Défense de la langue française   
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LA LANGUE FRANÇAISE
HEURS ET MALHEURS
(1986 - 1997)

Revenons à l'année 1986. Le 1er sommet de la francophonie venait de se tenir à Versailles lorsque fut publié, en mars, un décret définissant les nouvelles règles de fonctionnement des commissions ministérielles et de la commission générale de terminologie.

         Dès lors, la néologie française prit un essor considérable : de 1987 à 1993, près de deux mille mots nouveaux furent imaginés, définis et publiés, dans des domaines aussi divers que l'agriculture, l'économie, les sciences et techniques, les transports, la télédétection aérospatiale, les composants électroniques, la mer, l'informatique, le nucléaire... Pour ce faire, six commissions furent créées ou recréées, outre la quinzaine de commissions existantes.

         Philippe de Saint Robert, premier commissaire général de la langue française, institua, en 1986, l'Académie des jeunes pour la création linguistique ; il fonda la revue Qui-vive international ; il publia le premier répertoire des organisations et associations francophones.

         Le IIe sommet francophone se réunit à Québec en février 1987 ; il décida d'aider les pays en développement pour la formation de base de la langue française, d'intervenir auprès du Comité international olympique pour faire respecter la place de notre langue dans ses communications, de créer un club des chercheurs, industriels et investisseurs francophones, de constituer un fonds multilatéral pour la promotion des industries de la langue, et d'étendre la diffusion de TV 5 à l'Afrique et au Moyen Orient.

         Mais, premier revers, Philippe de Saint Robert, constatant que la plupart de ses crédits avaient été transférés au secrétariat d'État à la francophonie, nouvellement institué pour mettre en selle Lucette Michaux-Chevry, tête de liste R.P.R. aux Antilles, quitta son poste le 26 mars 1987 ; il fut remplacé par Bernard Billaud, collaborateur de Jacques Chirac à la mairie de Paris. Juste au moment où de graves déboires apparaissaient : la déroute du français en Espagne (cf. Le Monde du 28 mai 1987), le déclin du français à l'O.N.U. (qui fit l'objet, en novembre 1987, d'une résolution « garantissant » le respect de notre langue).

         Le nouveau commissaire général de la langue française fit face à ses obligations avec sérieux : il réunit, de 1987 à 1989, la Commission générale de terminologie plus de dix fois ; il lança le Centre de terminologie et de néologie ; il fit rédiger la brochure du journal officiel sur les néologismes ; il créa l'Observatoire français des industries de la langue... Au demeurant, 1988 fut une année d'espoir, puisque la francophonie eut enfin un vrai ministre, avec Alain Decaux.

         Deuxième revers en 1989 : le Commissariat général de la langue française est dissous, remplacé par une Délégation générale à la langue française ; Bernard Billaud part et lui succèdent Bernard Cerquiglini à la D.G.L..F. et Bernard Quémada au C.S.L.F. Certes, on crée bien un Comité des ministres consacré à la langue française, mais, à ma connaissance, il ne s'est jamais réuni. Pourquoi ce remue-ménage ? On ne tarde pas à le savoir : le 25 octobre 1989, Michel Rocard, alors Premier ministre, constitue, au sein du C.S.L.F., une Commission de l'orthographe.

         Troisième revers, en 1989 toujours : Les Annales de l'Institut Pasteur sont remplacées par une publication en anglais, intitulée Research in... Il faudra une mobilisation sans précédent des défenseurs de la langue française pour faire plier l'institut.

         Si Bernard Cerquiglini continue bien de réunir la Commission générale de terminologie qui publiera l'intégralité de ses travaux en 1990, si les commissions ministérielles travaillent toujours, pilotées par Loïc Depecker, le feu sacré s'éteint, étouffé par la question de la réforme de l'orthographe : un premier rapport est présenté le 19 juin 1990 ; le rapport définitif paraît le 6 décembre 1990 sous le titre Publication officielle des rectifications de l'orthographe, texte auquel se ralliera l'Académie française, avant de simuler une retraite prudente.

         L'Académie, justement, qui a bien œuvré en publiant le tome 1 de la neuvième édition de son dictionnaire en 1986, le tome 2 en 198, le tome 3 en 1989, le tome 4 en 1990 et le tome 5 en 1991 - publication ponctuée de nombreuses mises en garde et recommandations -, l'Académie marque le pas à partir de 1991 : elle semble alors irritée par l'édition, le 31 mars 1991 par la D.G.L.F., du Dictionnaire des termes officiels, lequel empiète sérieusement sur ses prérogatives. La discorde se fait jour entre les deux organismes.

         Lorsque Mme Tasca remplace Alain Decaux le 21 octobre 1991, une autre manœuvre se prépare, et pas plus les travaux de la D.G.L.F. (qui va publier coup sur coup trois glossaires de termes officiels et la plaquette 500 mots des sports olympiques français) que ceux du 4e sommet de la francophonie ne vont enrayer un déclin qui commence par la mort de la Commission générale de terminologie (27 mars 1992), qui se poursuit par des débats stériles sur l'opportunité de la révision de la loi Bas-Lauriol du 31 décembre 1975 et qui s'achève le 3 novembre 1993 par le départ de Bernard Cerquiglini.

         Cependant, l'espoir subsiste, grâce à l'extension des émissions de TV 5 à l'ensemble du continent africain, grâce à l'adjonction, le 25 juin 1992, de la phrase : « la langue de la République est le français » à l'article 2 de la constitution de 1958, espoir vite estompé par la suppression du portefeuille de la francophonie (que M. Toubon cumule avec celui de la culture) et par la relance du projet de loi sur l'usage de la langue française (présenté par Jacques Legendre au Sénat le 6 avril 1994).

         Interviennent alors un nombre indéfini de coups de chaud et de coups de froid. le 1er février 1994, il est décidé que la part des chansons d'expression française devra être au moins égale à 40 % pour toutes les radios avant le 1er janvier 1996. Les 4 et 5 mars de la même année, un sondage du ministère de la Culture et de la Francophonie révèle que 70 % des Français sont fiers de leur langue, et 65 % qu'elle peut résister à la perte de terrain par rapport à l'anglais. Le 18 avril, une circulaire de M. Balladur, Premier ministre, rappelle les obligations des agents publics vis-à-vis de la langue française. L'Académie reprend, sous forme de brochures, la publication de ses travaux du dictionnaire. Mais, coup de tonnerre dans un ciel serein, la loi relative à l'emploi de la langue française - dite loi Toubon -, à la rédaction de laquelle tout le monde a fini par se dévouer, est émasculée par le Conseil constitutionnel, qui en déclare inconstitutionnelles toutes les dispositions relatives à l'obligation d'emploi des termes nouveaux créés par les commissions ministérielles de terminologie. Le texte adopté le 4 août 1994, sous le numéro 94-665, n'est plus qu'un moignon, en retrait même par rapport à la précédente loi, celle du 31 décembre 1975. Et Margie Sudre, un moment secrétaire d'État à la francophonie, et Anne Magnant, qui a remplacé Bernard Cerquiglini à la Délégation générale à la langue française, n'ont guère de champ d'action, tant les moyens financiers et légaux vont leur manquer.

         Petit à petit, les textes d'application de la nouvelle loi sont mis en place : une circulaire sur l'emploi de la langue française dans la fonction publique le 30 novembre 1994 ; le décret définissant les conditions d'agrément des associations pouvant exercer les droits reconnus à la partie civile par l'article 19 de la loi Toubon, le 3 mars 1995 ; la désignation des cinq associations agréées le 3 mai 1995...

         M. Douste-Blazy - qui a remplacé M. Toubon au ministère de la culture - crée, le 17 octobre, un conseil consultatif sur le traitement du langage. Et aboutissement du démantèlement, la Délégation générale à la langue française passe, en mars 1996, sous l'autorité du ministère de la Culture, alors qu'elle était rattachée au Premier ministre depuis toujours. Pour tout arranger, M. Douste-Blazy crée un Observatoire national de la langue ; un machin de plus. La circulaire du 19 mars 1996, qui précise les conditions d'application de la loi Toubon, n'est d'aucune utilité pratique. La preuve en est que l'association Droit de comprendre, qui a intenté deux affaires en justice dans le cadre de ladite loi, a été déboutée pour la première (concernant des jouets vendus avec des notices en anglais) et... condamnée pour action abusive pour la seconde (concernant la Poste et son produit Skypack) ! Et si le tribunal de Chambéry a bien condamné Body Shop pour infraction à l'article 2 de la loi, c'est que la requête avait été faite par la Direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

         Enfin, le coup de grâce est asséné : un décret du 3 juillet 1996 remplace les Commissions ministérielles de terminologie par des commissions spécialisées de terminologie et de néologie, totalement asservies à une Commission générale placée sous le contrôle - avec droit de veto ! - de... l'Académie française. L'État s'est prudemment retiré d'une organisation créée un quart de siècle plus tôt par Georges Pompidou !

         Ces nouvelles commissions, mises en place à petite vitesse (le 8 novembre 1996 pour la défense, en février 1997 pour la culture, en mai pour la santé et le domaine social...) doivent repartir de zéro : aucun nouveau terme n'a été publié depuis près de trois ans !

         Et la curée n'est pas achevée : il n'y a plus de portefeuille de la francophonie dans le ministère Jospin ; M. Claude Allègre, ministre de l'Éducation nationale, de la Recherche et de la Technologie, a déclaré, le 30 août dernier, devant les militants socialistes réunis à la Rochelle pour leur université d'été, que « les Français doivent cesser de considérer l'anglais comme une langue étrangère ».

         Qu'un ministre bafoue la Constitution - laquelle dispose, en son article 2, je vous le rappelle, que « la langue de la République est le français » -, et qu'il ne soit pas aussitôt démis de ses fonctions, voilà qui ne présage rien de bon pour l'avenir de notre pauvre langue française.

         Mais « à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire » ! Alors, je suis allée à la manifestation de protestation que les associations de défense de la langue française ont organisée à Paris le 14 novembre 1997 ; et j'ai crié ma colère.

Myriam Hadoux

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