Défense de la langue française   
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DÉFENSE DES LANGUES NATIONALES

       Pourquoi la polémique sur les langues régionales persiste-t-elle, malgré la sentence du Conseil Constitutionnel dont les avis jusqu'alors ne se discutaient pas ? Parce que cette controverse se situe au point de rencontre de trois mouvements :
  1. effacement de la diversité du monde,
  2. progression hégémonique du langage anglo-américain,
  3. perte de confiance des Français dans leur langue.
       Le troisième de ces mouvements est le plus perceptible. Quand, dans les affaires, des firmes françaises exigent en leurs bureaux, installés en plein Paris, que la langue de leurs propres salariés soit autre que le français - quand, dans le domaine scientifique, l'Institut Pasteur ou le CNRS renonce à publier dans notre langue - quand les responsables de notre pays auprès des instances européennes se montrent prêts à capituler devant la prétention de Bruxelles de ne plus traduire les brevets en français sous prétexte d'en diminuer les frais - quand les émissions francophones vers l'étranger sont étranglées financièrement ou privées de relais par satellite, il y a là les indices d'une désaffection envers l'outil quotidien et millénaire de notre propre identité, autrement dit un signe de liquéfaction de notre volonté d'être.

       La nature a horreur du vide. Dès lors la voie s'ouvre tout grand vers une domination linguistique américaine qui, elle, ne craint nullement de s'affirmer.

       C'est la concomitance des mouvements 2 et 3 qui donne son acuité dramatique à la conscience du mouvement 1, celui du nivellement culturel de la planète.

       Pas de semaine où ne disparaisse l'une ou l'autre des langues utilisées jusqu'ici, dont chacune témoigne d'un mode d'appréhension du monde par l'homme. Langues, ou dialectes, ou patois ? 1 500, 2 500, 5 000...? Querelles de clercs. Un parler limité à 300 mots à ras de terre utilisés dans une société figée constitue-t-il un élément indispensable du patrimoine humain? Faudra-t-il l'enrichir artificiellement en forgeant des néologismes «régionaux» qui désignent les inventions techniques de l'époque - au moment où certains de nos compatriotes font mine de renoncer à le faire en français ?
       SAUVER CE QUI EST « SAUVABLE »
       Le danger d'une exténuation générale de la culture entraîne une sorte de panique chez ceux qui sentent le socle de leur identité se dérober sous leurs pieds. La plupart des langages ou patois régionaux en France sont déjà morts. Comme sont morts chez nos voisins l'erse de l'Ecosse ou le wende de la Saxe. D'autres ne survivent que sous perfusion. Tous manquent d'unité. On ne leur rendra pas vie à coup de panneaux indicateurs bilingues sur les routes, pratique d'ailleurs innocente, quelquefois drôle. Toynbee parlait déjà, à propos de sociétés qui ont perdu leurs repères, de réaction archaïsante.

       Soyons donc sérieux. Il s'agit, dans la diversité du monde, de sauver ce qui est « sauvable ». .À condition de discerner l'échelle des valeurs et de s'attacher en priorité aux grandes langues de communication, celles qui ont le plus enrichi le patrimoine humain, celles autour desquelles se sont forgés un Etat, une littérature, voire un type de civilisation.

       Les idiomes qui ne rentrent pas dans ce cas doivent pouvoir être répertoriés, étudiés comme tout phénomène humain, bénéficier d'une sorte de conservatoire confiés à des spécialistes ou des associations culturelles. Mais très peu méritent d'être secourus pour leur valeur propre. Citons le breton (même scindé en quatre parlers) en tant que l'un des derniers rameaux d'une famille celtique riche en rêves et en chants, le basque aux origines mystérieuses et à l'ancestrale poésie.

       Ces langues-ci, comment les aider ? Certes par des écoles libres pour ceux qui le désirent. Mais sans oublier que le temps passé à étudier une langue régionale sera pris sur l'enseignement du français.ce peut susciter aujourd'hui la fascination, demain le rejet.

       L'Europe a un besoin vital de langues nationales solides : non seulement le français, mais aussi quatre ou cinq langues de nos voisins proches ou moins proches - Latins, Germains, sans oublier les Slaves - de langues qui soient sûres d'elles-mêmes, fécondes, rayonnantes.

       Contrepoids nécessaire devant un rouleau compresseur qui menace d'écraser toutes les cultures.

       Le 5/07/99
       Philippe LALANNE-BERDOUTICQ
       Administrateur de DÉFENSE DE LA LANGUE FRANÇAISE
       Auteur de « Pourquoi parler français »

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