Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la langue française, et que vous n'avez jamais osé demander - des Serments de Strasbourg (842) jusqu'au verlan, en passant par la création de l'Académie française (1635) et les lois de Jules Ferry sur l'enseignement obligatoire (1882). La linguiste Nina Catach suit les ramifications du français, à travers ses évolutions politiques et ses révolutions poétiques, dans un récit qui retrace ce qu'on pourrait appeler l'aventure de notre langue. |
Les origines
D'où vient notre langue ? Elle vient en grande partie du latin populaire, tel qu'il était parlé en Gaule depuis la conquête romaine (52 avant Jésus-Christ). Ce latin évolue lui-même diversement au contact des parlers locaux (celte, ibère, ligure, osque, etc.). Il faut y ajouter un fonds celtique, et toute la richesse des noms de lieu.
Mais, en même temps, on a pu dire que c'était « la plus germanique des langues romanes ». C'est en effet la seule qui ait subi à ce degré l'influence des peuples du Nord, surtout des Francs, qui durant des siècles ont occupé la partie septentrionale du pays (d'où le nom de France).
Pour ce que l'on peut appeler la « préhistoire » du français, il est difficile de donner des dates précises. Il y a d'abord une période dite gallo-romane (du IVe au VIIIe siècle environ) puis romane (IXe-XIe siècles), avec une langue et une culture fondamentalement liées aux traditions latines. Rapidement pourtant, les mots se transforment au point de devenir méconnaissables. Citons par exemple le mot latin augustus, qui a donné aussi l'adjectif auguste, devient par la voie populaire tour à tour agosto, aosto, plus tard aoust, et août, prononcé ou.
Les premiers textes en « roman » (nom donné alors à notre langue) sont rares. Le plus célèbre est celui des Serments de Strasbourg, signé en 842 dans les deux langues romane et franque entre Charles le Chauve et Louis le Germanique, qui constitue en quelque sorte le premier acte officiel écrit du français. Vers la fin du IXe siècle, citons aussi la charmante Séquence de Sainte Eulalie, où l'on reconnaît déjà mieux notre langue.
Il n'y a pas alors une langue mais des langues parlées, non pas un français, mais des français : anglo-normand, picard, bourguignon, « françois » central, franco-provençal, gascon, etc. Ainsi, on dit cateau en picard ou chasteau en « francois » ; trouvère dans les dialectes d'oïl du nord ou troubadour dans les dialectes des langues d'oc du sud (les mots oïl et oc viennent eux-mêmes de la façon différente dont on disait oui au nord et au sud).
D'autre part, notre idiome actuel n'est pas, comme on l'a cru longtemps, issu d'un dialecte précis venu de Paris ou d'Île-de-France (appelé plus tard le « francien »), mais d'une sorte de langue écrite commune qui s'est établie progressivement dans le nord de la France pour les besoins de la communication.
Le français, pourtant d'usage courant à partir du XIe siècle à la cour des rois de France et d'Angleterre, restera longtemps interdit dans la culture savante, et les collèges et universités ne parleront et n'écriront en principe que latin.
Les textes de création en langue « vulgaire » apparaissent dès le XIe siècle, puis se multiplient : chansons de geste comme la Chanson de Roland, romans de chevalerie comme le Tristan et Yseult de Beroul, le Chevalier au Lion de Chrétien de Troyes, etc. Les premières chartes en français apparaissent vers la fin du XIIe siècle.
Nina Catach (1923-1997) était une de nos linguistes les plus réputées. Éminente universitaire, spécialiste de l'histoire de la langue et des systèmes orthographiques, prix de l'Académie française (1968) et prix du Haut Comité de la langue française (1971), elle avait à cœur de participer à la diffusion de la culture linguistique auprès d'un large public. Cet historique du français, écrit pour la délégation générale à la langue française, est l'un de ses tout derniers textes. |
Après l'ancien français, vient la période du moyen français. Dès la fin du XIIIe siècle, la « langue du roi » est mieux reconnue, elle devient une langue de prestige et élargit son domaine. Mais la France reste un pays bilingue. À l'église même, les sermons et les prières collectives se font en français, mais la messe, la liturgie resteront durablement en latin. Aux XIVe - XVe siècles, c'est la période des humanistes : sous l'influence de la Renaissance italienne, on assiste par rapport au latin à un renouvellement et un développement considérable du français.
Sous l'effet de bouleversements majeurs (centralisation administrative, guerre de Cent ans) et aussi d'importantes évolutions internes, notre langue se transforme rapidement. Proche à l'origine de ses sœurs latines, italien et espagnol, elle s'en éloigne, devient plus savante. Les anciennes déclinaisons disparaissent, l'ordre des mots change, la cort li roi devient la cour du roi, Dieu, en cui nom, devient Dieu, au nom de qui. Le roi envoie à présent ses édits dans les provinces du pays en français.
Le vocabulaire s'enrichit, avec de nombreux mots formés directement sur le latin. Il présente depuis, et jusqu'à nos jours, ce double caractère à la fois populaire et savant que l'on retrouve dans l'ensemble de notre langue. Et c'est avant tout par les traductions faites à partir du latin que se répandent les ouvrages en langue française nécessaires au développement de la nouvelle culture. « Le français, dit J. Chaurand, est une langue de traduction, pour les laïcs, convers, femmes, religieuses qui ignorent le latin ».
XVIe siècle - La RenaissanceC'est à partir de la Renaissance que la question de la fixation de la « langue du roi » se pose fortement. Non pas comme par le passé, pour noter simplement quelques chansons ou un sermon, mais pour conquérir tous les secteurs nobles, l'ensemble de la culture et des sciences.
Le français se veut dorénavant l'égal de ce qui était considéré alors comme les trois « langues du bon Dieu » (hébreu, grec, latin). Les interventions royales bannissent le latin en faveur du français dans les arrêts de justice : ordonnances successives de 1490, 1510, et enfin de 1539, avec le célèbre édit de Villers-Cotterêts, qui entérine en bonne part une situation déjà existante.
C'est aussi l'âge d'or des grands dictionnaires : Dictionnaire françois-latin de R. Estienne (1539), premier ouvrage de ce genre à entrées françaises, et Thrésor de la langue française de Nicot (1606).
Si l'écrit est codifié, jamais notre langue parlée n'a été aussi bouillonnante. Jusqu'au XVIIe siècle au moins, elle garde une grande liberté de structures et de tournures. La langue de Ronsard contient encore de nombreuses inversions venues de l'ancienne langue, comme Doux fut le trait, Ce flambeau qui tout ce monde allume…
C'est à partir de la Renaisance que le français part à la conquête des secteurs nobles : il faut écrire les lois, imprimer les textes des sciences et traduire la bible |
Les formes verbales connaissent de nombreuses variantes qui ont disparu depuis, par le jeu de l'écrit et de l'analogie mais aussi sous l'influence des grammairiens. Montaigne écrit je chant (pour : je chante), je treuve (trouve), poisant (pour : pesant), etc. Au XVIIe siècle,, Racine et Corneille écriront encore je vin, je voy, je croy avec y et sans s, et les formes que j'aye, que je soye, qu'ils soyent n'ont pas encore entièrement disparu aujourd'hui.
On publie de nombreux Arts poétiques, des grammairiens. On prend la défense du français contre les langues anciennes (Deffence et illustration de la langue françoyse -1549-) de Joachim du Bellay). Ronsard et les poètes de la Pléaïde prennent la tête d'une vaste campagne en faveur des mots dialectaux, populaires, du renouvellement de la langue et surtout de l'orthographe. Ils connaissent le plus grand succès. Les auteurs utilisent volontiers des mots familiers, drus, alors inaccoutumés : ainsi, chez Montaigne, gendarmer, enfantillage, etc.
C'est de loin l'époque qui a connu la plus grande richesse lexicale, due aux emprunts au latin, au grec et surtout à l'italien (près de 1000 mots). Ces emprunts sont tels qu'il s'agira bien en quelques dizaines d'années, dira P. Guiraud, de l'introduction de « la moitié de notre dictionnaire actuel ».
XVIIe siècle - Le français classiqueSi la Renaissance apparaît en matière de langue comme le symbole d'un « éloge de la folie », le XVIIe siècle se voudra, sans l'être vraiment, un siècle sage, une époque tendant à la mesure et à l'harmonie.
Le langage patoisant et populaire est encore aux portes de Paris. Des écrits polémiques contre Mazarin (les Agréables conférences de deux paysans de Saint Ouen et de Montmorency, 1649-1651), rapportent ainsi le dialogue entre deux habitants :
Au XVIIe siècle, les premiers dictionnaires entièrement français de Richelet, Furetière et de l'Académie répandent le « beau langage ». Cependant la variété des perlers est loin d'être morte : ainsi Racine, arrivant à Uzès en 1661, doit-il se résoudre à parler italien ou espagnol pour se faire comprendre ! |
- (Piarot) «[Le cardinal] est py qu'anragé conte lé Parisian a cause qui l'avon confrisqué sn'office - (Janin) Hé queul office avety ? - (Piarot) Je nan sçay par ma fy rian… .» (Le cardinal est plus qu'enragé contre les Parisiens qui lui ont confisqué son office - Hé, quel office avait-il ? - Je n'en sais ma foi rien…).
Les questions de langage passionnent non seulement la Cour et la « Ville » (de Paris), mais de larges couches provinciales, en attente de reconnaissance et d'unité. Chacun est tenu de faire la séparation entre le « bon » et le « mauvais » usage. Sous la férule de grammairiens comme Malherbe ou Vaugelas, soutenu par la Cour, tout doit être en principe réglé, mais… rien ne l'est vraiment.
Faut-il dire doleur ou douleur, benir, bénir ou même beni (car on ne prononce pas le r final) ? On blâme des tournures comme je le vous porterai demain [pour : je vous le porterai], ou je ne le veux pas faire [pour : je ne veux pas le faire]. On ne devrait plus, selon les grammairiens, dire comme le fait pourtant La Fontaine (Fables, avec usage de « qui » pour « qu'est-ce qui » : Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ? », ou « Qui fait l'oiseau ? C'est son plumage ».
Richelieu crée l'Académie française (1635), qui est chargée de faire un dictionnaire, une grammaire, une rhétorique et une poétique, et de prendre soin de la langue.
Avec le siècle de Louis XIV, se fait jour une nouvelle renaissance des arts et lettres, et la langue, parlée à présent à travers toute l'Europe, en bénéficie. |
Vers 1650, se forme dans les salons une intense vie mondaine, Mme de Rambouillet et les « Précieuses » veulent être des « femmes savantes ». Elles introduisent des façons de parler en partie ridicules, mais d'autres légitimes et qui nous sont restées. Elles veulent faire la loi, y compris sur le terrain de l'orthographe (Dictionnaire des Précieuses). Elles demandent une écriture simple, car elles ne connaissent pas le latin.
Avec le règne personnel de Louis XIV se fait jour une nouvelle « Renaissance » des lettres et arts, et la langue, parlée à présent dans toute l'Europe, en bénéficie. Les premiers dictionnaires Furetière (1690), Académie (1694) contribuent à répandre le « beau langage ». Cependant, la variété des parlers, est loin d'être morte. Ainsi, Racine arrivant à Lyon en 1661, ne reconnaît plus son français et, arrivé à Uzès, se résout à parler italien ou espagnol pour se faire comprendre (Lettre à La Fontaine).
XVIIIe siècle - « Le siècle des Lumières »Depuis le traité de Rastadt (1714), le français est devenu une grande langue diplomatique internationale, parlée dans toutes les cours des rois et les ambassades. Voltaire est invité chez Frédéric II de Prusse, Diderot à Saint-Pétersbourg par Catherine de Russie. On prend conscience du prestige ainsi acquis, ce qui ne manque pas d'amener un certain sentiment de supériorité. Ainsi, en 1784, le prix de l'Académie de Berlin est donné à Rivarol pour son Discours sur l'université de la langue française, où il soutient la thèse d'une perfection de forme propre à la langue française, grâce à sa clarté et la rationalité.
L'Académie, elle aussi, innovera constamment au XVIIIe siècle. À défaut de bouleverser entièrement le dictionnaire, comme le voulait Voltaire, elle modifie plusieurs milliers de mots dans ses éditions successives, abandonnant « l'ancienne orthographe » et mettant en place celle qui est devenue la nôtre. Elle ne faisait en cela que suivre les usages imprimés en cours à l'époque, qui l'avaient devancée.
Révolution, Empire, au XIXe siècle - Le français moderneVers la fin du siècle vient l'époque agitée de la Révolution. Sous l'influence de Rousseau (La Nouvelle Héloïse), l'amour des grandes phrases revient à la mode. Même les révolutionnaires (Saint-Just, Mirabeau, Danton) parleront en périodes oratoires. Les mots de l'ancien régime disparaissent (gabelle, dîme, sénéchaussée, bailliage), et font place à de nouveaux termes, politiques, sociaux, institutionnels.
Il n'y a plus d'Académie, mais la 5ème édition du dictionnaire, publiée à fonds privés, comprendra un Supplément qui recueille tous ces mots nouveaux ? On abolit les noms de titres (prince, sire, duc, et même Monsieur, remplacé par Citoyen) et on instaure le tutoiement public.
Mais la question de l'unification des parlers n'a guère évolué : à la Révolution, une grande partie de la population sur l'ensemble du territoire comprend le français mais ne l'écrit pas, et un habitant sur quatre, surtout dans les campagnes, ne parle que le patois ou la langue régionale.
Puis, le français se dote de l'armature nécessaire aux nouveaux impératifs d'une éducation étendue (lois Guizot, 1832-34). Les grammaires scolaires se répandent largement (2500 titres parus au XIXe siècle) et les dictionnaires se font de plus en plus gros : notamment, le Grand dictionnaire universel en 17 volumes de Pierre Larousse (1865), puis le Dictionnaire de la langue française de Littré, terminé en 1872.
Sous Louis-Philippe, à côté des mots du romantisme, les sciences et les inventions répandent aussi dans l'usage des systèmes entiers de nouvelles nomenclatures, postes, chemin de fer, navigation à vapeur, télégraphe, etc. Sous le second Empire, c'est le monde de la presse, des affaires, de la publicité qui multiplie les néologismes et les termes de vulgarisation scientifique. Les anglicismes pénètrent le français.
Les lois de Jules Ferry sur l'enseignement obligatoire (1882) donnent à l'État des obligations considérables - le pari étant dorénavant d'apprendre à lire et à écrire le français à l'ensemble de la population. En quelques années, le nombre des petits écoliers scolarisés a doublé. Un manuel comme le Lariveet Fleury , bien connu de nos grands-parents, a été édité avant la guerre de 1914 à 12 millions d'exemplaires, et après la seconde guerre mondiale ceux d'Édouard Bled tiraient à plus de 40 millions au moment de sa mort (1996).
XXe Siècle - Le français contemporainDepuis 1900, les études linguistiques modernes prennent leur essor. L'évolution de la société fait par ailleurs que chaque citoyen a besoin de bien maîtriser la langue pour défendre et exercer ses droits dans la vie publique et privée.
Qui est, actuellement, responsable en premier lieu de son évolution et de ses usages ? Traditionnellement, en France, ce sont l'Académie française, les dictionnaires et le monde de la typographie. L'Académie n'a donné au XXe siècle qu'une édition du Dictionnaire de l'Académie (1932-1935) et prépare depuis sa 9e édition.
Mais, de tous ces domaines, c'est celui des dictionnaires qui grandit le plus son influence et par là sa responsabilité. À côté d'autres publications, l'événement sera, à partir de 1905, la parution devenue annuelle du Petit Larousse illustré, qui prendra place dans tous les foyers du pays. À partir de 1967 paraît Le Petit Robert, devenu lui aussi annuel et qui a su se conquérir un public durable.
Une langue a besoin pour se maintenir de se renouveler (par la libération des usages), elle a également besoin d'être fixée (selon les normes de l'écrit). |
On bénéficie de dictionnaires de toutes les spécialités. Viennent à présent les bases de données et les dictionnaires sur cédérom. De 100 000 mots chez Littré, on passe un siècle plus tard à six millions de termes français enregistrés à l'Institut national de la langue française de Nancy.
Ces derniers temps, la langue orale semble reprendre plus que jamais sa marche en avant. Les troncations de mots se multiplient, métro, ciné. Les mots s'usent vite : elle est belle devient elle est trop, etc. Mais inversement, leur influence a tendance à unifier et à normaliser les différentes façons de parler.
On assiste ainsi à la fois et paradoxalement, à une dépendance de plus en plus forte de la langue vis-à-vis des normes et de l'écrit, (due à la presse, la radio, la télévision et surtout l'instruction), et à une libération générale des usages. Si l'on réfléchit, ces tendances contradictoires sont toutes deux à la fois nécessaires et bénéfiques. Une langue a besoin pour se maintenir de renouveler, elle a également besoin d'être fixée.
Il y a aussi l'influence grandissante de l'anglo-américain, dont le rôle croissant en tant que langue de communication internationale ne signifie pas pour autant un recul des langues nationales, qui peuvent et doivent coexister et prospérer. Les façons de parler le français sont enfin de plus en plus diversifiées, à travers toute la société et dans l'ensemble de la francophonie, Dom-Tom, Québec, Afrique…
C'est une richesse et l'on ne peut que s'en réjouir. C'est avant tout sa capacité de création et de renouvellement qui est le meilleur gage de l'avenir de notre langue.