et je pense qu'il ne faut pas prendre une décision hâtive. Bien entendu, je suis sensible à la perte de vitesse du français dans les milieux scientifiques internationaux et l'on ne peut qu'être stupéfait d'entendre parler anglais dans des réunions internes d'organismes français ! L'influence de l'anglais dans la conduite de l'activité scientifique dépasse l'enjeu linguistique et culturel.
Ce qui me trouble aussi - et je m'en étais ouvert à Christian Perret lors de la signature de l'accord de Londres -, c'est que, pour les PME-PMI en particulier, l'obligation de traduction en trois langues - anglais, allemand, français - fait obstacle au dépôt de brevet du fait de son coût. Je suis aussi sensible aux arguments d'Alain Claeys, mais la tactique consistant à assouplir l'obligation de recourir au français dans le but de mieux le défendre me semble assez périlleuse. Le risque n'est-il pas, comme l'a sous-entendu Christian Blanc, que tous les brevets soient directement - et exclusivement - écrits et déposés en anglais ? Cependant, si des études viennent me démontrer que c'est la bonne manière de mener l'offensive pour défendre notre langue et pour aider nos entreprises à déposer des brevets à moindre coût, je suis prêt à m'engager sans réserve dans cette voie. En définitive, l'amendement de M. Fourgous me paraît prématuré et je ne le voterai pas.
M. Noël Mamère - Je m'exprime également à titre personnel, n'ayant pas eu le temps de me concerter avec mon «groupe» sur cette question... (
Sourires) Il y a plusieurs niveaux de débat. S'agissant du recul du français et de la perte d'influence de la francophonie, ceux qui se réveillent aujourd'hui devraient s'indigner aussi fort lorsque l'on ferme des lycées français et des antennes de l'Alliance française partout dans le monde ! Il est de fait que, dans le mouvement de massification et de mondialisation de l'économie, la France a été perdante. L'anglais, plus facile à apprendre et à manier, semble mieux adapté à la culture scientifique et marchande que le français, jugé trop sophistiqué et plus naturellement voué à la culture artistique et littéraire.
Les accords Truman impliquaient du reste que la France diffuse des films américains. Nous devons aussi assumer cet héritage, et nous n'allons pas refaire le monde malgré les dérives que nous connaissons.
Quant à l'extension des brevets en matière de connaissances et de sciences du vivant, il ne s'agit pas de permettre tout et n'importe quoi à des sociétés transnationales, y compris de breveter les logiciels ou le vivant.
Je considère, enfin, que l'accord de Londres n'implique pas un recul de la langue française, mais qu'il permettra au contraire de la maintenir comme langue d'expression des brevets d'inventions. La traduction en français de brevets importants coûterait environ 200 millions, ce qui n'est pas énorme.
J'ai lu avec intérêt l'article de M. Hagège dans
le Monde. Il m'a été envoyé par le président de la compagnie nationale des conseils en propriété industrielle : au recto, sa carte de visite est en français, au verso, en anglais.
M. Jacques Myard - Et alors ?
M. Noël Mamère - Si l'on peut adhérer à certains combats de M. Hagège, celui-ci, tel qu'il l'expose dans
Le Monde d'hier, est d'arrière garde.
M. Jacques Myard -
Let's speak English !
M. Noël Mamère - Le souverainisme linguistique doit être combattu car la langue française mérite mieux.
M. Cohen a sans doute raison : cet amendement, déposé tardivement, n'a peut-être pas sa place dans un tel texte. La commission des affaires étrangères devrait en outre l'examiner.
J'ajoute que nous aurions aimé avoir les souverainistes de service avec nous pour défendre l'euro constant et une bonne qualité de la recherche plutôt que de défendre des idées d'un autre siècle.
M. Jacques Myard - Parole d'expert !
Mme Anne-Marie Comparini - Nombreux parmi nous, Monsieur Myard, participent à ce débat depuis mardi...
M. Jacques Myard - Ce n'est pas moi qui ai proposé cet article additionnel !
M. le Président - Monsieur Myard, laissez parler Mme Comparini.
M. Jacques Myard - Elle n'a rien à dire !
Mme Anne-Marie Comparini - Si nous parlons depuis mardi de la recherche et de l'université, c'est précisément parce que nous croyons au génie français.
M. Jacques Myard - Très bien.
Mme Anne-Marie Comparini - Nous défendons l'économie du savoir comme on doit le faire au XXIème siècle.
M. Jacques Myard - En anglais !
Mme Anne-Marie Comparini -
Quid des PME dans notre économie ? Comment présenter des lois qui ne soient pas uniquement destinées aux grands groupes ? Comment rapprocher les PME et les PMI des centres de recherche afin de développer notre tissu industriel ? Les propos de MM. Blanc et Claeys m'ont particulièrement intéressée : il faudra bien un jour s'interroger sur le faible nombre de brevets français, notamment dans les sciences du vivant. Souvent, à l'occasion de nos débats, surgit un dossier essentiel qui mériterait un traitement spécifique. Ne pourrions-nous demander tous ensemble au président de l'Assemblée nationale de créer une mission à ce sujet ?
M. Daniel Garrigue - Je suis profondément attaché au rayonnement de la langue française. Néanmoins, nous ne pouvons pas fermer les yeux sur un certain nombre de réalités. Il est évident que, si nous perdons peu à peu nos capacités d'innovation et d'exportation, une défense simplement « territoriale » de notre langue se retournera contre nous. Le système actuel est très coûteux pour les PME...
M. Jacques Myard - C'est faux !
M. Daniel Garrigue - ... alors que celui qui est proposé correspond aux réalités du monde actuel : simple, réactif, il permettra aux entreprises, y compris aux PME, de valoriser leurs efforts d'innovation et de recherche alors qu'elles ont de grandes difficultés à le faire. Cessons d'être hypocrites ! Nous savons que c'est malheureusement l'anglais qui est utilisé dans la plupart des congrès scientifiques. Il me semble préférable de faire des concessions plutôt que de nous enfermer dans un pré carré où le monde entier nous oubliera.
M. Thierry Mariani - Je suis surpris de la procédure suivie. J'ai été deux fois rapporteur de la commission des lois, et l'on m'avait alors expliqué qu'il était impossible de ratifier un traité international par voie d'amendement. Serait-ce donc possible maintenant ? Si tel est le cas, il faut le dire.
Quitte à passer pour ringard, je partage le point de vue de MM. Myard et Dupont-Aignan.
Monsieur Mamère, lorsque je voyage à l'étranger, j'utilise aussi une carte de visite bilingue, mais en France, j'utilise une carte française.
Ne voyant pas comment nos PME pourraient continuer à être compétitives avec tel accord, je voterai contre cet amendement.
L'amendement 157 de la commission, accepté par le Gouvernement, est adopté.
L'article 5 modifié, mis aux voix, est adopté.
APRÈS L'ART. 5
M. le Président - Chacun ayant pu s'exprimer sur l'amendement 2, je propose à M. Fourgous de le présenter pendant cinq minutes, la commission et le Gouvernement donneront ensuite leur avis et nous voterons.
M. Jean-Michel Fourgous, rapporteur pour avis - Un brevet, c'est la transformation de l'intelligence de nos chercheurs. Autant dire qu'il s'agit d'un sujet important pour la croissance. En termes de dépôts de brevets par million d'habitants, la France ne se situe pourtant qu'au neuvième rang européen.
Pour avoir déposé plusieurs brevets dans ma vie, je connais le parcours du combattant qui est celui de nombreux chefs d'entreprise. Contrairement à ce que j'ai entendu, ce sont en effet les PME - et non les multinationales - qui sont pénalisées par le coût du dépôt de brevet, qui dépasse parfois les 100 000 euros.
Ce que nos ardents défenseurs de la langue française n'ont pas compris, c'est que dans les faits, nos chercheurs déposent leurs brevets en anglais parce que la traduction est alors moins coûteuse. Du reste, 40 % de nos chercheurs ne peuvent pas déposer de brevet auprès de l'Office européen des brevets. Savez-vous qu'on ne lit le contenu d'un brevet que dans 2 % des cas ? On peut tenir tous les discours incantatoires que l'on veut, seuls 7 % des brevets déposés auprès de l'OEB le sont par des chercheurs français : cela, c'est une réalité !
Nos chercheurs attendent. La ratification de l'accord de Londres serait, ai-je entendu, une mauvaise chose pour les PME. C'est tout de même un comble d'instrumentaliser ainsi les PME, alors que leurs dirigeants - j'ai ici des courriers du président de la CGPME - nous interpellent tous les jours, Monsieur Dupont-Aignan, pour demander cette ratification !
Sur le problème de la constitutionnalité, nous avons interrogé le professeur Drago. L'article 53 de la Constitution prévoit que les traités ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu'en vertu d'une loi, tandis que l'article 39 dispose que l'initiative des lois appartient concurremment au Premier ministre et aux membres du Parlement. Rien n'empêche donc un amendement d'origine parlementaire d'autoriser la ratification d'un accord international, comme en témoigne d'ailleurs la coutume constitutionnelle : en 2004, le projet de loi sur la santé publique a par exemple permis de ratifier la convention cadre de l'OMS.
Le sujet est assez grave pour que la commission des finances et la commission des affaires sociales aient voté cet amendement à l'unanimité. Que se passera-t-il si nous ne le votons pas ?
M. Jean-Pierre Soisson - Rien !
M. Jean-Michel Fourgous, rapporteur pour avis - Les autres pays signataires de l'accord vont finir par revenir à sa version originale, qui consacrait l'anglais comme langue officielle unique de l'OEB. Nous perdrons donc aussi sur le terrain de la défense de la langue française !
M. le Rapporteur - La commission des affaires sociales a accepté cet amendement à l'unanimité. À titre personnel, je partage tout à fait les arguments qui ont été avancés par le rapporteur de la commission des finances et par plusieurs intervenants. Des interrogations subsistent cependant. D'abord, nous n'avons aucune certitude sur la constitutionnalité de cet amendement. Ensuite, la commission des affaires étrangères n'a pas été saisie - M. Balladur et M. de Charrette m'en ont parlé à plusieurs reprises. Enfin, le débat a pris une tournure passionnelle qui nuit à l'objectivité. Ce thème, qui relève au premier chef de la commission des affaires étrangères, mérite donc un vrai débat. C'est pourquoi je suggère à M. Fourgous de retirer son amendement, dont les mérites restent entiers.
M. le Ministre délégué - Cet amendement pose des problèmes de fond qui sont loin de faire l'unanimité. Il soulève d'abord un sérieux problème de constitutionnalité. L'article 52 de la Constitution dispose que le Président de la République négocie et ratifie les traités : il s'agit donc d'un pouvoir qui lui est propre. L'article 53 précise pour sa part que les traités ne peuvent être ratifiés qu'en vertu d'une loi. Le Président de la République ratifie donc quand il est autorisé à le faire par la loi, et selon un principe général du droit, on ne peut donner une autorisation qu'à celui qui l'a demandée. Aussi le Conseil constitutionnel a-t-il jugé que le Parlement ne pouvait pas, par la voie d'un amendement, donner une autorisation au Gouvernement si celui-ci ne l'avait pas demandée. Par définition, une initiative parlementaire ne peut que contrevenir à ce principe. Cette autorisation de ratifier serait du reste presque un mandat impératif donné au Président de la République.
Je vous demande donc, monsieur Fourgous, de bien vouloir retirer cet amendement, faute de quoi je me prononcerai contre son adoption
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).
M. Pierre Lasbordes - Je demande une suspension de séance.
La séance, suspendue à 19 heures 5 est reprise à 19 heures 15.
M. le Président - Vous retirez l'amendement, Monsieur Fourgous ?
M. Jean-Michel Fourgous, rapporteur pour avis - Ayant reçu du président Accoyer l'assurance que l'on continuerait à progresser sur ce dossier, je retire l'amendement 2.
M. Jean-Pierre Soisson - Merci.
M. Alain Claeys - Rappel au règlement. Nous avons débattu durant une heure et demie d'un amendement qui, faut-il le rappeler, a été adopté à l'unanimité par les commissions des finances et des affaires sociales...
M. Jean-Louis Idiart - Nous ne sommes pas du bétail !
M. Jacques Myard - C'est le vote dans l'hémicycle qui compte !
M. Alain Claeys - ...pour être finalement retiré à la dernière minute !
Monsieur le ministre, vous avez justifié votre position en avançant que la procédure de ratification proposée était inconstitutionnelle, sans vous prononcer sur le fond de l'accord. Ce n'est pas convaincant et je demande à la présidence de faire vérifier la validité de votre démonstration. Dois-je rappeler qu'il existe des précédents ? Lors du débat sur la loi de bioéthique, l'Assemblée a transposé la directive européenne sur la brevetabilité du vivant en adoptant un amendement déposé par Mme Pecresse. Il est regrettable que nous n'ayons pas su traiter ce sujet cet après-midi en nous posant la bonne question : en quoi le brevet peut-il constituer un frein à l'innovation et au développement des entreprises? S'agissant de l'accord de Londres, rappelons que l'Office européen des brevets est une réalité. Il est présidé par un Français, Alain Pompidou. Cet accord permet à une petite entreprise française ou à un laboratoire de déposer un brevet et de l'expliquer plus facilement. C'est une chance pour la France, pour les chercheurs et pour le développement de la francophonie !
(« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste et le banc de la commission)
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