La note d'un groupe hospitalier de l'AP-HP indiquant « ne plus retenir » dans son évaluation scientifique les articles publiés en français provoque un tollé parmi les dirigeants des plus grandes revues médicales de l'Hexagone.
Unanimes à exprimer leur « vive désapprobation », ceux-ci entendent « plus que jamais » défendre leur « champ légitime d'expression éditoriale ».
«
French forbidden ! », titrait « le Quotidien », à la une de ses éditions du 2 février. À l'origine de l'affaire, une note à en-tête du groupe Cochin-Saint-Vincent-de-Paul - La Roche-Guyon. «
Les articles en français ne seront plus retenus » dans l'évaluation scientifique, disait le document. Plusieurs chefs de service avaient aussitôt exprimé leur émotion. Aujourd'hui, c'est au tour d'un grand nombre de spécialistes, responsables de société savante, rédacteurs en chef, directeurs de collection, membres de comités de rédaction et auteurs de monter au créneau
[1]. Dans un communiqué, ils expriment, «
d'une voix unanime », leur «
plus vive désapprobation face à la position défendue par l'administration » du groupe Cochin.
Ces responsables des plus grandes revues médicales françaises se déclarent «
bien placés » pour savoir « q
u'il existe une presse médicale en langue française, indexée et de très bonne qualité » ; réalistes, ils reconnaissent «
la prééminence actuelle de l'anglais dans la vie scientifique internationale et la nécessité pour tout médecin de pratiquer cette langue. Dans le contexte actuel, admettent-ils, il est en effet indispensable de savoir écrire des articles en anglais et de publier dans des grandes revues internationales de langue anglaise. » Pour autant, ces scientifiques jugent « t
rès regrettable que les instances censées défendre la recherche française se fassent, avec si peu de nuances, les hérauts de cette évolution ».
« La suprématie sans partage de l'anglais »
Quoique non cité nommément , c'est Vincent Courtillot qui est directement visé. Le directeur de la Recherche au ministère de l'Éducation nationale avait en effet déclaré au « Quotidien » :
«
C'est triste, mais c'est comme ça, aujourd'hui, c'est l'anglais qui est la langue scientifique (...). La suprématie de l'anglais paraît aujourd'hui sans partage. (...). Je pense, en revanche, qu' écrire (en français) des livres de cours de haut niveau, des articles de vulgarisation dans vos journaux, cela reste une activité fondamentale. » Les responsables des revues médicales s'insurgent contre un tel partage. Ils ne sont pas d'accord pour restreindre le «
champ légitime d' expression éditoriale en langue française à l'enseignement et à l'information seuls. Car cela serait nous couper, ainsi que notre lectorat, de ce qui est la source de nos savoirs. »
Les signataires jugent qu'il est « donc nécessaire, plus que jamais, de défendre et faire progresser les revues françaises dites "de publication" ».
« L'enjeu est important », souligne Pierre Dutilleul, président-directeur général de Masson, acteur majeur de l'édition médicale avec ses cinquante revues, son fonds de quatre mille titres et ses trois cents nouveautés annuelles, et qui réaffirme, à cette occasion, sa «
volonté de défendre avec détermination une presse médicale de qualité en langue française ». Comme l'écrivent, non sans humour noir, les protestataires, reprenant l'adage bien connu de leurs collègues américains, «
publish or perish », «
nous ne voulons pas que notre devise devienne "publish and perish" ».
Ch. D.
[1]
[Retour]Parmi les signataires, on relève les Prs et Drs Delaveau, Ducimetière, Frija, Grumbach, Hadengue, Hoerni, Légeron, Passa, Rodineau. Un forum a été spécialement ouvert pour exprimer les points de vue sur la question.
http://www.e2med.com
Le Quotien du médecin - mardi 4 juillet 2000