Point Zéro, sud de Broadway. Temps radieux en ce début novembre. Dès la sortie du métro Chambers, l'odeur aigre d'incendie mêlée de poussière vous prend à la gorge. Les rues conduisant à l'ex - World Trade Center sont barrées, mais les carcasses calcinées des bâtiments sont bien visibles. Les foules déambulent, silencieuses : contraste avec le grondement des pelleteuses. Sur les grilles, messages, fleurs, draps tendus couverts de milliers de signatures et d'ex-voto. Du cratère s'élèvent des nuages de fumée : le sous-sol brûle encore. Un pèlerinage en forme d'épreuve, que bien des New-Yorkais hésitent encore à entreprendre.
C'est sur cette longueur d'onde que les 600 000 francophones de New York et de sa région peuvent capter les émissions très appréciées de RFI, sans compter les étudiants et professeurs de français américains, et tous ceux que la culture française intéresse. Mais la plage horaire allouée à RFI par l'Administration publique de la ville, gérante de la station, s'amenuise d'année en année. Jusqu'en 1998, RFI émettait deux heures le matin (7 à 9). En 1998, l'émission a été réduite (6 h 30 à 7 h 10). Après un arrêt, lié au 11 septembre, les programmes ont été rétablis (de 10 heures du soir à 1 heure du matin) sous la pression du Comité d'action des producteurs ethniques et de nombreuses pétitions de Français et de francophones. Néanmoins, la frustration reste grande, puisque c'est le matin que l'on écoute la radio, pas la nuit.
Côté américain, les pouvoirs publics new-yorkais s'interrogent sur le bien-fondé d'attribuer une longueur d'onde de caractère public à une communauté étrangère. Aux yeux des édiles américains, les communautés étrangères ont vocation à s'intégrer : si elles veulent émettre dans leur langue, elles peuvent louer une antenne privée (beaucoup plus chère). C'est pourquoi le Bureau de l'éducation de la ville de New York, avec lequel elles doivent traiter, leur a demandé de justifier d'une légitimité sur les plans de l'audience, du financement et du caractère éducatif de leurs programmes…
Côté français, il existe à New York plusieurs centaines d'associations françaises - régionales, artistiques, sportives, professionnelles, etc. -, mais qui s'ignorent les unes les autres : formidable énergie dispersée. Aujourd'hui, le département audiovisuel des services culturels français a entrepris de les fédérer pour créer un groupe de pression local. Plus largement, l'idée serait de fédérer les nombreuses communautés francophones qui regroupent les ressortissants d'une cinquantaine de pays et comptent plus de 600 000 personnes. Outre la qualité reconnue de ses émissions, l'audience réelle et potentielle de RFI est un atout de poids. Au modeste chiffre officiel de 20 000 résidents français immatriculés au consulat de New York, il faut opposer les 70 000 Français réellement présents, ainsi que les francophones établis dans la région : Belges, Suisses, Canadiens, ressortissants de pays d'Afrique francophone, Haïtiens, sans parler de l'ONU, des universités de New York - Columbia et NYU - ou du rayonnement de leur département de langue et culture françaises. Chacune possédant son antenne, on pourrait peut-être aussi imaginer un changement d'hébergement pour nos médias. Le sort de la demi-heure de programmation quotidienne de France 2 est lié à celui de RFI, puisqu'il dépend du même organisme. Signalons l'atout éducatif que représente le Journal télévisé de France 2, puisqu'il est sous-titré en anglais (fait unique), bien utile pour ceux qui apprennent le français.
La mobilisation exceptionnelle suscitée par les producteurs ethniques - 22 radios ou télévisions regroupées au sein d'un comité d'action dans les murs de l'ambassade de France fin septembre - et la pression auprès de la mairie de certaines minorités influentes ont conduit les autorités, au lendemain de l'élection de Michael Bloomberg, à reconsidérer le dossier et à accorder un nouveau délai de huit mois pour le traiter à fond. Sursis qui n'empêchera pas les diffuseurs français de suivre le dossier avec la plus grande vigilance et de tenter de renégocier les horaires. Nous le demandons avec force, au nom de nos abonnés de New York, inconsolables d'avoir perdu leur émission française du matin.