Défense de la langue française   
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MARDI 20 AOUT 2002 (Libération)
ECONOMIE
Parano française face aux corn flakes.
Un malentendu sur l'étiquetage en anglais
provoque un tollé hexagonal
Bruxelles intérim
La guerre linguistique de l'étiquetage n'aura pas lieu. La France s'est finalement rangée à l'ultimatum de la Commission européenne. Le décret autorisant l'utilisation des langues étrangères pour les indications sur les emballages de produits alimentaires a été publié le 2 août dernier au Journal officiel. Faut il en déduire que le consommateur français sera désormais condamné à acheter ses produits sans garantie de trouver leur composition ou un mode d'emploi en français ? Encore une fois, Bruxelles aurait-elle puni un pays coupable de ne pas maîtriser l'anglais, puisque c'est de cela qu'il s'agit ? C'est en tout cas ce que la plupart des Français auront compris de la controverse qui a alimenté une partie de l'été et qui pourtant ne repose sur rien : car il n'a jamais été question de supprimer l'obligation d'informer les consommateurs de l'Union européenne dans une langue qu'ils comprennent.
Scandale.
Tout commence le 27 juillet. La Commission adresse alors un avis motivé à la France lui demandant de se mettre en conformité avec la directive du 20 mars 2000 sur l'étiquetage des denrées alimentaires (lire ci-contre). Cette mise en demeure fait suite à l'arrêt rendu le 12 septembre 2000 par la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) jugeant non conforme à la dite directive la loi française de 1994 qui impose l'usage du seul français pour « tous les documents destinés à informer l'utilisateur ou le consommateur ». Sur les ondes et dans les journaux, l'information est diffusée : la Commission a demandé à la France de cesser d'imposer l'étiquetage en français des produits alimentaires vendus sur son territoire. Branle-bas de combat dans 1'Hexagone, la ménagère s'inquiète, les associations de consommateurs crient au scandale, l'élite intellectuelle prend la plume pour dénoncer cette attaque à la « diversité culturelle ». Même à Bruxelles, ce n'est pas la clarté qui règne. Fin juillet, de nombreux fonctionnaires ayant déjà pris la route des vacances, les explications de cette mise en demeure sont un peu floues.
Polémique.
Lundi 29 juillet, le secrétaire d'Etat à la consommation, Renaud Dutreil, tente de calmer le jeu : il annonce qu'il va signer un décret maintenant l'obligation d'étiquetage en français, tout en autorisant parallèlement l'emploi d'une ou plusieurs langues étrangères. Pourtant, la polémique se poursuit. Personne ne sait vraiment ce que demande la Commission, mais la France d'en bas comme la France d'en haut est contre. Contre les milk-shakes, corn flakes, brownies and co. Le 8 août, le Monde donne la parole à l'écrivain Dominique Noguez : « Ainsi une nouvelle fois la commission de Bruxelles vient de proclamer qu'il y a quelque chose de plus fort que la constitution de la République française, de plus fort qu'une langue qui a mille ans d'histoire... c'est la circulation des marchandises.» Dans le Figaro Magazine, Jacques Toubon, ex-ministre de la Culture et de la Francophonie, en rajoute une louche. Il appelle à « refuser fermement de modifier la législation nationale ». Et d'expliquer: « Il y a eu beaucoup de négligences de la part du gouvernement précédent », ce qui a permis à la Commission « de déférer le problème devant la cour de justice européenne. »
« Grotesque ».
Bruxelles décide alors de répliquer. « C'est complètement grotesque. Il ne s'agit absolument pas d'interdire le français, assure un porte-parole de la commission. Il s'agit de laisser aux distributeurs la possibilité, à côté des informations en français, de mettre une autre langue. C'est complètement différent. » Comme l'indique l'article 16 de la directive, les États veillent à interdire le commerce des denrées alimentaires lorsque l'étiquetage « ne figure pas dans une langue facilement comprise par le consommateur, sauf si l'information du consommateur est effectivement assurée par d'autres mesures ». Deuxièmement, la Commission souligne que ce n'est pas elle qui est à l'origine de la décision de la Cour, mais une demande adressée « par des tribunaux français » qui avaient un gros doute sur la conformité du droit français au texte de la directive. Troisièmement, précise le porte-parole, cela fait « plus d'un an » que la Commission s'est « mise d'accord avec la France » sur un projet de texte permettant à Paris de régulariser la situation. Le décret du 2 août ne ferait donc qu'entériner cet engagement pris. Simplement, Paris tardant à le signer et à le publier, Bruxelles a voulu accélérer le mouvement. Une maladresse, tant il est vrai que tout ce qui touche à la langue française est passionnel.

A cause d'un hypermarché auvergnat...
D'où vient ce pataquès linguistique et juridique sur l'étiquetage des produits ? En 1996, lors d'un contrôle, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF ) constate dans un Géant Casino de Clermont-Ferrand que l'étiquetage de 500 bouteilles de Coca-cola, de cidre Merry Down et de bière Red Raw n'est pas en langue française. Selon la grande surface, le Coca-cola est un produit notoirement connu, quant au cidre et à la bière, la faute serait à mettre au compte des fournisseurs qui ont omis de coller les étiquettes en français. Condamné par le tribunal en 1997, l'hypermarché interjette appel. Ayant des doutes sur la compatibilité de la loi française avec le droit communautaire, la cour d'appel décide alors de saisir la juridiction européenne.

JULIE MAJERCZAK

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