Ont participé à la rédaction de ce rapport :
Mme Jacqueline Delpit, MM. Marc Bonnaud, Marceau Déchamps,
Marc Favre d'Échallens, Jean Griesmar, André Pérot,
Thierry Priestley.
Nous remercions par ailleurs tous les adhérents des
associations réunies dans " Le Droit de comprendre ",
ainsi que nos correspondants présents dans divers organismes,
qui nous ont aidés à collecter et exploiter les
informations figurant dans ce rapport.
Que soit aussi remercié Dominique Noguez qui a bien
voulu le préfacer en exprimant, selon sa sensibilité
personnelle d'homme libre et d'écrivain talentueux, sa
solidarité avec tous ceux qui luttent pour que vive et
prospère la langue française.
La cause du français peut ainsi rassembler tout ceux
qui l'aiment, au-delà de tout ce qui les sépare
par ailleurs, parce que c'est une cause noble, celle de toutes
les langues et cultures de l'humanité.
Ce rapport est la meilleure chose qui soit arrivée depuis longtemps à notre langue. C'est une initiative privée, venue de citoyens et d'associations qui ont décidé d'unir leurs forces. Non qu'on manque en ce domaine d'institutions d'État. Mais, quand elles ne limitent pas leur action à de bonnes paroles rituelles, celles-ci sont une goutte d'eau dans l'océan d'une fonction publique et d'une représentation nationale majoritairement résignées, sinon enragées au renoncement.
Il faut donc souhaiter que ces institutions publiques apportent dans l'avenir leur concours à la présente initiative, jamais qu'elles la dirigent. Elles pratiqueraient l'euphémisme, l'atermoiement, la dissimulation, au lieu que les citoyens qui l'ont menée ne cherchent manifestement pas à se leurrer, ni à nous leurrer, mais à mesurer l'étendue du désastre pour mieux le réduire.
Car il s'agit bien d'un désastre, qui n'a jamais eu d'exemple dans l'histoire. Ce travail ne l'explique que très partiellement (il y faudrait il y faudra les ressources conjuguées de l'histoire, de la sociologie de la colonisation, de l'économie et, peut-être, de la psychologie des foules et de la morale), mais, en proposant un tableau d'ensemble qui couvre tous les domaines de l'activité, du moins les plus touchés, il le fixe (comme on dit d'un abcès). Décrire le mal comme le prouvent la Cour des comptes en France, l'Organisation mondiale de la santé ou Amnesty international dans le monde , c'est se donner le moyen de le combattre, d'abord en s'arrachant à la spirale du désespoir et de l'impuissance, puis en commençant concrètement et point par point l'indispensable reconquête.
Il est important, il est capital, de ce point de vue, que ce rapport soit annuel, et constamment mis à jour.
Dès à présent, il a deux vertus. Même pour ceux qui sont depuis longtemps sur le qui-vive, il fait l'effet d'une douche froide que dis-je ? glacée. Il réveille. Et il fait rire.
Il réveille. On savait, contrairement à une idée reçue, que la droite ne comptait pas moins d'adversaires de notre langue que la gauche : ainsi, dans le temps même où la CFDT dépose plainte, à Saint-Ouen, pour réobtenir le droit des Français à travailler dans leur langue, les tenants de l'ordre moral et de la droite musclée manifestent aux abords de l'Assemblée nationale avec des maillots marqués PACS OUT. Mais ce qu'on ne savait pas bien, c'est que ces adversaires sont plus souvent français qu'étrangers. Qu'un M. Mosley, aussitôt arrivé à la tête de la Fédération internationale automobile, sise à Paris, impose l'anglais comme seule langue de communication même en France, cela se conçoit presque : c'est un sujet de Sa Gracieuse Majesté. Mais qu'un M. Lassus, citoyen français, impose l'usage de l'anglo-américain dans son entreprise située en France ou que son subordonné M. de R*** déclare de ses employés : S'ils ne parlent pas anglais, je ne veux même pas les voir, c'est la preuve qu'on n'est pas là dans la nécessité objective et le rationnel, mais dans l'idéologie dans une sorte de cauchemar effarant et bouffon.
D'où le rire. M. de R*** mériterait de passer à la postérité, son nom ferait un titre de comédie au moins aussi beau que M. de Pourceaugnac ou M. Le Trouhadec. D'une façon générale, ce rapport est une mine pour le romancier ou l'auteur de théâtre. Il nous livre une galerie de portraits dignes de Molière ou de Thackeray. Ses héros, ces bourgeois-gentilhommes ou ces snobs, se recrutent toujours un peu dans les mêmes mares : boutiquiers montés en graine, publicitaires encocaïnés, chercheurs scientifiques avides de résultats sonnants et trébuchants, hauts fonctionnaires infatués de leur minuscule importance et tout gargouillant de jargon international même pour demander leurs pantoufles à leur femme ou à leur servante... Ils l'emporteront peut-être, réussiront peut-être à terme le décervelage et la déculturation de leur propre peuple, mais ils nous auront bien fait rire !
Si différents qu'ils soient, ils se ramènent tous à deux grands modèles littéraires : Ubu et Gribouille. Ubu, le tyranneau qui impose à ses sujets les lubies les plus absurdes, et Gribouille qui prétend lutter contre la pluie en se jetant dans le lac. L'un est plus violent, l'autre plus sot, mais l'effet est le même. D'aucuns diront que de ce rapport émerge une troisième figure, qui les rassemble, celle de Ganelon.
Je préfère y repérer, hélas, celle
de Sisyphe. Sisyphe, c'est nous qui voulons continuer à
vivre dans notre langue (et tout en reconnaissant à tous,
Espagnols, Allemands, Malgaches ou Chinois, le même droit),
et nous qui voyons que le combat n'est jamais gagné, que
le rocher retombe sans cesse. Qu'importe : grâce à
ce rapport, nous voyons mieux la taille et la forme du roc, nous
sentons même parfois que sur certains points il s'allège.
Et ainsi nous avons plus d'entrain à le hisser. Comme dit
Camus, il faut imaginer Sisyphe heureux.
Dominique NOGUEZ est écrivain ; il a notamment
publié :
Amour noir, éd. Gallimard, prix Fémina 1997,
La colonisation douce, éd. Arléa 1998 (nouvelle
édition).
|
- Présentation de l'association Le Droit
de Comprendre
II - Travail et emploi
III - Monde scientifique et technique
IV - Audiovisuel, nouvelles techniques de l'information - Sport
V - Administrations et Services publics
|
L'association Le Droit de comprendre a été
créée en octobre 1994 à l'initiative d'Avenir
de la langue française et de Défense de la
langue française, les deux principales associations
de défense et de promotion de la langue française.
Ces deux associations sont agréées par arrêté
ministériel pour exercer les droits reconnus à la
partie civile en cas d'infraction à la loi du 4 août
1994 sur l'emploi de la langue française.
La création du Droit de comprendre répondait
à l'objectif de coordonner les actions contentieuses des
associations agréées et de mettre en commun leurs
moyens pour en accroître l'efficacité. Il s'agissait
aussi de fédérer les forces des autres associations
et personnes qui, à divers titres, adhèrent à
la cause de la langue française et souhaitent participer
aux autres actions, notamment d'information, d'alerte ou de conseil,
que nous menons par ailleurs tant au niveau français qu'européen.
Au total, près de six mille personnes se retrouvent ainsi
regroupées, directement ou indirectement pour soutenir
tout ou partie des actions conduites par notre association.
L'encadré ci-après précise la composition
et l'organisation de l'association et donne un aperçu de
l'essentiel des actions qu'elle a menées en près
de quatre ans d'activité.
Le Droit de comprendre consacre par ailleurs une grande
partie de son activité à se rapprocher d'autres
institutions ou organismes pour agir de concert sur toute question
d'intérêt commun mettant en cause l'exercice des
droits linguistiques : associations de consommateurs et d'usagers
de services publics, syndicats ouvriers représentatifs,
organisations professionnelles, partis politiques, administrations,
etc.
Une coopération est en particulier activement recherchée
avec la Délégation générale à
la langue française (DGLF) et avec les administrations
de contrôle chargées de l'application de la loi :
Direction générale de la consommation de la concurrence
et de la répression des fraudes (DGCCRF), Inspection du
travail, Police judiciaire.
Télécopie : 01 42 73 19 51 languefr@micronet.fr www.micronet.fr/~languefr/ddc Adhérents :
Vice-président : Yvan GRADIS, Vice-président et trésorier : Marc BONNAUD, Secrétaire général : Marceau DÉCHAMPS.
Traitement de plus de 960 plaintes et signalements
d'infractions à la législation sur l'emploi de la
langue française en France et dans les institutions européennes
(loi du 4 août 1994, Code du Travail, règlement n°1
de la Commission européenne, circulaire du Premier ministre
sur l'emploi de la langue française dans l'administration)
ayant conduit à plus de 250 interventions écrites.
15 actions contentieuses engagées depuis 1996
dont 4 ayant donné lieu à des décisions de
condamnation et d'allocation de dommages-intérêts
aux associations agréées.
Organisation et suivi de 4 pétitions, dirigées
contre les administrations communautaires pour le respect du plurilinguisme
en Europe et d'une manifestation de rue pour protester contre
les déclarations de Claude ALLÈGRE du 30 août
1997.
Contacts et actions conjointes avec d'autres organismes :
|
|
Pourquoi ce rapport ?
La loi du 4 août 1994 a prévu qu'un rapport sur les
conditions de sa mise en œuvre serait établi chaque
année par la Délégation générale
à la langue française (DGLF) et soumis au Parlement
par le gouvernement. Nous prenons naturellement connaissance de
ces rapports et nous en reconnaissons l'utilité.
Néanmoins, le modeste positionnement institutionnel de
la DGLF et la limitation de sa compétence juridique ne
lui donnent pas l'autorité indispensable à la conduite
d'une grande politique linguistique. Une politique, du reste,
dont ne veulent plus depuis longtemps nos gouvernements successifs,
incapables de saisir les divers enjeux cruciaux de l'avenir du
français en France, en Europe et dans le monde. Nous n'avons
même pas droit à un débat national digne de
ce nom à ce sujet.
Du coup, il est difficile d'attendre des rapports de la DGLF autre
chose que la mise en valeur des résultats ponctuels et
limités de ses interventions dans son champ d'action, auquel
échappent le secteur public et les institutions internationales,
en particulier européennes. Restriction fâcheuse
puisqu'il s'agit justement de secteurs où la langue française
connaît un sort qui est celui du déclin, de la violation
répétée des règlements linguistiques,
voire de la déroute, comme c'est le cas dans les institutions
de l'Union européenne.
Même pour le reste, nous pouvons légitimement craindre
que, pour certains esprits, la mission de la DGLF soit de rassurer
plutôt que de mettre en lumière l'évolution
dangereuse ou inquiétante pour notre langue de certaines
réalités.
Il va ainsi de soi que le besoin se faisait sentir d'un rapport
sur la langue française émanant d'une structure
indépendante du gouvernement, ayant toute liberté
de parole pour décrire les réalités, surtout
lorsqu'elles sont de nature à mettre en cause les orientations
gouvernementales en la matière et la pénurie ou
l'inadaptation des moyens mis en oeuvre. À tout le moins,
il s'agit de faire en sorte que les informations données
suscitent l'émergence d'un vrai débat national sur
la question linguistique en France et en Europe.
Tel est l'objet de ce premier rapport que nous voulons périodique
afin de mesurer à chaque fois les évolutions constatées
en bien ou en mal. Nous nous sommes efforcés aussi pour
chaque thème abordé de mettre en lumière
les enjeux de tous ordres qui s'attachent aux situations constatées.
Quelques précisions doivent maintenant être données
sur les limites de ce rapport, qui tiennent pour l'essentiel à
la modestie des moyens dont nous disposons actuellement et donc
à la méthode que nous avons suivie pour établir
nos constats et en tirer des conclusions.
Au regard des thèmes abordés, en premier lieu, nous
n'avons pas pu tout couvrir, même si l'essentiel a pu l'être :
le monde du travail, celui de la production et des échanges
scientifiques, l'audiovisuel grand public, l'Administration et
les services publics, les institutions communautaires européennes
et enfin la consommation et la publicité ainsi que l'affichage
public. Il manque sans doute le thème de l'école
et de l'université, pourtant essentiel. L'état de
nos moyens et ressources humaines bénévoles nous
a obligés à le délaisser. Nous le couvrirons
certainement dans le prochain rapport.
Il est clair, par ailleurs, que la connaissance des réalités
linguistiques au sein de ces différentes sphères
ne nous est pas également accessible et qu'aucune d'elles
n'a pu être appréhendée de façon systématique
et exhaustive. Pour l'essentiel, nous avons dû nous contenter
d'une observation " à l'œil nu "
en comptant tous les faits portés à notre connaissance
par des voies diverses : plaintes des usagers, signalements
opérés par nos membres et tous acteurs directement
concernés (fonctionnaires, salariés...), et parfois
investigations systématiques dans un domaine spécifique
pendant une période donnée et sur un territoire
très délimité.
L'ensemble ne donne donc pas une vision complète de la
situation et n'a pas de valeur statistique. Néanmoins,
notre observation est rigoureuse et honnête en ce sens que,
sauf erreurs exceptionnelles toujours possibles, nous n'avons
pris en compte que des faits dûment établis. Elle
est également assez large pour rendre compte d'une part
de la réalité qu'on peut juger significative.
Sur de telles bases, il nous a paru légitime pour chaque
thème abordé de tirer quelques conclusions de nos
observations et de qualifier globalement la situation dans le
domaine considéré.
À cet égard, s'il fallait établir un palmarès
de l'incivisme linguistique à partir des observations dont
nous rendons compte ci-après, il ne fait aucun doute que
la " palme d'or " devrait être décernée
à l'administration européenne et à la haute
fonction publique française placées ex aequo au
peu enviable premier rang des promoteurs conscients, volontaires
et inexcusables du déclin de notre langue. Sans doute ces
deux groupes comptent-ils parmi leurs membres d'honorables exceptions,
voire de méritants résistants à la pression
ambiante du tout anglo-américain, nous sommes bien placés
pour le savoir. Mais la principale source du déclin du
français se trouve bien au cœur de ces deux zones
de pouvoir.
Par comparaison, le secteur privé français (hormis
les grandes entreprises internationales) manifeste dans son ensemble,
beaucoup plus de civisme et, bien souvent, ne bascule dans l'illégalité
et la violation des droits linguistiques des Français que
par nécessité économique ou imprévoyance.
La réaction dominante des entreprises à nos interventions
est à cet égard très éclairante :
dans les trois-quarts des cas leurs responsables approuvent nos
positions, parfois même les soutiennent en reconnaissant
les enjeux que nous soulignons, mais nous font valoir qu'ils sont
confrontés à des contraintes de tous ordres auxquelles
ils ne savent pas faire face dans l'environnement qui est le leur...
Si les arguments qu'ils avancent ne sont pas toujours fondés
ni pertinents, du moins donnent-ils l'impression qu'il n'y a pas
volonté d'encourager, ni de favoriser l'effacement de la
langue française. La situation est à peu près
semblable dans le domaine de la production et des échanges
scientifiques.
Toutefois, on voit bien dans tous les milieux se dessiner progressivement
une ligne de partage entre ceux qui veulent assurer l'avenir de
la langue française et ceux qui, ayant cessé d'y
croire ou même de lui en souhaiter un, agissent pour précipiter
son déclin. Parmi ces derniers se trouve manifestement
la majorité de nos " élites "
et plus spécialement leur " sommet ".
Qu'elles y prennent garde, cependant : à force d'accumuler
les " fractures " entre elles-mêmes
et le reste de la nation, elles finiront par s'isoler totalement
et diriger contre elles le ressentiment de toutes les autres couches
sociales ainsi que les imprévisibles soubresauts du pays.
La fracture linguistique est chargée de lourds symboles ;
si elle se confirmait, elle pourrait devenir l'emblème
de toutes les autres et déclencher des réactions
en chaîne.
Thierry PRIESTLEY
|
I- UN BILAN CONTRASTÉ DE L'APPLICATION DE LA LOI DE
1994
L'association s'est attachée à suivre près de 1000 dossiers, dont la valeur ne peut être statistique, mais est de toute évidence significative.
Les relevés effectués à tous les stades de la distribution concernent l'ensemble des biens et services d'origine française ou étrangère, proposés sur le marché national.
Ces relevés ont été d'autant plus faciles à effectuer que l'application de la loi du 4 août 1994 est dans ce domaine généralement simple à suivre.
Nous ferons donc état, dans un premier temps, d'une analyse
sectorielle dans le domaine de la consommation, avant de
nous attacher, dans un second temps, à la publicité
écrite, parlée et audiovisuelle relative aux
biens et services.
1/ La consommation : analyse par secteur
Les droits linguistiques du consommateur et de l'utilisateur
de biens et de services découlent des articles 2, 4, 12
et 14 de la loi du 4 août 1994.
L'article 2 qui reprend les dispositions de la loi du 31 décembre 1975, prévoit l'emploi obligatoire de la langue française dans " la désignation, l'offre, le mode d'emploi ou d'utilisation, la description de l'étendue et des conditions de garantie d'un bien, d'un produit ou d'un service, ainsi que dans les factures et quittances." " Les dénominations des produits typiques et spécialités d'appellation étrangère connus du grand public " sont néanmoins exclues du champ d'application de la loi. |
Deux secteurs révélateurs peuvent être discernés :
celui de la grande distribution d'une part (produits
agro-alimentaires et biens d'équipement et de consommation
courante), celui des services (hôtellerie, restauration
et transports) d'autre part.
La grande distribution
C'est dans ce secteur que le plus grand nombre d'infractions a
été constaté au cours de l'année 1997.
De nombreux biens vendus par la grande distribution sont en effet
contraires à la loi.
Deux catégories d'établissements sont le plus
souvent en infraction.
Les grandes surfaces, d'une part, sont presque toutes concernées.
On pourra citer les supermarchés Franprix (étiquetage
exclusivement en anglais de produits agro-alimentaires constaté
à Paris XVème en février 1997), Continent
(étiquetage exclusivement en anglais de prêt-à-porter,
constaté à Corbeil-Essonnes en mars 1997), Carrefour
(dénomination de matériel informatique, constatée
le 25 mai 1997), Usine Center (modes d'emploi et consignes
de sécurité de jouets mécaniques en anglais,
constatés le 15 avril 1997), ou encore Codec (étiquetage
de certaines boissons non alcoolisées du catalogue du 23
novembre 1996). On peut ici préciser que, malgré
nos mises en garde répétées, c'est dans ce
domaine de la grande distribution que les récidivistes
sont les plus nombreux et que nos actions en justice sont par
conséquent les plus courantes (Auchan, Surcouf...).
Les grands magasins, d'autre part, se voient également fréquemment en infraction. On peut mentionner la Samaritaine (informations strictement en anglais aux rayons parfumerie et animalerie, relevées le 20 mars 1997), les Galeries Lafayette (affichage informatif en anglais : " department store - capital of fashion ", constaté le 14 octobre 1997 et en juillet 1998), la Fnac (emballages de pellicules photographiques non traduits, notice d'accompagnement d'un cédérom intégralement en anglais, consignes de sécurité d'un baladeur, jaquette et brochure de disques compacts en polonais et en anglais uniquement - août/septembre 1997 / Étoile, Halles, Bastille).
D'une manière générale, les pochettes des
CD de musique classique présentent des titres et des descriptifs
rédigés en anglais, ce qui est en contravention
avec la loi du 4 août 1994 et très gênant pour
la compréhension du client.
On peut encore citer le Bon marché (étiquette
de sac à dos pour enfant d'origine américaine exclusivement
en anglais, le 15 mai 1997), Marks & Spencer (étiquettes
informatives sur des produits viticoles, uniquement en anglais,
le 3 juillet 1997), Ikea (étiquette en suédois
uniquement, constatée le 24 octobre 1997), le Vieux
campeur (emballage de chaussures ainsi que notice d'entretien
en anglais, constatés en mars 1997), Décathlon
(étiquetage de nombreux articles sportifs en anglais
- Sainte-Geneviève-des-Bois) ou encore le pépiniériste
industriel Truffaut (descriptifs de fleurs en anglais,
le 20 mars 1997 dans le Val d'Oise).
Au regard de ces exemples et des constats qu'il serait vain ici
de mentionner tous, on a pu relever qu'en matière de produits
agro-alimentaires, ce sont les boissons (jus de fruits et sodas)
ainsi que les condiments et l'ensemble des produits importés
qui sont le plus souvent en infraction. Pour ce qui concerne les
produits industriels, ce sont particulièrement les appareils
électriques (télévision, hi-fi, vidéo,
téléphone), les jouets (presque toujours d'origine
asiatique), les articles de sports et de loisirs (sacs, chaussures,
musique, nouvelles technologies...), ainsi que les produits cosmétiques
qui contreviennent fréquemment à la loi de 1994.
Pour les produits électroniques grand-public, on remarquera
l'abus généralisé qui est fait de la tolérance
du décret d'application pour les inscriptions gravées
sur les produits. S'il est en effet admis que quelques mots simples
(On, Off, ...), demeurent non traduits, il est en revanche
parfaitement contraire à la loi de trouver, par exemple,
des chaînes hi-fi dont les façades indiquent des
termes comme " speed - cueing - start - stop - on - standby
- timer operation - clock set - sleep - cancel - standby - read
- timer set - select - tuning up down - tuning mode - memory preset
- FM mode - band selector FM MW LW - power on off - speakers -
bass - treble - balance - surround - super bass - muting - volume
up down - vol preset - digital aux - tape 1 - tape 2 - aux - tuner
- phono - repeat - sleep - search - open/close - stop - pause
- play - direct access play - program - clear - cd edit - tape
side - edit tape length - auto cue - time mode - eject - tape
edit - x1 speed - x2 speed - synchro start - counter reset - meter
range - reverse mode - auto fade - auto rec mute - rec level "
(termes relevés sur une seule chaîne). On remarquera
que ce point n'est quasiment jamais respecté, à
l'exception des magnétoscopes japonais, qui, tenant compte
de la spécificité française du SECAM, en
profitent pour traduire. Nous disons japonais car les magnétoscopes
de THOMSON affichent, eux, néanmoins en anglais, vraisemblablement
pour affirmer leur supériorité technique.
Le secteur des services
L'hôtellerie, la restauration et les transports sont les trois principaux domaines où se trouve enfreinte la loi du 4 août 1994. On évalue le taux d'infraction à près de 5% dans ces trois domaines.
On peut citer quelques exemples significatifs : des encarts
de l'hôtel HYATT, présentant les services
et les accès de l'hôtel exclusivement en anglais,
des annonces et des menus exclusivement en anglais ou en espagnol
(Tex Mex / Indiana, Paris 11ème), l'affichage du
menu dans le train Paris-Poitiers, le 14 octobre 1997 (compagnie
Servair), l'affichage promotionnel dans les restaurants
Mac Donald's (" best of crudités ",
constaté le 3 novembre 1997), affichage non traduit de
la chaîne des restaurants Bistro romain (" new
king size salads ", le 21 octobre 1997 à
Paris), les panneaux de vente de sandwichs et de salades chez
Class'croûte, le 21 octobre 1997 ou encore les panonceaux
de la chaîne des bars - restaurants, Au Bureau ostensiblement
affichés en anglais.
Pour ce qui concerne les transports terrestres ou aériens,
on peut mentionner les infractions suivantes, dont la récurrence
est de norme : panneaux des autoroutes Paris - Normandie
(septembre 1997), la Compagnie nouvelle des Conteneurs (navette
ferroviaire s'appelant " Med shuttle ", constaté
le 23 septembre 1997, Air Inter Europe (étiquettes
d'enregistrement en anglais, relevées le 15 mai 1997),
Air France (documentation seulement bilingue pour les cars
Air France), ou encore les cartes d'embarquement de l'aéroport
de Bordeaux pour un vol via Bruxelles (le 20 août
1997).
2/ La publicité écrite, parlée et audiovisuelle
relative aux biens et services
L'usage du français est obligatoire pour la publicité
écrite, parlée, et audiovisuelle relative aux biens
et services (article 2, alinéa 3 de la loi du 4 août
1994). Ce principe se doit néanmoins d'être nuancé
. En effet, il résulte de l'article 12 de la même
loi que l'emploi du français ne s'impose pas aux publicités
incluses dans des programmes conçus pour être diffusés
en langue étrangère, ainsi qu'aux musiques étrangères
accompagnant des publicités françaises).
L'article 4 de la loi permet que les mentions, messages et inscriptions visés par l'article 2 soient complétés d'une ou plusieurs traductions pour peu que la présentation en français soit aussi lisible, audible ou intelligible que la présentation en langue étrangère. La circulaire du 19 mars 1996 concernant l'application de la loi apporte les précisions suivantes : " une mention, inscription ou annonce faite dans une autre langue ne doit pas, en raison de sa taille, de son graphisme, de sa couleur, de son volume sonore ou pour toute autre cause, être mieux comprise que celle établie en français. Les annonces ou inscriptions destinées à l'information du public doivent, de préférence, être formulées d'abord en langue française. Une similitude des deux présentations et un parallélisme des modes d'expression entre les deux versions ne sont toutefois pas exigés. En outre, la traduction peut ne pas être mot à mot dès lors qu'elle reste dans l'esprit original du texte. " |
Les annonceurs ayant recours à une langue étrangère
pour mieux valoriser un produit et son origine sont de plus en
plus fréquents dans le domaine des affichages, mais aussi
de la publicité radiophonique et audiovisuelle. Il importe
de souligner que certains annonceurs utilisent même une
langue de vente qui, précisément, n'est pas celle
de l'origine du produit.
Au regard de nos constats, trois domaines semblent particulièrement
touchés par ces aspirations commerciales qui contreviennent
à l'application de la loi de 1994 : il s'agit du prêt-à-porter,
des produits cosmétiques et de l'horlogerie.
On citera respectivement les affiches publicitaires vantant
les marques de prêt-à-porter Calvin Klein
(affiches publicitaires, Paris XIIe, le 9 septembre
1997), Emporio Armani (publicité pour un produit
italien entièrement en anglais dans Le Monde du
27 septembre 1997), Bally (support publicitaire intégralement
en anglais pour des chaussures suisses dans Le Figaro Madame
du 22 mars 1997), mais aussi Hogan (slogan non traduit
" free your feet ", constaté
le 3 juillet 1997), J.P. Tod's (publicité en anglais
non traduite, le 19 mai 1997, Paris IXe), ou encore
Méphisto (publicité avec des expressions
anglaises traduites en caractères minuscules, constatée
le 17 juin 1997, Paris XVIIe). Mentionnons aussi les
inscriptions sur les vêtements, maillots, etc. pour enfants
ou adolescents : un simple pointage dans les catalogues de
vente par correspondance de La Redoute ou des Trois
Suisses montre que 90% de ces vêtements ont au moins
une inscription, et que celle-ci est à 90% en langue anglaise.
Il est aisé de venir dire ensuite que " les jeunes
demandent de l'anglais ". Ils demandent surtout ce qu'on
leur offre de façon quasi monopolistique.
Pour ce qui concerne les produits cosmétiques,
quelques exemples sont significatifs : indications en anglais
sur des produits de la marque Helena Rubinstein, constatées
dans Le Figaro Madame du 22 mai 1997), publicité
Paco Rabanne non traduite (" Just smell it ",
vitrine de la rue Félibien, constatée le 11 août
1997), message publicitaire non traduit pour un parfum Chanel
(" the most treasured name in perfume ",
le 13 mai 1997), publicité non traduite de Calvin Klein
(dans Le Monde du 5 avril 1997).
L'horlogerie en général s'avère
un secteur particulièrement sensible comme en témoignent
les constats suivants : publicité pour les montres
suisses Tag Heuer en anglais, publicité en anglais
traduite en minuscule verticalement pour les montres Swatch
(le 25 février 1997), slogan publicitaire des montres Omega
non traduit (" The sign of excellence ",
le 7 juillet 1997), slogan des montres Longines non traduit
(" catch the spirit " dans Le Figaro
du 20 mai 1997) ou encore une publicité en anglais sur
TF1 pour les montres Titan (constatée le 27 mai
1997).
Le non respect des dispositions de l'article 2 constitue une infraction pénale sanctionnée de l'amende prévue à l'article 131-13 du nouveau code pénal (5 000 F maximum, 25 000 F pour une personne morale). Les violations de ce même article qui causent un dommage sont susceptibles d'engager la responsabilité civile de leurs auteurs et donc leur condamnation à des dommages-intérêts. |
Le secteur audiovisuel apparaît être relativement
sauvegardé de la déferlante américanolâtre,
puisqu'il existe un risque d'incompréhension du message
publicitaire. Toutefois une tendance à l'américanisation
des slogans et de l'environnement musical (chansons anglo-saxonnes,
onomatopées américaines), voire des messages publicitaires
sous-titrés en français, est d'ores et déjà
perceptible. (cf. chapitre sur l'audiovisuel.)
Concernant l'affichage publicitaire la dérive commerciale
anglomaniaque est forte. Il convient ici de mettre en garde les
annonceurs au regard d'une utilisation récurrente de slogans
publicitaires de langue anglaise, comme en témoigne celui
d'Alcatel " The hi-speed company ",
constaté en octobre 1997 et renouvelé en septembre
1998.
Le développement massif de tels procédés
est particulièrement difficile à juguler, dans la
mesure où les rapports entre la loi de 1994 et le droit
des marques sont éminemment complexes, permettant ainsi
toutes les dérives constatées sans risque juridique
important (cf. encadré ci-dessous relatif aux rapports
entre la loi sur l'emploi de la langue française et le
droit des marques).
L'emploi de la langue française et le droit des marques Il faut distinguer personnes publiques et personnes privées, ainsi que les notions d'enregistrement et d'emploi d'une marque. Les personnes morales de droit public et les personnes privées chargées d'une mission de service public dans l'exercice de cette mission : l'emploi d'une marque constituée d'une expression ou d'un terme étrangers leur est interdit quand il existe une expression ou un terme français de même sens approuvés dans les conditions prévues par les dispositions réglementaires relatives à l'enrichissement de la langue française (article 14). Cette prohibition vise l'emploi et non l'enregistrement de la marque lui-même. Les personnes physiques et morales non visées par l'article 14 : la loi de 1994 a pour but ici de mettre fin à une pratique des professionnels consistant à enregistrer un slogan avec la marque afin de le faire bénéficier de la même immunité. Dorénavant, si l'enregistrement avec la marque de mentions en langue étrangère reste possible, leur emploi ne l'est plus. Ainsi, un slogan étranger ne peut figurer dans une publicité que pour autant qu'il constitue la traduction d'un slogan en langue française. |
II- DES OBSTACLES INHÉRENTS AU SECTEUR MARCHAND
Trois obstacles principaux à l'application rigoureuse
de la loi, dans ce domaine, doivent être discernés :
Évolution du paysage linguistique urbain : le cas
de Paris :
L'impression forte que l'on ressent en circulant dans certains
quartiers de Paris est que certains quartiers perdent peu à
peu l'usage du français dans l'affichage des messages,
publicitaires ou non, commerciaux ou d'orientation, destinés
au public (chalands, usagers de services divers ou simples passants).
Certains ont même pu dire, non sans quelque goût de
la provocation, qu'il y avait plus d'inscriptions en anglais à
Paris actuellement que d'inscriptions en allemand en 1941. L'anglo-américain
n'est d'ailleurs pas seul en cause : l'ethnicisation
excessive de certains quartiers parisiens conduit à faire
disparaître l'affichage commercial en français au
profit d'autres langues (chinois et arabe notamment). Ceci peut
d'ailleurs s'interpréter comme le signe d'une mauvaise
intégration de ces populations si on se réfère
à l'histoire de l'immigration polonaise ou portugaise,
qui n'a presque jamais conduit à l'implantation des langues
concernées dans le paysage urbain français.
Quoiqu'il en soit, nous avons voulu en avoir le cœur net
et nous donner les moyens de mesurer dans le temps l'évolution
des choses en ce domaine. En 1996, nous avons donc confié
à deux jeunes étudiants (l'un américain et
l'autre français) la tâche d'un comptage exhaustif
de l'emploi des langues étrangères dans l'affichage
de rue.
Ont été prises en compte : les enseignes commerciales,
les publicités commerciales (vitrines de magasins ou espaces
publicitaires publics), les informations publiques et privées
de caractère non commercial (orientation et informations
à caractère général).
Les deux itinéraires observés ont été
les suivants : l'itinéraire République - Place
Charles-de-Gaulle (en passant par l'Opéra, la Madeleine
et les Champs-Élysées) et l'itinéraire République
- Gare de Lyon (en passant par la Bastille et le boulevard Beaumarchais).
Les résultats sont les suivants :
1 République - Charles-de-Gaulle :
- Nombre d'enseignes commerciales (marques ou raisons sociales) :
416
répartition selon la langue :
français | ||
anglais | ||
autres | ||
français-anglais | ||
français-autres |
- Enseignes commerciales hors marques : 69
français | |
anglais | |
autres |
- Publicités en devantures de commerces : 100
français | |
anglais | |
autres | |
français-anglais |
- Publicités sur espaces publics : 167
français | |
anglais | |
autres | |
français-anglais |
- Informations à caractère général :
403
français | ||
anglais | ||
autres | ||
français-anglais | ||
français-autres |
2 République - Gare de Lyon :
- Nombre d'enseignes commerciales (marques ou raisons sociales) :
451
- Répartition selon la langue :
français | ||
anglais | ||
autres |
- Enseignes commerciales hors marques : 180
français | |
anglais | |
autres | |
français-anglais | |
français-autres |
- Publicités en devantures de commerces : 179
français | |
anglais | |
autres | |
français-anglais | |
français-autres |
- Publicités sur espaces publics : 102
français | |
anglais | |
autres | |
français-anglais |
- Informations à caractère général :
398
français | |
anglais | |
autres | |
français-anglais | |
français-autres |
Quelles conclusions tirer de ces résultats ?
L'impression d'une forte anglophonisation du paysage urbain
parisien n'est que partiellement fondée. Elle résulte
essentiellement de deux facteurs : ce sont surtout les marques
commerciales qui sont anglophones (y compris pour les produits
et les services français) et ce sont les plus connues et
les plus voyantes.
De même, cette impression résulte aussi d'un usage
intensif d'anglicismes dans le langage publicitaire (show-room,
package, fast-food, etc.) Ces aspects qualitatifs
conduisent donc à nuancer en négatif des chiffres
par ailleurs plutôt rassurants compte tenu du caractère
très touristique de ces itinéraires. Certains établissements
touristiques de la Bastille et des Champs-Élysées
s'affichent du reste complètement en anglais (y compris
les informations à caractère général
comme " open " (ouvert), " inside "
(intérieur), " push " (poussez),
etc.) De tels abus (élimination totale du français)
méritent donc d'être dénoncés. Il importe
aussi de voir comment cette situation évoluera à
l'avenir.
III - NOUVELLES MENACES
Il est également nécessaire de prendre en compte une nouvelle menace qui se dessine dans le domaine de la consommation. Cette menace vient de l'Union européenne et de sa réglementation proliférante dans les domaines de l'agro-alimentaire et de la santé. Sous couvert d'uniformisation, des directives de tous ordres apparaissent, uniformisant certes mais de plus en plus souvent en tordant et en mutilant la langue.
En effet, l'administration européenne se permet de modifier
la définition de certains des mots pour des motifs d'uniformisation
des normes. Ainsi par injonction d'une directive européenne,
on peut désormais tromper le consommateur en lui vendant
sous la dénomination " coquille Saint-Jacques "
ce qu'on a toujours appelé en français des pétoncles
(chlamys varia ou chlamys opercularis), alors que le
terme coquille Saint-Jacques a toujours désigné
en français le pecten maximus, nettement plus gros
et meilleur ; il en est de même pour la définition
du chocolat, puisque la Commission souhaite autoriser, cédant
à la pression des grands industriels, la vente sous ce
terme de produits contenant des matières grasses végétales
en lieu et place du beurre de cacao.
Ce sont généralement les tenants du tout anglais
qui, arguant qu'on ne " modifie pas la langue par
décret ", refusèrent naguère
qu'on impose une terminologie pour faire barrage aux anglicismes,
qui néanmoins applaudissent des deux mains cette novlangue
digne d'Orwell, dès qu'il s'agit de l'injonction d'intégration
européenne...
En outre, un gouvernement récent laissa passer une directive
européenne sur les cosmétiques, violant la Constitution
et la loi du 4 août 1994, qui impose que les compositions
soient désormais indiquées dans un sabir à
base de latin et, dès que le latin est démuni, présentant
l'anglais comme la seule langue recevable. C'est ainsi que l'on
peut désormais voir sur des emballages de savon des termes
comme glycerin au lieu de glycérine, sodium
chloride au lieu de chlorure de sodium, lanolin
alcohol au lieu d'alcool de lanoline, etc. C'est le
français comme langue scientifique que l'on assassine.
Cette directive, qui doit donc être rejetée comme
inapplicable en France puisque contraire à l'article 2
de la Constitution, est d'ailleurs à rapprocher d'autres
évolutions en cours.
C'est ainsi que la Fédération internationale de
l'Anatomie a lancé à Sao Paulo en 1997 une Nomina
anatomique de Sao Paulo remplaçant toutes les nomenclatures
déjà approuvées dans le monde de la science
anatomique depuis plus d'un siècle et où seuls le
latin et l'anglais ont droit de cité. Nous n'avons pas
ouï dire que les autorités françaises aient
réagi. De même, le latin botanique s'est vu " épuré "
récemment des ligatures (lettres liées formant un
caractère unique : æ, œ) : à
la suite d'une proposition utilitariste anglo-saxonne, il a été
décidé qu'elles ne devaient pas être utilisées
pour les noms de plantes et organismes assimilés (Tokyo,
1993). Dans la version précédente du Code international
de nomenclature botanique (Berlin, 1988) on avait évacué
autoritairement le français, qui était jusqu'à
cette date une des langues officielles du Code (et la langue d'origine
du Code). En 1999, pour la prochaine édition, il est prévu
la suppression totale du latin, lequel sera remplacé par
l'anglais y compris pour le nom des organismes vivants !
Désormais, lorsqu'on voudra être précis, par
exemple dans les flores françaises, il faudra employer
non plus Pinus cembra pour l'arole, mais " arolla
pine ", l'amanite tue-mouche sera désormais
désignée par " fly agaric "
au lieu d'Amanita muscaria, etc.
Ainsi est créée une langue prioritaire : l'anglais,
ainsi qu'une langue nationale hybride n'ayant d'existence que
par rapport à la langue anglaise dont elle ne serait qu'un
pâle décalque pour attardés nationaux. Ces
nouvelles définitions de mots laissent la porte ouverte
à tous les abus à l'encontre du consommateur.
Cette attaque contre la langue permet, sous couvert de rationalisation,
la mise en place d'un système profitant au gros commerce
international. Par ce biais, tout est permis ! Le laisser-faire
et le laisser-passer économiques sont ainsi mis en oeuvre,
correspondant au principe général et semble-t-il
sacré qui conduit l'Union européenne : la liberté
totale de commerce, avec de rares exceptions liées à
la santé et la sécurité publique.
Il est nécessaire de préciser que ces restrictions
jurisprudentielles relatives à la sécurité
et à la santé sont dues à la notion de langue
facilement compréhensible développée par
la Cour de justice des communautés européennes et
n'existent que parce qu'aucune langue unique n'est imposée
par l'Union.
En effet pour arriver à cet objectif de liberté
totale du commerce européen mais aussi mondial par le truchement
des accords internationaux, il est nécessaire d'une part
de tendre vers un sabir unique, l'anglo-américain et, faute
de mieux dans l'immédiat, de ravager la langue française
pour lui donner un aspect plus malléable et moins précis,
à l'image de l'anglais relâché développé
par les institutions européennes et internationales.
Ce danger est réel et insidieux, car c'est sous couvert d'harmonisation et de commodité que ce système destructeur de la langue est mis en place avec de lourds moyens de propagande ; c'est le 1984 d'Orwell que les eurocrates mettent en oeuvre.
Le citoyen, le consommateur de base, sera, lui, placé devant
le fait accompli. Par manque de temps, d'information claire, celui-ci
tombera dans le panneau de désignations trompeuses mais
légales.
" CLÉONTE - Bel-men.
COVIELLE - Il dit que vous alliez vite avec lui vous préparer
pour la cérémonie, afin de voir ensuite votre fille,
et de conclure le mariage.
MONSIEUR JOURDAIN - Tant de choses en deux mots ?
COVIELLE - Oui, la langue turque est comme cela, elle dit beaucoup
en peu de paroles.", Molière, Le Bourgeois gentilhomme,
Acte IV, scène V.
C'est donc en ce domaine aux représentants du peuple français
d'agir, mais également aux organisations non gouvernementales
de tous ordres d'entrer en action.
IV- LES ACTIONS À MENER
1/ Le Bureau de vérification de la publicité
(B.V.P.)
Il convient de souligner le rôle du B.V.P. auprès des professionnels. Le BVP donne à la demande des annonceurs et des agences de publicité des avis. Pour la télévision, son avis est obligatoire.
Le BVP, association professionnelle de régulation, a une
action positive mais toujours en retrait par rapport à
l'application de la loi du 4 août 1994. Le respect du français
n'est pas son objectif prioritaire. C'est pourquoi, il apparaît
nécessaire d'assurer la présence des consommateurs
et des associations de défense de la langue française,
en développant le rôle et la compétence de
la commission de concertation qui, sous l'égide
du BVP, permet déjà une concertation entre des associations
de consommateurs et des publicitaires adhérents.
2/ La Direction générale de la Concurrence,
de la Consommation et de la Répression des fraudes (D.G.C.C.R.F.)
Les actions d'information et de sensibilisation des professionnels menées par la D.G.C.C.R.F. sont en progression. Néanmoins, une concertation accrue devrait être mise en oeuvre entre cette direction et les associations agréées pour exercer les droits reconnus à la partie civile dans certains litiges liés à la loi de 1994, et notamment l'article 2. Près de 15 000 entreprises ont été vérifiées depuis la loi de 1994 dont près de 8 000 en 1997.
Il convient également d'inciter les services déconcentrés
à mener de façon systématique une sensibilisation
auprès des directeurs de grandes surfaces notamment. Il
nous paraîtrait judicieux d'inciter l'ensemble des associations
à travailler davantage en coordination avec ces services
déconcentrés, dont la nature même (de par
leur proximité du citoyen) est favorable à la protection
de la langue française.
3/ La relative écoute des supports publicitaires
et la demande d'information des entreprises
On se doit ici, en premier lieu, de mettre en exergue la bonne
écoute des principaux supports publicitaires que nous avons
pu rencontrer tels que Le Figaro ou Le Monde et
avec lesquels nous avons pu constater que nous avions la même
interprétation de la loi de 1994 dans le domaine publicitaire,
ce qui n'empêche pas ces organes de presse de continuer
à accepter des publicités illicites.
Il faut, en second lieu, souligner que l'attention portée
par certaines entreprises à l'égard de la loi de
1994 est de plus en plus soutenue. Si l'on peut déplorer
que ces entreprises soient mal informées à son sujet,
il convient de se réjouir cependant lorsque celles-ci n'hésitent
pas à nous contacter pour mieux prendre connaissance de
la législation et de l'interprétation que notre
association lui donne, comme en témoignent les demandes
des entreprises Cake Walk ou Air France.
4/ Nécessité de la mise en place de groupes
de pression auprès de la Commission européenne
Même si la notion de groupe de pression est une notion détestable
à beaucoup de Français, il est nécessaire
de prendre en compte la réalité des rapports de
force européens et d'adapter nos moyens aux objectifs souhaités.
Pour ce faire, il est indispensable que les chefs de file français
de l'industrie et du commerce, les syndicats professionnels ainsi
que les consommateurs prennent conscience que le maintien de la
langue française est synonyme du maintien des spécificités
françaises, tant économiques que sociales et culturelles
et qu'en conséquence ils agissent en ce sens auprès
de la Commission européenne et des autres organismes européens.
Les associations de promotion et de défense de la langue
française doivent intervenir pour alerter les acteurs économiques,
sociaux et culturels des enjeux en cause.
|
Trois ordres de questions essentielles sont au centre de nos préoccupations :
Certes, en France, on continue à travailler la plupart
du temps en français. Toutefois, l'emploi obligatoire de
l'anglo-américain progresse rapidement et le français,
langue de travail, recule sensiblement dans certains secteurs
professionnels, pour certaines catégories socioprofessionnelles
plus que pour d'autres et dans certaines régions plus que
dans d'autres.
Pour l'avenir, les perspectives ne sont guère encourageantes :
la pression de l'anglo-américain paraît s'accroître
avec l'internationalisation de l'économie française ;
loin de réagir et de profiter de leurs bonnes performances,
les entreprises françaises paraissent fréquemment
enclines à céder à la pression de l'anglais
quand elles n'encouragent pas elles-mêmes son emploi en
France même ; la législation linguistique du
travail est faible (voir en encadré ses principales dispositions)
et le ministère du travail semble fort peu mobilisé
pour la faire respecter (moins de 10 procès-verbaux par
an à notre connaissance et uniquement sur les offres d'emploi).
Le monde ouvrier et administratif assez peu qualifié qui
travaille dans les secteurs ouverts à l'international apparaît
le plus menacé dans ses droits au français comme
langue de travail.
Toutefois, il semble que tout dernièrement une certaine
résistance du monde du travail français commence
à émerger et que l'emploi extensif de l'anglo-américain
commence à y être mis en question. L'exemple de l'affaire
RANK XEROX (voir ci-après) semble révéler
un signe encourageant à cet égard.
Ce bilan très général et globalement négatif
nécessite quelques explications, illustrées par
des exemples significatifs pour justifier son contenu et en nuancer
la portée.
Principales dispositions de la loi du 4 août 1994 concernant le travail et l'emploi (articles 8 à 10) : " Le contrat de travail constaté par écrit est rédigé en français. " Lorsque l'emploi qui fait l'objet du contrat ne peut être désigné que par un terme étranger sans correspondant en français, le contrat de travail doit comporter une explication en français du terme étranger. " Lorsque le salarié est étranger et le contrat constaté par écrit, une traduction du contrat est rédigée, à la demande du salarié, dans la langue de ce dernier. Les deux textes font également foi en justice. En cas de discordance entre les deux textes, seul le texte rédigé dans la langue du salarié étranger peut être invoqué contre ce dernier... " L'employeur ne pourra se prévaloir à l'encontre du salarié auquel elles feraient grief des clauses d'un contrat de travail conclu en violation du présent article. " " Le règlement intérieur est rédigé en français. Il peut être accompagné de traductions en une ou plusieurs langues étrangères. " " Tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire à celui-ci pour l'exécution de son travail doit être rédigé en français. Il peut être accompagné de traductions en une ou plusieurs langues étrangères. " Ces dispositions ne sont pas applicables aux documents reçus de l'étranger ou destinés à des étrangers. " " Les conventions et accords collectifs de travail et les conventions d'entreprise ou d'établissement doivent être rédigés en français. Toute disposition rédigée en langue étrangère est inopposable au salarié à qui elle ferait grief. " " Lorsque l'emploi ou le travail offert ne peut être désigné que par un terme étranger sans correspondant en français, le texte français doit en comporter une description suffisamment détaillée pour ne pas induire en erreur ... " " Les prescriptions des deux alinéas précédents s'appliquent aux services à exécuter sur le territoire français, quelle que soit la nationalité de l'auteur de l'offre ou de l'employeur, et aux services à exécuter hors du territoire français lorsque l'auteur de l'offre ou l'employeur est français, alors même que la parfaite connaissance d'une langue étrangère serait une des conditions requises pour tenir l'emploi proposé. Toutefois, les directeurs de publications rédigées, en tout ou partie, en langue étrangère peuvent, en France, recevoir des offres d'emploi rédigées dans cette langue. " |
Ce qui frappe, en tout premier lieu, est l'établissement
d'un " climat " ou plutôt d'une " pensée ",
qui tend à devenir dominante sinon unique, selon laquelle
l'anglo-américain aurait vocation à devenir un élément
obligé de la qualification de tous les salariés
qui veulent réussir une carrière et leur intégration
dans le monde internationalisé des entreprises gagnantes.
Il ne s'agit pas seulement de l'anglais comme langue de travail
et de communication internationale " en tant que de
besoin " mais aussi de l'anglais comme langue dans la
vie quotidienne des entreprises françaises, voire comme
langue " officielle " de ces entreprises.
Déjà en septembre 1991, la revue " L'Usine
Nouvelle " (n° 2331, pages 87 et suivantes) titrait
ainsi un de ses articles : " Pas facile d'imposer
l'anglais comme langue officielle (des entreprises françaises) ! "
Telle est l'ambition des entreprises suivantes citées dans
cette revue : GEC-ALSTHOM, SCHLUMBERGER, CAP-SESA et même
une P.M.E. de 150 personnes comme TECHNOMED INTERNATIONAL qui
se vantait d'imposer l'anglais comme langue de communication orale
entre tous ses salariés de pure souche française.
Depuis 1991, et surtout depuis 1994, c'est-à-dire depuis
le début de notre observation organisée, nous disposons
d'informations qui attestent l'usage croissant de l'anglo-américain
comme langue de travail de l'entreprise imposée aux
salariés francophones en France et en dehors de tout échange
avec des locuteurs anglophones. Les cadres sont les premiers
concernés, mais les catégories intermédiaires,
voire les personnels d'exécution sont désormais
atteints.
Voyons plutôt :
Dans notre prochain rapport nous compléterons après vérification (qui n'a pu être faite à ce jour) la liste des principales entreprises françaises qui pensent promouvoir leur compétitivité internationale avec ce genre d'hommage hautement symbolique à la langue anglo-saxonne.
Certaines annonces réservent les emplois offerts aux seules personnes qui justifient avoir l'anglais comme langue maternelle (" native language "). On frôle ainsi la discrimination ethnique. En tous les cas, le fait est établi : la préférence anglophone existe en France et s'affiche en bonne conscience.
" Marc Lassus qui a donné l'ordre
à ses employés français de parler anglais
au travail, embauché des cadres américains et déclaré
la guerre aux syndicats français ainsi qu'à l'État-providence,
" déclare que " le modèle à
adopter en France est américain, et non français ".....
S'inspirant de monsieur Lassus, un de ses directeurs,
monsieur Laurent de R***, " rappelle que Monsieur
Lassus l'a fait parler anglais pendant la moitié de son
entretien d'embauche ". L'anglais est si prégnant
que le site Web de la compagnie comporte à peine une page
de français. Même les employés temporaires
doivent être bilingues. " S'ils ne parlent pas
anglais, je ne veux même pas les voir " dit monsieur
de R***. À un ingénieur français qui
parle seulement français, monsieur Lassus dit " je
vous prie d'apprendre l'anglais, c'est comme si vous n'aviez pas
votre permis de conduire ".
Du reste l'anglais ne suffit pas. GEMPLUS exige
l'emploi " des idiomes américains en accord avec
le style de la Silicon Valley ".
Quant aux ouvriers français, M. Lassus a pour eux beaucoup
d'indulgence et leur délivre pour conclure des paroles
d'une rare élégance ; " Ce sont de
braves gens. Mais ils ont besoin d'être bousculés.
Le système français les a pollués ".
Nous ne ferons pas injure aux Américains en leur souhaitant
la prochaine naturalisation américaine de M. Lassus. Ils
ne méritent pas une telle infamie.
1-2 - Les premiers signes de résistance
Ils nous sont venus de la fédération des services
CFDT qui a déposé une plainte à l'Inspection
du Travail de Saint-Ouen contre les agissements de la société
RANK XEROX consistant à imposer à ses techniciens
l'usage de notes techniques en anglais (sans traduction) dans
l'exercice de leurs fonctions et, plus encore, l'emploi de l'anglais
dans les actions de formation professionnelle continue. À
la clé de ce système : des tests systématiques
du niveau d'anglais de tous les techniciens de maintenance et
la perspective d'une exclusion de l'emploi de ceux qui n'auraient
pas le niveau requis ou qui se refuseraient à se soumettre
à ce diktat linguistique illégal.
Même problème et réactions semblables de certains
syndicats de l'entreprise EUROCOPTER à Marignane dont certains
délégués syndicaux entendent bien refuser
l'obligation que voudrait leur imposer la direction de cette entreprise
d'avoir recours à l'anglais dans les relations de travail
sur le site où sont produits les hélicoptères
d'un programme franco-allemand.
Ces réactions sont encourageantes et devraient avoir le
mérite d'ouvrir un vrai débat sur la question linguistique
en milieu de travail dans une économie européenne
de plus en plus intégrée et de plus en plus internationalisée.
Quel que soit l'arbitrage rendu entre les exigences linguistiques
des entreprises et le droit des salariés à travailler
en français, on ne pourra plus méconnaître
la réalité d'un vrai problème, ni la légitimité
de la revendication du droit à travailler en français.
De toute façon, ces réactions syndicales et ouvrières
font apparaître pour la première fois à notre
connaissance une volonté de résistance. Jusqu'à
présent, les multiples faits qui nous ont été
signalés ne nous étaient révélés
qu'avec la demande pressante des victimes de n'en pas faire état
publiquement et de n'intervenir en aucune façon :
la crainte de perdre son emploi ou de déplaire simplement
au patron l'emportait sur toute autre considération.
Pire encore, nous avons souvent constaté à quel
point de nombreux salariés intériorisaient la honte
que le discours d'entreprise dominant leur inculque de ne
pas connaître suffisamment l'anglais, cet attribut intrinsèque
de la modernité et de l'intégration sociale et culturelle
au monde qui gagne. Ce terrorisme intellectuel et moral, qui pousse
même parfois les salariés à l'excès
de zèle anglophone, est cependant et malheureusement encore
la situation la plus fréquente dans le monde du travail
français.
Ces premiers cas de résistance semblent donc montrer que
l'entreprise d'anglophonisation du monde du travail pourrait
buter sur un obstacle important : celui du noyau dur de la
classe ouvrière qui a encore des capacités d'organisation
collective et de défense de ses intérêts.
Malheureusement, un jugement rendu le 12 juin 1998 par le tribunal
d'instance de Saint-Ouen, a débouté la CFDT et les
associations agréées de défense de la langue
française de leur plainte contre la société
RANK XEROX en donnant une interprétation très extensive
des dispositions de la loi du 4 août 1994 qui font exception
à l'obligation de l'emploi du français dans les
documents de travail lorsque ceux-ci émanent de l'étranger.
Cette interprétation juridiquement très contestable
permet l'élimination du droit au français comme
langue de travail chaque fois que l'entreprise a une dimension
internationale, ce qui est une situation de plus en plus commune.
Les plaignants ont interjeté appel de cette décision
judiciaire.
1-3 Le cas du secteur public non marchand
Contrairement à ce que l'on pourrait imaginer a priori,
ce secteur n'est pas plus épargné et connaît
des situations souvent plus scandaleuses en ce qui concerne l'emploi
abusif de l'anglais comme langue de travail. L'exemple vient en
général du sommet de l'administration qui méconnaît
ainsi la circulaire du Premier ministre en date du 12 avril 1994
relative à l'emploi de la langue française dans
l'administration. Parmi les très nombreux cas qui nous
ont été signalés depuis 1994 (environ une
cinquantaine, uniquement en ce qui concerne les relations de travail),
nous ne citerons ici que les plus significatifs d'entre eux :
Rien d'étonnant dans ces conditions qu'un chercheur français
de Paris I et du CEPREMAP adresse alors en 1994 son curriculum
vitae en anglais à une grande administration française
pour répondre à son appel d'offres de recherche.
À la rubrique " language " (langues
pratiquées), le candidat indique : " English
and French ". On appréciera son souci de
faire savoir qu'il connaissait le français (il a sans doute
voulu suggérer qu'un Français n'a plus besoin de
connaître forcément cette langue de deuxième
ordre qu'est le français) et le fait que notre langue soit
mentionnée en deuxième position.
Certaines directions générales de la Commission
de Bruxelles (DGXIII en particulier) sont particulièrement
concernées par les infractions au règlement linguistique
européen. Or, l'administration française ne réagissant
pas comme il convient, l'obligation de l'emploi de l'anglais s'étend
de fait à un nombre sans cesse croissant de fonctionnaires
français de rang subalterne conduits à utiliser
les documents non traduits émanant des institutions européennes.
Nous n'avons observé au cours des deux dernières
années aucun signe tangible d'amélioration à
cet égard : Bruxelles fait toujours aussi peu d'efforts
et la haute administration française est toujours aussi
passive et résignée, sinon activement complice (voir
ci-après le chapitre Europe).
La marginalisation professionnelle guette ainsi tous les fonctionnaires
qui n'adhéreraient pas à cette logique d'anglophonisation,
qui affecte une part sans cesse croissante de l'administration
française.
2 - Conséquences et enjeux
Ce qui semble se confirmer au travers des faits signalés
ci-dessus est l'émergence d'une nouvelle fracture sociale
qui aurait pour origine le clivage qui se forme entre ceux qui
ont une connaissance approfondie de l'anglo-américain et
ceux qui, pour diverses raisons, n'accèdent pas à
la maîtrise de cette langue.
Ce qui paraît le plus inquiétant dans ce phénomène est la dynamique qui le sous-tend ; tout semble indiquer, en effet, que l'objectif collectif et plus ou moins conscient des entreprises et de certaines administrations ne se limite pas à l'institution d'un bilinguisme d'utilité exclusivement professionnelle et techniquement spécialisé, mais vise bien l'élévation de l'anglo-américain au rang de seconde langue d'usage courant en France, voire de seconde langue officielle de la République.
En faisant admettre progressivement cet objectif au nom de l'efficacité
économique, ses partisans espèrent ainsi justifier
l'enseignement obligatoire de l'anglais dans tout l'appareil scolaire
(de préférence dès la maternelle comme l'a
recommandé un jour monsieur Gattaz en son ancienne qualité
de président du CNPF).
De cette façon, le patronat français escompte non
seulement un apprentissage efficace, mais aussi la prise en charge
de son coût financier par la collectivité nationale.
Une telle stratégie est implicitement confirmée
par l'étude conduite par " Entreprise et Personnel "
en février 1994, intitulée " Formation
aux langues : exigences professionnelles et recherche d'efficacité
dans les entreprises ".
Bien évidemment, le pluriel du mot " langues "
est de pure forme, il ne s'agit en fait que de l'anglo-américain.
On retiendra de cette étude deux enseignements essentiels :
Il ne faut sans doute pas chercher ailleurs les causes du développement
fulgurant de l'anglais dans les enseignements généraux
de l'appareil éducatif français dès l'école
primaire. La dynamique ainsi instituée n'aurait-elle pas
d'autre limite logique que l'éviction du français
au profit de l'anglo-américain comme première langue
de la République, avec toutes les conséquences sociales,
culturelles et politiques que l'on imagine ?
Sans doute beaucoup, parmi les dirigeants, préfèrent-ils
demander à la collectivité nationale de payer le
prix exorbitant de sa participation à la construction de
la tour de Babel de la mondialisation anglophone plutôt
que de consentir le moindre effort en faveur du plurilinguisme
européen. Plutôt aussi que de rechercher un modèle
de développement économique et social qui préserverait
en même temps que la langue française nos équilibres
économiques, sociaux et culturels.
Le combat pour l'avenir de la langue française comme langue
de travail n'est-il donc pas en tout premier lieu un combat pour
un autre modèle de développement économique
et social, un modèle humaniste ?
Au delà des enjeux sociaux évoqués ci-dessus,
la prédominance de la langue anglaise dans le monde de
la production a pour conséquence la reconnaissance implicite
d'une supériorité de la créativité
et du savoir-faire anglo-saxons.
3 - Quelles actions conduire en priorité ?
Clamer des convictions ne suffit pas. Il faut également
faire prendre conscience de l'évolution en cours dans toute
son ampleur afin de susciter un véritable débat
public et mettre en évidence l'importance cruciale des
enjeux de l'avenir de la langue française.
À cet effet :
Au regard de ces divers objectifs, nous devons bien constater
que la réalité actuelle nous laisse loin du compte.
Un tel constat ne peut que renforcer notre détermination
à poursuivre notre action.
|
Si le français est la deuxième langue de communication
internationale, il faut néanmoins constater que l'internationalisation
de la recherche va de pair avec un emploi croissant, pour ne pas
dire quasi systématique, de l'anglais dans les domaines
scientifiques. Ainsi, non seulement on assiste globalement à
un net recul de l'usage du français, pour ce domaine, dans
le monde entier, mais ce recul est également et particulièrement
préoccupant pour ce qui concerne les scientifiques français
eux-mêmes.
Dès lors, quatre interrogations sous-tendent ici notre
réflexion :
Nous terminerons en donnant des exemples précis mais caractéristiques
des conséquences alarmantes du recul du français
en ces domaines, notamment sur le problème des brevets.
I- UNE PHOTOGRAPHIE RÉVÉLATRICE
En matière de recherche scientifique plus que dans tout
autre domaine, le travail d'observation ne peut être effectué
que par sondages, compte tenu de l'ampleur de la documentation
et des manifestations, de leur caractère mondial, mais
aussi de la modicité des moyens (humains et financiers)
dont a disposé Avenir de la langue française
pour réaliser cette étude.
Les observations effectuées ont donc été
limitées aux deux principaux moyens de communication scientifique
que sont les revues et les congrès. Ont ainsi
été étudiées, d'une part, les publications
de travaux considérés comme les plus importants
des chercheurs francophones entre août 1994 et février
1997 et, d'autre part, les pratiques suivies dans les congrès
médicaux qui se sont tenus en France en 1996.
1/ Les revues et les publications
Le champ d'application de l'article 7 de la loi du 4 août 1994, relatif aux droits linguistiques du lecteur de publications, de revues ou de communications, est particulièrement restreint : - il ne vise, d'une part, que les publications, revues, ou communications émanant des personnes morales de droit public, des personnes privées chargées d'une mission de service public et des personnes privées bénéficiant d'une subvention publique ; - il ne concerne, d'autre part, que les publications, revues
et communications diffusées en France.
Selon la lettre de l'article 7, qu'il s'agisse d'ailleurs de publications et de revues dites de " communication primaire " (qui présentent, systématiquement en anglais, un fait scientifique nouveau) ou de publications et de revues dites de " synthèse " (qui communiquent, dans plusieurs langues et à une audience plus large, les principales avancées scientifiques ou techniques récentes), il y a une obligation pour ces publications, communications et revues de comporter au moins un résumé en français. On peut dire qu'il s'agit ici d'une conception particulièrement minimaliste des droits linguistiques du lecteur averti. |
Les chroniques scientifiques du journal Le Monde (dont le choix se justifie par sa documentation et sa particulière attention à ce type d'informations) ont permis un " dépouillement " systématique des comptes rendus de revues scientifiques concernant les travaux des chercheurs francophones.
Sur 37 relevés, on constate que, quelle que soit
la discipline (celle de la biologie et de la médecine représentant,
à elle seule, 30 des 37 relevés), la parution
des comptes rendus des travaux de chercheurs francophones (24
Français, 1 Suisse, 1 Belge et 11 travaux effectués
en collaboration bilatérale ou multilatérale) s'est
faite pour 35 des cas dans des revues anglophones, à
une reprise dans une revue francophone et, une fois également,
de manière simultanée.
Malgré le caractère éminemment partiel de
ces sondages, leur signification est sans ambiguïté.
Deux remarques doivent être énoncées pour
aller au-devant de probables critiques.
D'une part, si Le Monde privilégie, pour mieux répondre
aux attentes de son lectorat, la recherche biologique et médicale,
cette " préférence " n'altère
pas pour autant la portée du sondage. Bien au contraire,
puisque les revues anglo-saxonnes apparaissent comme étant
quasiment les seules à publier les travaux les plus importants
des chercheurs français et francophones dans une discipline
où ils sont pourtant loin de jouer un rôle effacé.
D'autre part, l'objection selon laquelle les constats pourraient
être faussés, dans la mesure où ce journal
porterait tout naturellement une attention soutenue aux travaux
des chercheurs français et francophones, ne fait qu'apporter,
si l'on peut dire, de l'eau à notre moulin. En effet, si
cette présomption était fondée, elle ne ferait
que renforcer nos constatations précédentes.
2/ Les manifestations, congrès et colloques
Le champ d'application de l'article 6 de la loi du 4 août 1994 s'applique aux manifestations, colloques et congrès organisés en France par des personnes physiques ou morales de nationalité française. Ce sont les organisateurs effectifs de la manifestation qui sont visés. Ainsi, même si la réunion est organisée pour le compte d'une société internationale, dès lors qu'il y a un comité d'organisation en France, on considère qu'elle est organisée en France par des personnes physiques ou morales de nationalité française. La circulaire du 19 mars 1996 a clairement distingué les organisateurs des prestataires de services sollicités pour la logistique de la manifestation (hôtels, agence de voyage...) ; ces derniers n'étant pas considérés comme des organisateurs au sens où l'entend la loi. La loi impose donc trois obligations principales : - tout participant doit pouvoir s'exprimer en français ; - les documents de présentation du programme doivent exister dans notre langue ; - enfin, les documents préparatoires distribués aux participants ou publiés après la réunion (les actes notamment) doivent comporter au moins un résumé en français. Il importe de souligner, en outre, que si ce sont des personnes publiques ou des personnes privées chargées d'une mission de service public (les principales fédérations sportives, les ordres professionnels, Air France...) qui ont pris l'initiative de la manifestation, un dispositif de traduction (simultané, consécutif ou écrit) se doit alors d'être mis en place. |
S'agissant des congrès médicaux qui se sont tenus au cours de l'année 1996 sur le territoire français, comme le souligne le champ d'application de la loi de 1994, nos observations se sont fondées sur le Guide international des congrès médicaux 1996-1997.
Sur 370 congrès réels (c'est-à-dire
à l'exclusion des réunions " internes "),
243 réunions se sont tenues en français seulement,
70 en anglais seulement, 54 dans les deux langues. Ainsi,
300 congrès médicaux sur 370 se sont déroulés
conformément aux dispositions de l'article 6 de la loi
du 4 août 1994, tandis que 70 d'entre eux ont contrevenu
à ce texte.
Le non respect des dispositions évoquées est frappé de l'amende prévue à l'article 131-13 du nouveau code pénal (5 000F maximum, 25 000F pour une personne morale) et l'organisateur de la manifestation peut se voir obligé de restituer à la collectivité ou à l'établissement public les subventions dont il a bénéficié, s'il n'a pas respecté les dispositions de l'article 6. |
Au regard de ces résultats, il convient de souligner deux
paramètres non négligeables.
D'une part, ces constats (sans valeur véritablement statistique, mais dont la signification est extrêmement révélatrice) ne concernent que les congrès médicaux, pour lesquels la situation de la langue française semble un peu moins mauvaise que dans les autres disciplines.
D'autre part, si l'on sort du champ d'application de la loi du
4 août 1994, on pourra constater que, en ce qui concerne
les congrès tenus à l'étranger, la
situation est proprement catastrophique, comme en témoigne
l'étude de Fernando A. Navarro (Médecine-Science
en date du 12 novembre 1996).
II - LES ENJEUX
La tenue en France et souvent aux frais des contribuables français
de réunions et congrès où l'usage de notre
langue est pratiquement interdit choque à bon droit nos
compatriotes mais réjouit les scientifiques américains
et anglais, qui feignent de n'y voir qu'une commodité pour
tous, mais sont parfaitement conscients des avantages que cette
situation leur confère. En effet, ils ne pâtissent
pas des inconvénients que subissent les non anglophones
par la compréhension imparfaite de la langue qui leur est
imposée, et cette facilité les avantage dans le
choix des intervenants, puis dans les débats et finalement
dans les décisions adoptées selon des critères
largement linguistiques aux dépens des critères
purement scientifiques qui devraient seuls être pris en
considération.
Le monopole anglo-américain sur les revues scientifiques
moins apparent pour le grand public, comporte des conséquences
encore plus graves (relevées dans une étude réalisée
en 1995 par l'Association Avenir de la langue française),
que le cadre de cet ouvrage ne permet que d'évoquer sommairement :
a - Dans l'immédiat :
b - À plus long terme, les conséquences de
cette entreprise sans précédent historique de monopole
planétaire ne sont pas moins graves :
III - DES OBSTACLES INHÉRENTS AU MILIEU SCIENTIFIQUE
Beaucoup des acteurs ou des bénéficiaires (provisoires)
de ce système préfèrent éviter le
débat. Quant à ceux, décideurs scientifiques
ou politiques, qui reconnaissent la gravité du problème,
ils font valoir, souvent à juste titre, les obstacles auxquels
se heurtera toute action de résistance, notamment pour
ce qui concerne les congrès.
1/ L'état d'esprit de nombreux organisateurs et
des participants
Les contraintes qui découlent du respect à la lettre
de la loi expliquent aisément les réticences des
organisateurs. Cette résistance est d'autant plus forte
qu'il n'y a pas de véritable " demande "
du français de la part des participants à ces manifestations,
congrès ou colloques. En effet, le milieu scientifique
utilise habituellement l'anglais, aussi bien à l'écrit
qu'à l'oral, comme moyen de diffusion des connaissances.
En ce sens, des travaux très récents ou à
la pointe de la recherche, ainsi que la présence de chercheurs
étrangers dont la notoriété est forte impliquent
de facto l'emploi de l'anglais. Dès lors, beaucoup
de scientifiques ne voient aucune source de ségrégation
dans l'absence de notre langue : comme si cela allait de
soi, ils savent avant même de s'inscrire à telle
ou telle manifestation que l'anglais en sera la langue.
Enfin ces mêmes scientifiques entendent trop souvent ignorer,
volontairement ou non, les implications sociales et culturelles
de leurs travaux et de leurs méthodes. Dans un domaine
comme celui de la langue, il en résulte un conformisme
auquel n'échappent pas des esprits qu'on aurait pu espérer
plus sensibles aux problèmes généraux de
notre société et de notre civilisation ; c'est
ainsi que monsieur Claude Allègre, ministre de l'Éducation
et de la Recherche, vient de s'exprimer en anglais devant un millier
de chercheurs venus de 35 pays ! (8° Conférence
annuelle de géochimie de Toulouse - août 1998).
2/ L'inexistence d'organes de contrôle
Une des caractéristiques non négligeable de ce secteur
particulièrement hétérogène est l'absence
totale d'organisme qui ait à la fois une fonction de recensement,
de régulateur et de contrôle. Il est en effet extrêmement
difficile d'avoir de simples données statistiques sur les
manifestations organisées en France. De ce fait, il est
encore plus délicat d'obtenir de simples travaux d'observation
ou de contrôle sur les pratiques linguistiques au sein de
ces manifestations. Ainsi, contrairement aux domaines de la protection
des consommateurs (D.G.C.C.R.F.) ou de l'audiovisuel (C.S.A.),
aucune instance n'est à même de dresser, dans un
premier temps, un bilan de ces pratiques afin, dans un second
temps, d'y mettre des garde-fous.
3/ Les obstacles matériels
Il va de soi également que les contraintes imposées
par la loi ont un coût en matière d'interprétariat
(simultané ou consécutif) et de traductions écrites.
Les organisateurs, mais aussi les participants, avancent très
souvent l'argument qui consiste à dire qu'une manifestation
en anglais est préférable - même si elle est
condamnable - à l'absence même de manifestation.
Cependant, pour faciliter aux organisateurs le respect de leurs
obligations légales, les pouvoirs publics ont mis en place
depuis 1996 un mécanisme d'aide à la traduction
simultanée. Quelques dizaines de colloques ont été
aidés en 1997, mais la proportion reste relativement faible
et l'empressement des organisateurs encore limité, même
si cette initiative leur enlève une excuse commode pour
ne pas respecter la loi.
4/ La nature même des organisateurs de congrès
Une partie considérable des organisateurs de ces manifestations
appartiennent au secteur privé (telles que les associations
internationales ou les fédérations professionnelles)
ou gèrent ces manifestations pour le compte d'organismes
étrangers. Il est ainsi particulièrement difficile
d'informer ces organismes sur le contenu même de la loi,
ainsi que sur son application.
IV- LES MOYENS DE SURMONTER LES OBSTACLES ÉVOQUÉS
1/ Pour ce qui concerne les colloques, manifestations et congrès,
il faut oeuvrer dans différentes voies :
- il s'agit, dans un premier temps, d'avertir les organisateurs
français de manifestations qui ne paraissent pas conformes
à la législation de 1994 ;
- il faut, dans un deuxième temps, sensibiliser les
professionnels, notamment à l'occasion de l'octroi des
aides publiques destinées au soutien de ces manifestations,
ainsi que développer le dispositif d'aide à la traduction
simultanée ;
- dans un troisième temps, il appartient aux Pouvoirs
publics de mettre à la disposition des congrès scientifiques
un plus grand nombre de sites appropriés (comme le "Carré
des sciences") avec l'aide du ministère de l'Éducation
nationale, de la Recherche et de la Technologie, et aussi de développer
des incitations pour les organismes étrangers.
En tout état de cause, un contrôle sur le respect
de la loi dans la rédaction des documents préparatoires
est moins difficile à organiser qu'une surveillance des
débats proprement dits. Une procédure de dépôt
préalable de ces documents pourrait être prévue,
qui constituerait au minimum un premier signal envers les organisateurs
et les participants.
2/ Dans le domaine des revues, les solutions sont à la fois plus évidentes et plus exigeantes, puisque devant le monopole solidement organisé des revues anglo-saxonnes, la survie ou la création de revues indépendantes de ces intérêts à la fois universitaires, industriels et financiers suppose des initiatives et des soutiens financiers des pouvoirs publics pour des revues :
- existantes ou à créer,
- francophones ou réellement plurilingues,
- réalisées en collaboration éventuelle
avec d'autres États, notamment européens ou francophones.
On se bornera à signaler ici l'importance nouvelle prise,
en ce domaine comme en d'autres, par Internet et évoquée
dans un autre chapitre de cette étude.
Ainsi, les obstacles repérés ci-dessus pourraient
être raisonnablement palliés si le débat public
permettait aux citoyens de prendre la mesure des enjeux. Les objectifs
principaux qui viennent d'être esquissés ne sont
pas hors d'atteinte à la condition d'une réelle
prise de conscience des scientifiques et des pouvoirs publics
français, qui suppose elle-même une bonne information
des citoyens.
V - LE MONDE DES TECHNIQUES
Parmi les innombrables problèmes que le monopole linguistique
dans les sciences pose au niveau des applications techniques,
il faut citer celui des brevets devenus aujourd'hui le pain de
l'industrie, y compris les P.M.I. Or, depuis plusieurs années,
l'Office européen des brevets, relayé depuis peu
par certains membres de la Commission européenne, tente
de réduire au maximum la traduction des brevets dans les
diverses langues européennes, ce qui aurait pratiquement
pour effet d'imposer l'usage de l'anglo-américain, c'est-à-dire
de favoriser les laboratoires et les firmes anglo-saxons, et de
handicaper leurs concurrents, en particulier les PME principales
sources d'emplois potentiels. Malgré les arguments des
professionnels (notamment sur le coût élevé
d'un tel monopole en dépit de quelques apparences), certaines
administrations françaises ne semblent pas faire preuve
de toute la détermination nécessaire pour défendre
sur ce point nos techniques, nos entreprises et nos emplois contre
les pressions de certaines multinationales. Or, la décision
en cette matière ne relève pas de l'Union européenne
et le gouvernement français conserve toute sa liberté
pour opposer un refus définitif aux projets destructeurs
lancés par certaines firmes étrangères. Il
est impératif qu'il use de cette liberté pour sauver
notre capacité concurrentielle et nos emplois.
Dans le même ordre d'idées, une autre retombée
vient d'être constatée à l'occasion de l'introduction
en France du maïs transgénique. Sans se prononcer
sur le fond de la question, il faut noter que, parmi les irrégularités
de procédure relevées dans cette opération,
le dossier technique de NOVARTIS a été présenté
en langue anglaise. " Anecdote " qui montre
à la fois le mépris que nous vaut l'acceptation
d'une langue unique dans les domaines scientifiques et techniques,
et les risques qui en découlent, y compris sur le plan
de la santé publique.
Enfin, il faut signaler à cet égard les efforts
discrets mais persévérants menés, notamment
au niveau européen, pour remplacer la classification des
espèces en botanique et les nomenclatures anatomiques,
traditionnellement exprimées en latin ou en français,
par des termes anglais (voir plus haut, chapitre " consommation ").
Bien entendu, cette frénésie proprement totalitaire
comporte, comme toujours, des retombées d'ordre industriel,
par exemple dans le domaine des cosmétiques.
|
Trois secteurs, souvent liés les uns aux autres, vont être
abordés ici : celui du sport, celui de la télévision
et celui du multimédia. Trois domaines où le mot
" mondialisation " si galvaudé prend
tout son sens.
A - Le sport et la télévision
On peut d'abord se pencher sur la terminologie même employée
dans le milieu sportif. La création d'un sport (ou la volonté
de le moderniser, de le remettre au goût du jour) rime automatiquement
aujourd'hui avec la banalisation de l'anglo-américain.
Ainsi, on peut s'étonner d'appellations telles que beach
volley dont l'équivalent français volley
de plage paraît évident, ou snow-board,
sport de glisse précisément créé par
des Français, pour lequel planche-neige eût
été une création amusante. À l'heure
où ce dernier sport entre en compétition officielle
dans trois disciplines aux Jeux Olympiques d'hiver (le français
étant bien évidemment la langue de l'olympisme),
il semble légitime de s'insurger contre un tel abus de
langage.
La remarque vaut également pour les appellations des manifestations
sportives qui subissent une évolution notable dans les
microphones, sous l'impulsion des chaînes de télévision
et des présidents de fédérations sportives.
Ainsi, pour les tournois de tennis de Paris (Open de Bercy),
les internationaux d'Australie (Open d'Australie), de Flushing
Meadow (U.S. Open) ou nombreux tournois indoor,
comme les masters, qui réunissent chaque année
les meilleurs joueurs du classement de l'Association des Tennismen
Professionnels (A.T.P.) ou encore pour la Coupe de la Fédération,
équivalent féminin de la Coupe Davis, que les journalistes
sportifs semblent ne plus vouloir désigner, avec une unanimité
grégaire, que par Fed Cup.
La télévision étant le principal support
des manifestations sportives, elle est la première à
cultiver ces anglicismes et, de plus en plus, de nombreux affichages
télévisuels sont systématiquement en anglais,
précisément sous des prétextes de contrainte
internationale.
En effet, pour les coupes européennes de football, depuis
que M. Johannson a remplacé Jacques Georges à la
direction de l'UEFA, la Coupe d'Europe des clubs champions [1], qui
se déclinait jusqu'alors dans la langue du pays du match,
notamment pour les affichages sur l'écran, est devenue
totalement monoglotte : la Champions League. Même
lorsqu'un match a lieu en France, l'écran affiche player
in, player out, full time, etc., ce qui est
une infraction à la loi. Suite à une intervention
des associations auprès du CSA il y a trois ans, la situation
avait été rectifiée lors de la même
saison pour les rencontres organisées en France. Mais l'anglais
est revenu dès la saison suivante. Il est donc, à
tout le moins heureux que MM. J. Blatter et Michel Platini l'aient
emporté à l'élection à la FIFA sur
MM. Johannson et Pelé qui ne parlent pas un mot de français.
Il est bien évident que les auditoires gigantesques que
recueillent ces différents événements sportifs
ont un énorme enjeu, non seulement pour la publicité
de divers produits, mais aussi tout simplement pour la publicité
assurée à une langue, ainsi promue d'office par
quelques intrigants de couloirs " langue mondiale officielle,
gratuite, laïque et obligatoire ".
Il y avait donc des raisons d'avoir quelque inquiétude
avant le premier match de la Coupe du monde en France. Fort heureusement,
les noms des pays s'affichèrent en français [2], ce
qui permit au monde entier de percevoir, avec une audience cumulée
de 40 milliards de téléspectateurs, que le français
est une langue internationale. Il est certain que l'inverse eût
été proprement désastreux pour la Francophonie.
À l'occasion de la superbe Coupe du Monde que vient de
nous offrir l'équipe d'Aimé Jacquet et Didier Deschamps,
on a certes pu remarquer quelques petites fausses notes du fournisseur
de maillots (" Contrairement à plusieurs équipes
(le Maroc, mais aussi l'Iran, le Nigeria et la Bulgarie notamment)
dont les maillots portent la mention " Coupe du Monde
France 98 ", l'équipe de France arborait lors
de ses derniers matchs des maillots imprimés " World
Cup 98 ". ", le Canard enchaîné,
1/7/98) ou des services de l'Élysée qui auraient
pu trouver mieux qu'une chanson anglaise sans doute choisie par
la FIFA [3], mais on aura remarqué le respect de la double
traduction, par exemple au Stade de France - où tous les
panneaux présentent les informations en français
avec pour certains une traduction plus petite en anglais et en
espagnol, la double traduction étant même respectée
pour l'affichage de la marque sur l'écran du stade - ou
dans la station de métro qui dessert le stade.
De même, tant que M. Jean-Marie Balestre dirigeait la FIA [4],
les différents Grands prix de F1, que ce soit en France,
à Monaco, sur le circuit Gilles-Villeneuve au Québec,
à Imola, Hockenheim ou Estoril, affichaient les classements
et autres indications à l'écran dans la langue du
pays hôte, ce qui ne posait rigoureusement aucun problème
de compréhension. Il a suffi que M. Max Mosley, britannique,
arrive à la tête de cet organisme, il y a sept ans
- tandis qu'une autre Britannique, Bernie Ecclestone, préside
la FOCA [5] -, pour qu'aussitôt l'anglais devienne la seule
langue obligatoire (pit stop, 30 laps to go, winner,
...), même lorsque la course a lieu en France - ce qui est
une violation de la loi par TF1 - ou au Québec. Nous signalons
ici incidemment que nous n'avons toujours pas compris en quoi
partir en pole position signifiait quoi que ce soit de
plus que partir en tête.
En ce qui concerne le tennis, notons que le site Internet de Roland-Garros
propose une première page en anglais, que l'on a vu en
1998 des résumés tardifs sur France 2 dont
les affichages étaient bilingues, l'anglais venant avant
le français, enfin, pour l'anecdote, rappelons le cas de
ce journaliste de France Télévision au prénom
repris d'un amiral anglais qui aborde systématiquement
les sportifs en anglais, au point qu'après une finale il
aborda en anglais l'Espagnol Beratasegui, lequel parla ensuite
français au public. Mais les Guignols de Canal + ont déjà
pris en charge sa pathologie ...
Enfin, on a vu lors de toutes les dernières éditions
des Jeux olympiques que, quand bien même la place du français
fut respectée sur place à Atlanta, la seule langue
digne d'affichage à l'écran était la seconde
langue et non pas la langue officielle du CIO [6].
On se doit donc de dénoncer ces contradictions avec
la loi du 4 août 1994, ainsi que l'interprétation
strictement minimaliste de cette loi de la part du Conseil supérieur
de l'Audiovisuel (CSA). L'enjeu qui émane de ces constats
est d'autant plus grave que le public qui subit ces dérives
est souvent très jeune et parfois mondial. La jeunesse
de ce public entretient par là même un cercle vicieux,
puisque ce vocabulaire sportif anglo-américain vient à
se substituer oralement au vocabulaire français, ce qui
n'est pas véritablement de bon augure pour les générations
à venir.
Le Conseil supérieur de l'Audiovisuel (CSA) a reçu
de la loi du 30 septembre 1986 modifiée, relative à
la liberté de communication, l'obligation de veiller à
la défense et à l'illustration de la langue et de
la culture françaises (article premier). Le CSA est donc
responsable de l'application, dans le secteur de l'audiovisuel,
de la loi du 4 août 1994. Deux articles de cette loi
méritent une attention particulière :
- aux termes de l'article 12, l'emploi de la langue française est obligatoire dans l'ensemble des émissions et des messages publicitaires des organismes et services de radiodiffusion sonore ou télévisuelle, quel que soit leur mode de diffusion ou de distribution. La loi s'applique, par conséquent, à l'ensemble des chaînes de service public et des chaînes privées, aux chaînes nationales et locales, ainsi qu'aux chaînes cryptées, diffusées sur le câble ou par voie hertzienne. - l'article 13 (qui complète les articles 24, 28 et 33 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée) vise, quant à lui, la promotion de notre langue en obligeant les différents services audiovisuels à respecter la langue française et à assurer le rayonnement de la francophonie La loi de 1994 fixe néanmoins quatre exceptions :
- les oeuvres cinématographiques et audiovisuelles
en version originale ; À ces obligations s'ajoutent les quotas de diffusion de chansons d'expression française (loi du 1er février 1994) et des quotas de diffusion d'oeuvres francophones et européennes pour les télévisions (1990). Trois séries de sanctions sont prévues :
- des sanctions administratives (amendes, suspensions ou
retraits d'exploitation sur décision du CSA) ; |
Quant à la diffusion strictement nationale, il convient
de souligner des interprétations abusives de la loi du
4 août 1994. Ainsi en est-il de certaines publicités
télévisées dans lesquelles les protagonistes
parlent en langue étrangère alors que leurs propos
sont sous-titrés en français. La loi précise
pourtant que la publicité doit être en français,
même si elle peut s'accompagner éventuellement d'une
traduction en langue étrangère. Accepter que le
sous-titre puisse être considéré comme la
publicité en français et les dialogues leur " traduction "
relève d'une intention manifeste de détourner la
volonté du Législateur. Les exemples abondent pour
les chaussures de sport ou les boissons gazeuses et sucrées
de couleur brune.
De même, l'exigence de traduction " aussi lisible
et intelligible " qui est pourtant une innovation de
la loi de 1994 au regard de celle de 1975 - pour réprimer
les tentatives de détournement qui en avaient été
faites - n'est absolument pas respectée. On citera la publicité
de Pizza Hut qui affichait avec ostentation sur l'écran
le slogan Good friends, Great pizza, sous-titré
dans une police de caractère infiniment inférieure
par De bons amis - une bonne pizza, les voitures Smart
affichant Reduce to the max, la compagnie Swissair
affichant the world's most refreshing airline, ou les ordinateurs
Apple affichant Think different avec dans les trois
cas de minuscules traductions que nous n'avons pu déchiffrer
sur nos écrans.
Enfin, si la loi autorise que les publicités soient accompagnées
de chansons originales en langue étrangère,
c'est un abus manifeste que la pratique qui consiste à
réaliser des chansons en langue étrangère
tout exprès pour la publicité en question, chansons
dont le texte est souvent significatif et porteur de message publicitaire,
et cependant jamais traduit.
On peut également souligner l'appellation abusive (et contraire
à l'article 20 de la loi précitée) de créneaux
horaires en anglais, tels que Hollywood night ou Made
in America (T.F.1) qui ont pour vocation de diffuser des séries
américaines (follement original au regard du reste de la
programmation...) ou des émissions des chaînes jeunes :
Hit Machine, Hot forme, M6 kid, ... sur M6,
les mornings Fun, Fun VJ, Fun mix, Fun
zone sur Fun Tv (chaîne... française)
ou Good morning MCM, Maxi Dance, MCM Home video,
... sur MCM, par exemple. On se demande où est la promotion
du français dans tout cela. La chaîne MCM a d'ailleurs
lancé avec le soutien des institutions de la Francophonie
une chaîne musicale destinée à l'Afrique.
Non, elle ne s'appelle pas MCM Afrique, ce qui ferait un
peu ringard, mais MCM Africa, ce qui est beaucoup mieux,
comme la radio Africa n°1. On y trouve les émissions
suivantes : Africa video, MCM Africa club, Real Black,
Reggae roots,... On peut citer aussi, la création le
7 septembre 1998 de la chaîne spécialisée
dans les jeux vidéo Game One sur Canalsatellite.
Enfin, la chaîne de cinéma en noir et blanc Ciné
Cinéfil avait un nom qui sonnait encore un peu trop
français. On y a remédié le 1er
septembre 1998 : elle s'appelle désormais " Cine
Classics ". Le progrès est en marche.
Examinons les chaînes dites " européennes ". Les chaînes Euronews et Eurosport (contrôlée à 66% par T.F.1 et Canal+) voient leur écran régulièrement envahi par des affichages en anglais [7] non sous-titrés. Plus grave encore, dans certains départements français (comme l'Essonne), le décrochage d'Eurosport dans notre langue est inexistant et se fait alors en néerlandais ou en anglais.
Rappelons que la chaîne Euronews (de son vrai nom
la SOCEMIE, sise à Écully, Rhône) était,
jusqu'au rachat récent de 49% par ITN, une chaîne
française à travers la Générale Occidentale
et France Télévision, et qu'elle demeure régie
par le droit français de par sa localisation. Créée
dans la foulée du traumatisme occasionné par la
guerre du Golfe et CNN pour concurrencer cette dernière
(!), elle se rangea rapidement à l'anglophonie par défaut
pour les affichages les plus fréquents, hormis quelques
affichages plurilingues, même si les versions sonores existent
en cinq langues. La même politique hypocrite semble prévaloir
à Arte (Strasbourg), où, en dépit de la volonté
initiale de créer une chaîne " européenne
et culturelle ", la programmation anglo-saxonne revient
en force (Music Planet, Tracks,...)
Peut-on encore attendre une quelconque volonté de faire
respecter la langue française sur les télévisions
dès lors que notre pays s'est plié à l'interprétation
très contestable de la Cour de Luxembourg, contraire à
la lettre comme à l'esprit de la directive Télévision
sans frontières, en imposant de ne soumettre les chaînes
américaines qu'à une simple déclaration,
sans contrôle du contenu européen des programmes ?
Pis : la Commission européenne a annoncé lundi 7 décembre 1998 avoir saisi la Cour européenne de justice du différend qui l'oppose à la France à propos de cette directive.
" La Commission européenne a décidé d'introduire devant la Cour de Justice européenne un recours contre la France en application de l'article 169 du traité CE pour manquement à certaines dispositions de la Directive communautaire "télévision sans frontières", Directive 89/552/CEE du Conseil du 3 octobre 1989. La décision prise à l'encontre de la France relève d'une procédure d'infraction en cours depuis 1992." (service Midday express (sic !) de la Commission et dépêche IP/98/1067 du service Rapid)
Celle-ci, datant de 1989, est censée faciliter la diffusion
des programmes télévisés dans les pays de
l'Union , mais la Commission reproche à la
France de ne pas se conformer à la lecture qu'elle
en fait ; elle accuse Paris d'avoir enfreint la
directive en soumettant à des règles particulières
les diffusions par satellite d'émissions en langues étrangères !
Pour la diffusion par câble, la Commission reproche
à la France de n'avoir pas officiellement aboli son régime
d'autorisation préalable, même s'il a été
remplacé de facto par un régime de simple " déclaration "
préalable. La France est en outre accusée
d'ambiguïté dans sa définition des critères
utilisés pour soumettre à sa réglementation
nationale les chaînes étrangères câblées.
Et la Commission indique avoir décidé de
saisir la Cour européenne de justice parce que la France
n'avait pas modifié sa législation !...
Voilà le " nouvel ordre anglophone "
des cabris qui envisagent d'abolir la souveraineté française,
notamment en matière culturelle, où des " commissaires "
enjoignent à la France de modifier ce qui lui reste
de législation nationale, notamment celle protégeant
ce qui représente le mieux l'identité de la France :
sa langue.
Nous n'évoquerons pas ici la politique audiovisuelle extérieure
attristante de la France, dont les chaînes présentes
en clair sur satellite au-dessus de l'Europe se
comptent sur les doigts d'une main au profit d'une politique à
courte vue d'abonnement et de cryptage systématique réduisant
l'audience aux abonnés hexagonaux, alors que n'importe
quel Européen équipé d'une parabole reçoit
des dizaines de chaînes gratuites en anglais,
allemand, turc, ...
L'abandon récent de la CNN à la française
est à cet égard révélateur du manque
profond de volonté politique de ce côté, en
dépit de quelques déclarations volontaristes sans
lendemain dont la répétition n'abuse plus guère.
L'examen du traitement par les médias dits " internationaux "
(c'est-à-dire les télévisions et agences
d'images anglo-saxonnes) de certaines affaires récentes
où ceux-ci montrèrent leur pouvoir de désinformation
aux dépens de notre pays, aurait pourtant dû susciter
des réponses à la hauteur de la part de politiciens
responsables. La montagne accoucha d'une souris : un sous-journal
de France 2 sur TV5.
En conclusion, rappelons qu'il n'est pas dans l'objet de ce rapport de s'intéresser à la qualité du français à la télévision. On regrettera simplement d'entendre, par exemple, de plus en plus systématiquement que " la France a gagné par trois buts-T-à zéro ",... tout en nous réjouissant bien entendu du résultat !
B - Le multimédia
En ce qui concerne le hors ligne (ordinateurs et
logiciels non connectés), sa vulgarisation a engendré
de nets progrès en comparaison avec la période des
années 70 et 80 : les notices d'emplois des ordinateurs,
des logiciels de configuration ou d'installation existent dorénavant
en langue française à de rares exceptions pour les
matériels et logiciels les plus répandus.
Si l'on trouve encore des logiciels de jeux et de petits utilitaires
(partagiciels et graticiels [8]) distribués fautivement en
anglais, l'exigence de traduction semble avoir été
prise en compte par les plus grands éditeurs. Il est d'ailleurs
symptomatique de constater que pour les logiciels en téléchargement
gratuit sur Internet sur des sites américains, les versions
en diverses langues sont souvent proposées spontanément,
notamment sur les créneaux les plus concurrentiels (navigateurs,...
), les éditeurs ayant bien compris l'avantage concurrentiel
que leur donne la fourniture des différentes déclinaisons
linguistiques, sans même y être contraints par un
arsenal législatif.
En revanche, dès qu'il s'agit de domaines informatiques spécialisés, c'est une litote de dire que le français est peu présent. Les notices de telle carte d'extension, de tel périphérique de l'ordinateur, ou tel logiciel permettant la résolution de problèmes techniques, la gestion d'un réseau, etc. ne sont encore trop souvent pas traduits, contrevenant en cela à la loi. C'est d'ailleurs le cas des programmes d'amorçage (BIOS) des micro-ordinateurs familiaux, programmes qui permettent les réglages fins de configuration matérielle au démarrage de l'ordinateur. Quand la notice de trois pages existe en français, elle renvoie souvent à des explications plus poussées sur un fichier d'aide non traduit sur le disque, ou désormais souvent sur un site d'Internet. Celui de la FNAC (www.fnac.fr) propose d'ailleurs l'achat en ligne de divers logiciels en version anglaise.
On constate aussi, alors que les mots ordinateur et logiciel sont solidement implantés depuis longtemps, une profusion récente proprement pathologique de magasins spécialisés comportant " computer " ou " software " dans leurs enseignes et raisons sociales, boutiques généralement d'autant plus minuscules que le titre est ronflant. La présence d'un New generation computer rue ... Cambronne (Paris XVe) nous a ramené à la mémoire l'aisance avec laquelle le général aurait sans doute réglé son compte à ce boutiquier... La querelle récente entre CD-ROM et cédérom est, là comme ailleurs, l'arbre qui cache la forêt, même si le terme a d'ailleurs relativement bien " pris " dans le commerce, en dépit des rodomontades des anglomanes archaïques ; ce qui prouve au passage qu'un académicien [9] peut avoir un sens plus développé du génie naturel de la langue que de prétendus experts.
On pourrait enfin s'intéresser à l'usage de plus en plus recommandé par les enseignants de mathématiques du logiciel Maple (résolutions d'équations, etc.) qui n'est disponible qu'en anglais, tant pour les menus que pour les formules utilisées. Quand on voit les étudiants s'accoutumer, au pays de Pascal, Cauchy, Borel, Poincaré, Hadamard, Schwartz, Alain Connes, etc. à écrire sqrt pour " racine carrée " et sum pour " somme ", on ne peut que s'inquiéter pour notre langue dans un domaine où elle était encore " incontournable " il y a quinze ans à peine.
C - Internet
Concernant la présence de la langue française sur
Internet, domaine d'avenir, c'est volontairement que les associations
ont souhaité dès la fin de 1996, souligner l'importance
d'y appliquer aussi la loi. L'école américaine Georgia-Tech
Lorraine, installée à Metz, dont le site sur la
Toile (web) présentait des pages uniquement en anglais
en était un exemple révélateur. Même
si, pour des questions de procédure sans intérêt
ici, la Justice les a déboutées de leur plainte,
elle a bien pris garde de ne se prononcer que sur la forme et
non sur le fond. La réponse ne fait néanmoins pas
de doute ; l'école l'a bien compris, puisqu'elle fournit
désormais trois versions dont la française ;
on pourra aussi se reporter aux circulaires d'application prises
par Matignon pour l'application de la loi (cf. infra).
Nous allons néanmoins voir qu'il s'en faut encore de beaucoup
que la loi soit appliquée sur les sites français.
Il n'entre pas dans le cadre de ce rapport d'aborder l'ensemble
de la question de la présence de la langue française
sur l'Internet, vaste problème qui occupe de nombreuses
personnes et a fait l'objet de nombreux colloques, études,
rapports, congrès,... au point qu'on a pu un moment croire
que la France détenait au moins un record en la matière
et que de mauvaises langues en venaient à souffler que
si les mêmes personnes avaient consacré ce temps
à mettre en ligne du contenu francophone, le retard eût
été miraculeusement comblé. Les associations
que nous représentons sont pour leur part modestement présentes
sur la Toile depuis le début de 1996, et avant pour certains
de leurs membres.
Comme on lit et entend beaucoup de chiffres, anciens et modernes
confondus, sur la question, il n'est pas inutile de commencer
par fixer un peu les idées.
Une méthode d'approche pour l'identification du poids de
chaque langue est d'utiliser le moteur de recherche Altavista [10].
Celui-ci, qui a le répertoire le plus complet, identifie
en effet la langue de chacune des pages qu'il a recensées
- avec néanmoins quelques inévitables erreurs -
et permet de limiter ses recherches aux pages d'une langue spécifiée.
En demandant toutes les pages, on trouve immédiatement
l'ensemble des pages dans chacune des langues qu'il reconnaît.
Voici les chiffres obtenus le 18 octobre 1998 (le
total est un peu supérieur à la somme des chiffres
par langue car certaines pages ne voient pas leur langue reconnue
automatiquement ; les chiffres varient un peu au cours des
mois car le moteur, d'une part incorpore de nouvelles pages en
permanence et d'autre part élimine les pages périmées
ou les sites qui tentent d'attirer les lecteurs avec des pages
non significatives multipliant les mots clés) :
Total | 128 070 475 | néerlandais | 1 212 915 | hongrois | 190 346 |
anglais | 87 450 679 | coréen | 1 190 826 | grec | 113 715 |
allemand | 5 507 024 | chinois | 1 163 151 | estonien | 96 501 |
japonais | 3 835 136 | finnois | 878 532 | islandais | 80 379 |
français | 3 076 814 | danois | 833 686 | hébreu | 72 268 |
espagnol | 2 523 057 | norvégien | 813 667 | lithuanien | 32 990 |
italien | 1 861 607 | polonais | 750 540 | roumain | 26 971 |
suédois | 1 644 222 | russe | 546 392 | letton | 25 752 |
portugais | 1 355 650 | tchèque | 327 543 |
Si l'anglais n'est ainsi plus à 90% comme on l'entend encore,
mais désormais apparemment à moins de 70%, on constate
que le français ne brille guère, avec seulement
2,4 %, comme candidat au rôle de deuxième langue
internationale. La comparaison avec des études précédentes
montre que, s'il y a eu un rattrapage notoire en volume par rapport
à 1994-1995, certaines autres langues semblent avoir progressé
plus vite encore, d'où une présence relative aussi
modeste qu'alors.
La localisation des pages de chaque langue n'est pas chose aisée ;
en effet, nombre de sites ont une adresse qui identifie leur type
(.com, .org, .int, ...) et non leur position géographique ;
néanmoins, la majorité des serveurs européens
non commerciaux font usage du code à deux lettres de leur
pays. Il est ainsi possible de se livrer à l'étude
de la répartition des langues par pays, au moins pour ces
sites [11].
Voici la répartition observée le 18 octobre 1998
pour les cinq principaux pays européens :
|
|
|
|
| |
français | 1 036 457 | 10 812 | 22 011 | 8 700 | 17 921 |
anglais | 308 594 | 3 188 286 | 961 958 | 142 498 | 385 465 |
allemand | 9 833 | 6 439 | 4 134 670 | 4 700 | 17 870 |
espagnol | 5 198 | 5 278 | 8 152 | 597 963 | 7 065 |
italien | 1 772 | 2 507 | 2 951 | 1 501 | 1 354 486 |
Comme disent les préposés à l'assoupissement :
" le français se maintient comme deuxième
langue étrangère ". Une preuve de plus
- si cela était encore nécessaire - pour ceux qui
s'imaginent que " deux langues : le français
et l'anglais " est une solution d'équilibre !
Il est manifeste que lorsque la France ne soutient pas le pluralisme,
elle récolte en retour le mépris qu'ont semé
quelques-uns de ses fonctionnaires qui s'appliquent à ne
pas respecter l'article 4 (sur la double traduction) de la loi
de 1994. Il est bon de rappeler qu'il y avait plus de délégations
s'exprimant en français à la Société
des Nations en 1935 qu'en 1920 ; tout simplement parce que
la pente naturelle est de se rallier à une seule langue ;
ce nous fut alors bénéfique : ce n'est plus
le cas.
Lorsqu'on constate que sur les sites " .fr ",
le nombre de pages en anglais arrive à représenter
le tiers du nombre de pages en français, il est légitime
de s'interroger sur les principaux organismes fautifs.
En voici quelques-uns dans le tableau qui suit [12] (chiffres du 18
octobre 1998). Ces vingt " domaines " représentent
à eux seuls 87000 pages en anglais, soit près du
tiers de celles recensées ci-dessus. Pour certains, le
nombre élevé de pages en anglais traduit une politique
de traduction systématique, pour d'autres, il existe de
nombreuses pages en anglais dont l'équivalent français
n'existe même pas.
eurocontrol.fr | Eurocontrol (contrôle aérien) | Brétigny | 1095 | 19 |
insead.fr | école de gestion | Fontainebleau | 342 | 37 |
hotelweb | société de réservation d'hôtels | Paris | 3791 | 1028 |
cnes.fr | Centre nat. d'études spatiales | Paris | 1879 | 764 |
pasteur.fr | Institut Pasteur | Paris | 696 | 297 |
inria.fr | Inst. nat. De la recherche en informatique et automatique | Rocquencourt | 16274 | 11156 |
ratp.fr | RATP | Paris | 12449 | 11478 |
eerie.fr | école d'informatique | Nîmes | 2078 | 2136 |
cea.fr | Commissariat à l'énergie atomique | Paris | 1656 | 2322 |
ina.fr | Inst. nat de l'audiovisuel | Paris | 1618 | 2989 |
polytechnique.fr | école polytechnique | Palaiseau | 1124 | 2180 |
u-strasbg | université de Strasbourg | Strasbourg | 4731 | 9656 |
cnrs | CNRS | Paris | 4220 | 9146 |
enst.fr | école des télécommunications | Paris | 2322 | 5489 |
bnf.fr | Bibliothèque nationale | Paris | 792 | 1892 |
jussieu.fr | universités de Paris 6 et 7 | Paris | 8050 | 19510 |
inra.fr | Inst. nat. De la recherche agronomique | Paris | 3688 | 9580 |
bull.fr | Bull | Paris | 174 | 881 |
univ | universités diverses | divers | 19881 | 103379 |
gouv.fr | ministères divers | Paris | 490 | 21895 |
On constate ici la contribution du secteur public français
à la suprématie anglophone. Que certains serveurs
du secteur public souhaitent communiquer vers l'étranger
en faisant usage de diverses langues pour présenter notre
pays, ses institutions, son histoire, sa culture, ses réalisations
industrielles et scientifiques, son potentiel d'accueil touristique,
etc., qui y verrait à redire ? Il serait en effet dommage
de se priver de ce nouvel outil pour promouvoir l'image de la
France, vendre des produits et réalisations intellectuelles,
attirer les investisseurs et les touristes, etc. Il est donc parfaitement
normal que, par exemple, les serveurs du Premier ministre ou des
Affaires étrangères offrent des textes non seulement
en français, mais aussi en allemand, anglais et espagnol,
en espérant même qu'ils songent bientôt à
l'italien (comme le propose aussi l'École centrale), au
japonais , au chinois, etc.
Ce faisant, ils respectent la circulaire du Premier ministre du
15 mai publiée au Journal Officiel du 19 mai 1996 qui précise :
“ la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi
de la langue française impose aux administrations l'usage
du français dans la rédaction des écrans,
mais n'interdit pas une traduction en anglais à condition
de proposer également une traduction dans au moins une
autre langue étrangère. ”
On s'interroge en revanche sur la nécessité pour
de nombreux autres serveurs publics, ministères ou établissement
publics, conseils généraux ou régionaux,
mairies..., de systématiquement tout traduire en anglais,
et - violant la loi - dans cette seule langue, proposant parfois
la version anglaise " par défaut ",
quand ce n'est pas, pour certains laboratoires d'universités,
en omettant purement et simplement la version française.
C'est notamment le cas dès que ceux-ci travaillent sur
un quelconque " projet européen ",
l'argument incessant des avocats de la démission en matière
linguistique.
L'administration française concourt ainsi vaillamment avec
quelques grandes entreprises privées au renforcement de
la présence sur Internet de la " langue unique
du monde mondial ".
On saluera néanmoins le bel effort accompli par la Bibliothèque
nationale de France avec le serveur " Gallica "
(gallica.bnf.fr) qui met en ligne nombre de textes libres
de droits du siècle dernier. On se prend à espérer
que l'intégralité de la base " Frantext "
de l'Institut national de la langue française (www.ciril.fr/INALF/)
soit mise en ligne en accès libre et livre ses trésors
de vieux textes numérisés de grands auteurs au monde
francophone tout entier, et que de même le projet ARTFL
de numérisation de textes anciens conduit avec l'université
de Chicago soit doté d'une interface en français.
Saluons aussi les nombreuses initiatives privées, comme
l'Association des bibliophiles universels (cedric.cnam.fr/ABU/),
la Bibliothèque de Lisieux (www.bmlisieux.com) et
de nombreuses autres personnes qui ont numérisé
et mis en ligne divers trésors de notre littérature.
On peut appliquer la même méthode d'investigation
à divers organismes européens (le 18 octobre
1998):
ue.eu.int | Conseil de l'UE | Bruxelles | 152 | 83 |
europa.eu.int | Commision européenne | Bruxelles | 9543 | 9084 |
echo.lu | DG XIII | Luxembourg | 3868 | 275 |
cordis.lu | Service R & D | Luxembourg | 6815 | 299 |
ispo.cec.be | Société de l'information (DG III et XIII) | Bruxelles | 3031 | 108 |
jrc.org | Centre commun de recherche | 151 | 1 | |
eudra.org | Agence du médicament | Londres | 128 | 1 |
eea.dk | Agence de l'environnement | Copenhague | 1383 | 37 |
cedefop.gr | Cedefop | Thessalonique | 144 | 99 |
cor.eu.int | Comité des régions | Bruxelles | 62 | 10 |
curia.eu.int | Cour de Justice | Luxembourg | 30 | 43 |
eca.eu.int | Cour des comptes | Luxembourg | 146 | 142 |
eib.org | BEI | Luxembourg | 219 | 76 |
eur-op.eu.int | Office des publications | Luxembourg | 458 | 86 |
iue.it | Institut universitaire européen | Florence | 441 | 48 |
europarl.eu.int | Parlement européen | Strasbourg | 3047 | 2567 |
ecb.int | Banque centrale européenne | Francfort | 223 | 7 |
coe.fr | Conseil de l'Europe | Strasbourg | 3544 | 2869 |
ebu.ch | Union eur. de radio-télévision | Genève | 229 | 14 |
esa.int | Agence spatiale européenne | Paris | 524 | 5 |
weu.int | Union de l'Europe occidentale | Bruxelles | 76 | 118 |
nato.int | OTAN | Bruxelles | 4550 | 413 |
Voici enfin quelques organismes internationaux. On constate que
la localisation parisienne de certains ne les pousse guère
à traduire plus volontiers leurs pages en français.
un.org | Nations Unies | New York | 736 | 161 |
unesco.org | UNESCO | Paris | 2257 | 357 |
unicef.org | Unicef | New York | 1739 | 359 |
unicc.org | Centre international de calcul de l'Onu | Genève | 327 | 28 |
undp.org | FNUD | New York | 11406 | 505 |
unhcr.ch | HCR | Genève | 2391 | 533 |
fao.org | FAO | Rome | 7226 | 1950 |
ilo.org | BIT | Genève | 1731 | 519 |
itu.int | UIT | Genève | 11065 | 685 |
wipo.int | Org, Mondiale de la Propriété Intellectuelle | Genève | 403 | 229 |
upu.org | Union postale universelle | Berne | 48 | 0 |
who.ch | OMS | Genève | 750 | 324 |
worldbank.org | Banque mondiale | Washington | 9988 | 250 |
imf.org | FMI | Washington | 3078 | 21 |
oecd.org | OCDE | Paris | 3198 | 466 |
iccwbo.org | Chambre de commerce internationale | Paris | 456 | 6 |
wto.org | Org, mondiale du commerce | Genève | 776 | 309 |
fifa.com | Fédération int. de Football association | Zurich | 94 | 0 |
iso.ch | Org, internationale de normalisation | Genève | 3375 | 2126 |
La présence de quelques pages en français traduit
déjà une forme de progrès au regard de ce
qui se passait vers 1994 ou 1995. Les premières pages proposent
désormais souvent - mais pas toujours - l'accès
à un menu en français. Celui-ci a l'avantage de
pouvoir être montré au ministre ou au haut fonctionnaire
de passage inopiné devant un écran d'ordinateur,
lequel sera ainsi rassuré sur le respect dû à
notre langue. Mais souvent, dès la première page
passée, ou après deux ou trois niveaux en français,
on revient sur les chemins plus sûrs de la langue des élites
trilatérales et intercontinentales. Il ne s'agit donc souvent
que de " villages Potemkine " [13].
Pour ce qui est des forums de discussion [14] - qui constituent un
sous-ensemble d'Internet appelé Usenet -, leur caractère
territorial est encore moins marqué puisqu'ils sont distribués
pour bon nombre d'entre eux dans le monde entier et qu'un message
se retrouve en quelques secondes sur des milliers d'ordinateurs.
Les cas d'application de la loi y sont donc plus restreints qu'en
ce qui concerne la Toile (web). Le cas de la hiérarchie
francophone (forums commençant par " fr. ")
étant assez spécifique puisqu'elle est par définition
francophone et non seulement française, contrairement aux
hiérarchies nationales de., uk., etc. On peut néanmoins
signaler le cas du forum fr.emplois.offres, dont le " modérateur " [15],
informé du contenu de la loi par un membre du Droit
de comprendre, a spontanément modifié en 1996
la charte pour ne laisser passer que les offres en français
dès lors que le poste à pourvoir est en France (et
non pas dans d'autres pays francophones dépourvus d'une
législation similaire). Qu'il en soit ici remercié.
Les autres questions relatives à la présence et à l'usage de la langue française sur les forums de discussion et les listes de diffusion par courrier électronique sont trop nombreuses pour être évoquées ici en détail. Elles sont néanmoins d'une importance cruciale. Autant la Toile peut-être considérée comme un reflet de l'usage écrit d'une langue - éventuellement après traduction -, autant les deux modes de communication " à chaud " cités plus haut revêtent une importance plus grande encore pour le français " langue de travail ", et souvent méconnue même de la majorité des internautes occasionnels. Si l'on laisse accréditer, par exemple, l'idée qu'une seule langue serait acceptable sur les listes ou forums internationaux, scientifiques ou autres, nul doute que les conséquences en seront énormes. Ces listes et forums sont pourtant des outils de travail quotidiens pour des milliers de chercheurs, scientifiques et techniciens. Si un usenaute [16] francophone découvre qu'on lui propose fr.comp.os.linux.moderated comme forum modéré pour parler du système d'exploitation d'ordinateur Linux, nul doute que computing et computer ou operating system s'imposeront naturellement face à informatique et ordinateur ou système d'exploitation. Les listes et forums francophones restent encore trop peu nombreux dans bien des domaines.
C'est ainsi, par exemple, qu'un membre du Droit de comprendre avait bataillé et obtenu en 1995 que la charte du forum " international " talk.politics.european-union dont il était proposé la création n'interdît pas comme il était suggéré l'usage des langues autres que l'anglais et autorisât toutes les langues européennes, à défaut d'obtenir un nom plus neutre.
Les lecteurs plus intéressés par ces questions pourront en débattre sur la liste " modérée " france_langue@culture.fr de la DGLF ou sur le forum fr.lettres.langue.francaise [17] créé en avril 1998 à l'initiative d'un membre du Droit de comprendre.
Enfin, pour le courrier électronique, celui-ci relève
de la communication privée dans la plupart des cas. On
s'inquiète néanmoins de la profusion des sollicitations
et des messages commerciaux, souvent en langue étrangère,
dans les boîtes à lettres des personnes ayant divulgué
publiquement leur adresse, avec un volume n'ayant rien de commun
avec les quelques publicités du même ordre que peut
apporter le facteur.
Terminons sur un exemple optimiste qui illustre les services que
peut rendre ce nouveau mode de communication à la Francophonie
dans son ensemble. Un internaute québécois des plus
actifs dans la défense de la langue française dans
les nouvelles technologies et notamment dans les normes informatiques,
et fort justement promu récemment à ce titre chevalier
des Arts et Lettres, informa début novembre 1997 par courrier
électronique un membre du Droit de comprendre des
menaces pesant sur le statut de la langue française à
l'organisation internationale de normalisation, l'ISO. Celui-ci
put en informer en conséquence un des organisateurs du
sommet francophone d'Hanoï qui obtint que la question fût
évoquée, et celle-ci figure désormais dans
les résolutions. " Si tous les gars francophones
du monde veulent bien se donner la main ", les réseaux
électroniques peuvent devenir une force et non plus une
menace pour notre langue.
|
L'évolution de la situation dans le secteur public est
déjà examinée sous des angles spécifiques :
travail, Europe, audiovisuel et secteur scientifique.
Sur tous ces points nous renvoyons donc le lecteur aux autres
chapitres du présent rapport qui font mention de la situation
particulière du secteur public au regard du thème
considéré.
Il nous a paru important, néanmoins, de réserver
un chapitre particulier aux administrations et aux services publics
pour y faire figurer une appréciation générale
sur la situation dans ce secteur, y mentionner les règles
particulières qui s'y appliquent, relever les enjeux qui
s'y attachent et mentionner certains faits non relevés
par ailleurs.
- Les enjeux
Dans un pays comme la France, l'exemplarité de l'action
de l'État et du comportement de ses agents, notamment de
ses grands commis, est une évidence. L'exemple de l'État
est important, en premier lieu, au regard de l'autorité
même des lois qu'il édicte : quel crédit
leur accorder si l'État est le premier à s'en exonérer ?
En second lieu, du fait même que la langue est historiquement
une affaire d'État depuis l'Ordonnance de Villers-Cotterêts,
tout abandon auquel celui-ci se laisserait aller, notamment par
l'attitude de ses principaux serviteurs, serait immédiatement
interprété par l'opinion publique comme une dévalorisation
de son rang, de la fonction politique de la langue française
et comme le signal d'une acceptation de son recul.
Par ailleurs, la construction de l'Europe, l'internationalisation
croissante de nos échanges économiques et l'accroissement
continu du nombre de visiteurs étrangers en France, justifient
pleinement le développement de l'emploi des langues étrangères
dans notre pays. La tentation est grande alors de limiter cet
emploi à la seule langue étrangère réputée
universelle, c'est-à-dire l'anglo-américain, pour
des raisons d'économie et de simplicité. Une telle
pratique a pour effet mécanique de conforter au profit
de l'anglais son statut de langue universelle, de reléguer
le français au deuxième rang, et, par effet d'entraînement,
d'inciter les responsables des services les plus internationalisés
(les transports aériens, par exemple) à abandonner
purement et simplement le français. C'est ainsi que le
français a pratiquement cessé de devenir en France
même, une langue de construction de la pensée scientifique.
C'est pour conjurer ce risque que la loi du 4 août 1994
a finalement édicté l'obligation de la double traduction
dans les services publics.
- Les obligations spécifiques mises à la charge
des services publics et des administrations :
Ces obligations instaurées par la loi de 1994 concernent cinq domaines : - les traductions des inscriptions et annonces apposées ou rédigées par les personnes publiques ou exerçant une mission de service public dans les lieux ouverts au public doivent être effectuées dans au moins deux langues étrangères : - SNCF, RATP... - (article 4) ; - les contrats passés par ces personnes publiques, sauf exceptions prévues par la loi, doivent être intégralement rédigés en français (article 5) ; - les manifestations, colloques et congrès organisés par ces personnes doivent comporter un dispositif de traduction (article 6) ; - l'emploi d'une marque constituée d'une expression étrangère leur est interdit lorsqu'il existe un correspondant en français ; - enfin, les publications diffusées par ces personnes publiques en France doivent être accompagnées au moins d'un résumé en français (article 7). |
Les principales dispositions de la circulaire du 12 avril 1994 relative à l'emploi de la langue française par les agents publics :
|
Les constatations
Hormis les faits déjà signalés dans les chapitres
mentionnés ci-dessus, la situation constatée dans
certains services publics ou certaines administrations mérite
d'être relevée soit en raison de son caractère
particulièrement négatif, soit au contraire en raison
des efforts notables d'amélioration que nous avons pu enregistrer.
Dans les transports :
Il convient de saluer en premier lieu les efforts réels
de la RATP pour généraliser la double traduction
de la plupart de ses annonces d'information et d'orientation des
usagers, écrites ou orales, lorsqu'elle en assure la diffusion
en langue étrangère. Certaines d'entre elles sont
même diffusées en quatre langues étrangères
(mise en garde contre les pickpockets en particulier). On regrettera
seulement que sa signalétique murale ignore systématiquement
l'espagnol quand en revanche, l'anglais a toujours droit au premier
rang des langues étrangères utilisées. C'est
lui donner inopportunément un statut privilégié.
La S.N.C.F., en revanche, multiplie en ce domaine les violations
de la loi du 4 août 1994 et n'a aucun égard pour
certains usagers étrangers non anglophones ; certes,
elle renonce très progressivement à l'exclusivité
de l'anglais sur certaines lignes du Sud ou de l'Est de la France
dont les usagers étrangers sont presque exclusivement des
locuteurs d'autres langues européennes. En revanche, le
bilinguisme anglais - français reste encore la règle
dans de nombreuses gares, non seulement en violation de la loi
sur la double traduction, mais aussi sans aucune justification
au regard de leur fréquentation par les locuteurs de langues
étrangères autres que l'anglais.
On pourrait citer à ce sujet d'innombrables exemples :
annonces anglais - français pour signaler l'existence
d'une navette de remplacement sur la ligne du RER C (Paris Austerlitz,
août 1997), publicité des bars TGV sur la ligne Paris-Nice
(signalée en octobre 1997), signalétique des gares
de Lyon - Paris Orsay et Paris Montparnasse, " Don't
cross the tracks " (" ne pas traverser
les voies ") sur toute la ligne côte d'Azur (signalé
en octobre 1997), etc.
Dans certains cas, elle frôle le ridicule : annonce
en anglais du départ du Clermont - Riom de six heures du
matin à la gare de Clermont-Ferrand en plein mois de novembre
(signalé en novembre 1995).
Dans le secteur des musées (nationaux ou de collectivités
locales) :
Des progrès ont été récemment enregistrés,
grâce en partie aux interventions de la Délégation
générale à la langue française et
aux nôtres. On constate, néanmoins, que les infractions
restent nombreuses. On peut citer, par exemple, les indications
bilingues du musée Matisse de Nice (mars 1997),
du musée de la Pêche de Concarneau (octobre
1995), du musée du Louvre (portes d'entrées
à proximité du Carrousel et signalisations des sorties).
On peut encore mentionner le musée Curie (consignes
non traduites, constatées le 20 février 1997), le
musée de Cluny (dépliant simplement bilingue).
(1er septembre 1997), le museum d'Histoire naturelle (affiche
bilingue annonçant une exposition, le 12 août 1997),
le musée des Invalides (" logo-guide man "
dans chaque salle, constaté le 3 juillet 1997), le mémorial
Jean Moulin (mentions traduites uniquement en anglais, constatées
le 8 juillet 1997), le château de Fontainebleau (affichage
des caisses exclusivement bilingue, novembre 1997), la Cité
des sciences (affichage publicitaire en allemand et en espagnol
avec traduction illisible, le 14 octobre 1997), ou encore le
musée Jacquemart André (affiche présentant
le musée de manière strictement bilingue, constatée
en octobre 1997).
Dans les grandes stations de sports d'hiver des Alpes :
Les pratiques linguistiques des communes et des concessionnaires de services publics (navettes et remontées mécaniques, essentiellement) sont contrastées :
Quand Val d'Isère ou Méribel ignorent
leurs obligations de double traduction dans la plupart des cas,
voire oublient ou permettent d'oublier l'emploi du français
au profit du seul anglais (signalétique de l'École
de ski français pour les points de regroupement des élèves,
mention " slow " pour une invitation à
ralentir aux points dangereux des pistes, " free bus "
au lieu de navette gratuite, comme cela nous a été
signalé en 1995 et 1996), Tignes pratiquait la multi-traduction
et respectait (dans l'ensemble) la loi du 4 août 1994 jusqu'en
1998, époque à laquelle des indications en seule
langue anglaise ont commencé d'apparaître comme " ski
patrol " pour service des pistes.
L'observation plus systématique d'un nombre beaucoup plus
grand de stations touristiques d'été et d'hiver
reste néanmoins à faire pour avoir une idée
plus exacte de la réalité des pratiques linguistiques
dans ce secteur.
L'enseignement supérieur :
Ainsi que nous l'avons annoncé dans l'introduction de ce rapport, nous n'avons malheureusement pas pu organiser une observation très poussée des pratiques linguistiques du secteur de l'enseignement.
Nous sommes naturellement inquiets des conditions dans lesquelles
se développe l'initiation aux langues étrangères
dans l'enseignement primaire dont chacun sait qu'elles conduisent
à privilégier l'anglais dans la plupart des cas
et à décourager l'enseignement d'autres langues
étrangères, voire l'empêcher sous prétexte
d'économies budgétaires. Bien souvent, la politique
des rectorats conduit ainsi à amplifier la dynamique d'hégémonie
de l'anglo-américain en France et en Europe.
Nous nous inquiétons également du développement
de l'enseignement en anglais dans les établissement universitaires
publics français, particulièrement dans les écoles
de commerce, mais également dans d'autres établissement
prestigieux comme la Sorbonne (nombreuses " universités
d'été " en anglais), l'école des
Mines qui se croit obligée de produire son journal en anglais
et même l'Institut d'études politiques de Paris qui
a produit cette année un avis aux étudiants que
nous reproduisons ci-dessous :
Tout étudiant français ou non, non anglophone ou n'ayant pas suivi au moins deux ans d'études dans une université anglophone, devra passer un test écrit d'anglais en juin ou septembre 1998. Il sera tenu compte des résultats de ce texte lors de la délibération de la Commission d'Admission. D'autre part, l'attention des étudiants du programme Sociologie politique est attirée sur le fait que des enseignements obligatoires du programme (cours) seront donnés en anglais. Afin de vérifier les capacités d'accès du candidat à ces enseignement, une partie de l'entretien auquel certains candidats sont conviés pourra se dérouler en anglais. En fonction des intérêts des candidats et de leur projet de recherche, la même pratique pourra éventuellement être étendue pour les entretiens d'autres programmes sans qu'elle soit une condition préalable à la décision d'admission. Pour les étudiants étrangers ne pouvant se déplacer, une attestation de niveau d'anglais (TOEFL, Proficiency...) serait souhaitée." |
Les pratiques discriminatoires révélées par
cet avis se passent de tout commentaire.
La haute fonction publique :
Ce secteur est incontestablement celui pour lequel nous ont été
révélés les faits les plus scandaleux en
termes de comportements individuels des plus hauts responsables
de l'État. Certains d'entre eux ignorent délibérément
- et avec une morgue rare - les instructions pourtant précises
du Premier ministre. Pour des raisons que chacun comprendra, notamment
parce que notre propos n'est pas de tomber dans la délation
de personnes, nous nous abstiendrons de les désigner. Ceci
ne traduit pas pour autant un manque de courage de notre part :
les fonctionnaires de tous rangs qui sont adhérents des
associations que nous regroupons ou qui partagent simplement notre
point de vue sur ces questions, n'ont pas manqué en général
de protester individuellement contre les pratiques dont ils ont
été les témoins : prise de parole en
anglais dans des manifestations officielles en France ou à
l'étranger où les hauts fonctionnaires concernés
représentaient leur administration, voire le gouvernement
français, échange de notes en anglais entre très
hauts fonctionnaires français, envoi de télégrammes
ou de notes en anglais à des administrations françaises
par des hauts fonctionnaires français en poste à
Bruxelles, double traduction non respectée pour la signalétique
des administrations nationales, utilisation de titres en anglais
pour des revues ministérielles officielles (" Civic "
au ministère de l'Intérieur, que Monsieur J.-P.
Chevènement a fait immédiatement rebaptiser " Civique "
dès son arrivée à la place Beauveau, ce qui,
pour n'être pas surprenant de sa part, mérite néanmoins
l'expression de nos hommages), instructions d'un chef d'administration
enjoignant à ses agents d'établir les documents
à usage externe en langue anglaise seulement, etc.
On n'en finirait pas de multiplier les exemples d'incivisme linguistique
dont de nombreux hauts fonctionnaires français se rendent
impunément coupables.
Le pire de ce qu'a révélé l'ensemble de nos
observations concerne bien le secteur public et, au sein de celui-ci,
la haute fonction publique. Cela est inadmissible. Nous réclamons
un redressement rapide de la situation dans ce secteur, l'application
stricte des instructions ministérielles en vigueur, notamment
celles de la circulaire " Balladur " d'avril
1994, et, le cas échéant, des sanctions contre ceux
qui persistent à les méconnaître.
|
Cette question a fait l'objet d'une étude récente
de l'association Avenir de la langue française,
qui en a saisi la Commission européenne, le gouvernement
français et un grand nombre de parlementaires et de personnalités
politiques et syndicales. En effet, les dérives des institutions
européennes, notamment de la Commission, vers une préférence
généralisée pour l'usage de l'anglais constituent
non seulement une violation des traités européens,
qui reconnaissent le principe du multilinguisme et de l'égalité
des langues, mais un élément important quoique insidieux
d'un alignement général de l'Union européenne
sur la plus grande puissance non européenne actuelle, puisque
la langue est le véhicule et le signe du développement
intellectuel, universitaire, scientifique, et finalement politique.
Il est donc évident que tout processus de soumission en
ce domaine est constitutif d'une politique d'abandon généralisé
qui n'a pas été officiellement décidée
par l'Europe et qui est de nature à susciter des oppositions
résolues. La nôtre devrait être sans doute
appuyée par celle de tous les Européens qui attendent
de leurs gouvernements respectifs et des institutions européennes
qu'ils mettent leurs décisions en cohérence avec
leurs affirmations de principe selon lesquelles l'Europe doit
être " plus proche des citoyens ". Le
premier moyen à mettre en œuvre pour y parvenir est
de commencer par faire en sorte que cette Europe s'adresse à
ses ressortissants dans la langue de chacun.
Afin d'appuyer sa protestation sur des constats irréfutables,
ALF a relevé et regroupé en quelques rubriques des
exemples frappants d'infractions commises par la Commission aux
règles linguistiques de la Communauté :
1 - Textes officiels parus au Journal Officiel des Communautés
européennes
La version en langue française du J.O.C.E français
comporte assez fréquemment des textes anglais non traduits,
ce qui par définition contradictoire, est évidemment
dommageable lorsqu'il s'agit de textes devant avoir une valeur
juridique dans les États membres, et pose notamment la
question de la validité juridique de ces parutions.
On peut citer les exemples suivants :
2 - Courriers et documents émanant de la Commission
Quel que soit le pourcentage de documents émanant de la
Commission rédigé en français, il est illégal
et inacceptable que de nombreux courriers ou documents émanant
de la Commission et adressés aux administrations françaises
soient rédigés en anglais. Ainsi :
3 - Procédures d'appels d'offres et à propositions.
Contrats.
Le français est normalement présent dans les appels
d'offres, les contrats et dans la gestion de certains programmes
comme ceux qui relèvent des fonds structurés. Mais,
pour d'autres comme PHARE, TACIS, INFO 2000, etc., l'anglais est
très souvent imposé comme unique langue de rédaction
des documents, de présentation des projets devant les jurys,
des contrats, de la gestion postérieure des programmes,
qu'il s'agisse des opérateurs ou des organismes bénéficiaires.
Cette pratique contrevient au règlement du Conseil n°1
du 15 avril 1958 et elle entraîne une distorsion de concurrence
entre les entreprises ou organismes intéressés,
au bénéfice des anglophones.
Or, conformément à la Constitution française,
dont l'article 2 prévoit que " la langue de la
République est le français ", les organismes
de droit public sont tenus d'utiliser cette langue dans leurs
relations avec les usagers, et leurs relations internationales.
De sorte que les personnes de droit public qui sont conduites
à signer des contrats dans une langue autre que le français
et qui seule fait foi, sont mises en situation d'illégalité
puisqu'elles contreviennent à l'article 5 de la loi du
4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française
selon lequel " quels qu'en soient l'objet et les
formes, les contrats auxquels une personne morale de droit public
ou une personne privée exécutant une mission de
service public font partie, sont rédigés en langue
française ".
Parmi les nombreux cas observés, on peut citer :
Cette obligation d'utiliser l'anglais est d'ailleurs clairement
indiquée dans le J.O.C.E. :
From: Thierry.LECLERCQ@DG10.cec.be
Date: Tue, 18 Feb 1997 12:21:07
+0100
Subject: Re: Appels d'offres
Cher Monsieur,
Le Programme MEDIA II est
entre en vigueur le 1er janvier 1996 et se met en place progressivement...
Si le site de la Commission
publie le texte des appels d'offres en anglais, c'est qu'il s'agit
de la langue la plus repandue a travers les 15 etats membres pour
ce qui concerne en tout cas les professionnels de l'audiovisuel
europeen desireux de travailler sur le marche international.
Dans un souci de respect de
la diversite linguistique et culturelle, la diffusion de l'information
dans les 11 langues communautaires s'opere via le reseau des Media
Desk et antennes qui progressivement mettent en place des serveurs
online dans leur langue et comportant des informations destinees
plus particulierement a leurs professionnels nationaux ou regionaux.
[...]
T. Leclercq
Information & Communication
Programme MEDIA
Ce programme, qui est un de ceux qui prétendent oeuvrer
pour la protection de l'identité culturelle européenne,
renvoie donc l'indigène à son " Media
Desk " (sic) local !
Cette situation engendre des inégalités injustifiables
entre les entités européennes intéressées
et entraîne de graves conséquences pour les travailleurs
ne connaissant pas la langue étrangère qu'on entend
leur imposer.
Malgré la discrétion dont les organismes responsables
entourent cette pratique discriminatoire, celle-ci commence à
être mentionnée dans la presse (notamment belge).
Elle a fait l'objet le 5 février 1996 d'une question écrite
d'un député français ; le ministre n'a
pu qu'approuver sa position, promettant d'intervenir (J.O. du
4 mars 1996). On serait heureux de constater les effets de cette
intervention.
4 -LE FONCTIONNEMENT INTERNE DE LA COMMISSION
Dans leur fonctionnement interne, certains services de la Commission
s'abandonnent à l'usage exclusif de l'anglais notamment
en ce qui concerne, les réunions d'experts, les noms de
baptême des différentes activités de la Commission,
à l'instar de : " ECI-European Community
Investment Partners " choisi par la Commission économique
à la place des " facilités Cheysson ",
et " EUROCOR " acronyme de " European
Urban Corridor Control " Ces pratiques sont évidemment
incompatibles avec le principe d'égalité des langues
qui résulte de l'article 1er du règlement n°
1 du Conseil.
En 1995, désireuse de montrer plus d'Europe sur les petits
écrans du continent, la Commision lança une chaîne
de télévision : il était impossible
qu'elle s'appelât autrement que " Europe by
satellite ". Ce qui fut promptement fait. On apprend
dans un domaine européen corollaire bien que non communautaire
que la future structure devant remplacer le GIE Airbus - pour
permettre l'accès de tous aux bureaux d'études de
l'Aérospatiale - ne pourrait s'appeler autrement que " European
Aerospace ". Il est vrai qu'" Airbus "
peut encore se prononcer à la française : il
fallait mettre fin sans retard à ce scandale.
Des solutions partielles et provisoires peuvent être envisagées,
notamment en ce qui concerne la sélection de professionnels
réellement polyglottes ; une répartition équitable
des acronymes, le contrôle des opérations orales
pour les recrutements, etc... Mais il est évident que la
question ne pourra être sérieusement abordée
que par une approche globale comme celle qui fait l'objet dès
1996 des propositions du CERCLE (Comité européen
pour le respect des cultures et des langues en Europe).
5 -RELATIONS ENTRE L'UNION EUROPÉENNE ET LES PAYS
TIERS
Les relations extérieures de l'Union sont marquées
par un usage exclusif de l'anglais dans certaines zones géographiques.
Ainsi le dialogue devenu un monopole anglophone avec les pays
d'Europe centrale et orientale (PECO) : la plupart des textes
et des discussions relatifs à l'élargissement de
l'Union aux PECO sont rédigés ou ont lieu en anglais.
6 -INTERNET ET LES SERVEURS DE LA COMMISSION
Le lancement des nouveaux produits d'information électronique
a été l'occasion d'une dérive vers le " tout
anglais ". Ainsi :
Les projets de LRE : - les langues concernées par chaque projet sont marquées d'un astérisque ; elle est entre parenthèses pour l'anglais lorsqu'il n'est pas explicite mais quasi implicite qu'elle est la seule langue concernée par un projet.
- le laboratoire chef de file est indiqué dans sa colonne
nationale par un "C" Ces données sont reconstituées " à la main " après lecture des documentations des différents projets tels qu'ils sont décrits sur le serveur WWW "Echo" " I'M Europe " de la DG XIII.
Certains projets sont assez exemplaires du peu de considération pour la langue française : - LS-GRAM (Large Scale Grammars), qui consiste à mettre au point des grammaires formelles (le point le plus important ), ne concerne que l'anglais, l'allemand et l'espagnol ; - EUROCOCOSDA, consiste à mettre au point des systèmes de reconnaissance de la prononciation de l'anglais par diverses catégories de population, les " native speakers " et les différents " non natives " : l'hypothèse sous-jacente est claire ! - CRISTAL consiste à faire profiter l'anglais (et l'italien) d'une technologie éprouvée pour le français, d'interrogation de bases de données en langage naturel. |
7 - LES INSTITUTIONS MONÉTAIRES
L'Institut monétaire européen qui a laissé
la place à la Banque centrale européenne en juillet
1998 admettait, bien que n'étant pas stricto sensu une
institution de la Communauté, il se devait d'en appliquer
les règles notamment en matière linguistique.
La pratique constatée est malheureusement tout autre, qu'il
s'agisse de la langue généralement employée
dans les réunions, des acronymes choisis pour certains
systèmes, des offres d'emploi et jusqu'aux inscriptions
figurant à l'entrée de l'immeuble (photo jointe).
On a vu de même la façon on ne peut plus démocratique
dont il fut décrété que la monnaie subdivisionnaire
de l'Euro serait le " cent ". Nos amis
d'outre-Rhin ayant argué d'un non possumus pour
l'écu - écrit dans la lettre du traité de
Maastricht - au motif que celui-ci sonnait mal en leur idiome,
on ne comprend guère comment une désignation - dont
l'homonymie avec celle existant de l'autre côté de
l'Atlantique est certainement fortuite - qui confond pour un francophone
le centième (0,01) et le centuple (100) n'a pas attiré
l'attention d'un commissaire aux affaires monétaires lui-même
francophone d'après son passeport. Les associations n'ont
pourtant pas manqué d'émettre de multiples mises
en garde au Conseil des Cinq cents, enfin, au Parlement. En vain.
La commission de terminologie a beau nous assurer qu'il faudra
le prononcer comme " sang ", on ne voit guère
comment on évitera la prononciation anglaise pour lever
l'ambiguïté. La multiplication des ambiguïtés
liées à ce " cent impur " qui
va abreuver nos porte-monnaie demeurera néanmoins à
l'écrit (" cinq cents cents dans cinq euros ")
et les écoliers attribueront plus volontiers " nous
partîmes cinq cents " à l'Opéra
de quat'sous qu'au Cid. Tout cela ne manquera pas d'achever
ceux qui avaient mis trente ans ou plus pour assimiler la présence
de cent anciens francs dans un NF...
Mais peut-être - et la curieuse proximité de valeur
avec le dollar retenue pour l'écu/euro semble le prouver
- le destin de l'euro est-il d'être au dollar ce que l'Ostmark
fut au Deutsche Mark : une monnaie vouée à
disparaître par échange un pour un ?
Nous demandons très fermement à la nouvelle Banque
centrale européenne de ne pas poursuivre de tels errements
et si nous n'étions pas entendus, nous proposerions que
le gouvernement français refuse l'humiliation et les préjudices
ainsi infligés à notre pays et à tous les
pays francophones, par les mesures suivantes :
CONCLUSION
Pour abondant qu'il soit, ce relevé ne prétend pas
être exhaustif, ne pouvant en particulier mentionner une
multitude de pratiques orales ou officieuses qui s'efforcent de
ne pas laisser de traces mais dont l'usage systématique
est devenu si notoire qu'il suscite des protestations croissantes.
Devant celles-ci, la Commission européenne a jusqu'ici
oscillé entre deux attitudes : soit le silence, soit
l'invocation des obstacles logistiques et financiers qui s'opposerait
à une application loyale des traités en matière
linguistique. Ce type d'objections ne peut toutefois être
retenu lorsque l'on sait que les autorités européennes
(pas plus que les instances nationales) n'ont donné aucune
suite aux propositions pratiques présentées en 1996
par le Comité européen pour le respect des cultures
et des langues en Europe (CERCLE).
Devant ces violations de la charte européenne, cette carence
gestionnaire et cet alignement sur les positions linguistiques
d'une puissance non européenne, nous attendons des gouvernements
français qu'ils tirent toutes les conséquences juridiques
et politiques de cette situation dans les rapports avec les institutions
européennes.
|
Pour n'être pas exhaustif, ce rapport n'en apporte pas moins
une vue d'ensemble sur la situation de la langue française.
Ce qui nous importe ici est son emploi. Il n'y a nul " purisme "
à chercher dans notre démarche, tant sur le lexique
que sur la syntaxe ; ceci pour répondre d'avance aux
professionnels de l'amalgame, aux lanceurs d'anathèmes
des feuillets bien pensants qui n'hésitent pas à
traiter d'" ayatollahs " (!) ceux qui défendent
le droit de s'exprimer, de penser, d'être informé
en français. Le droit de comprendre, quoi !
Le tableau n'est pas entièrement noir, mais il est peu
encourageant compte tenu des tendances qu'il constate.
Certes, la loi a mis un léger coup d'arrêt à certaines dérives dans le domaine étroit de la consommation, pris dans son sens le plus strict. Certes, les distributeurs de produits dont l'emballage ignore totalement le français sont sanctionnés lorsque l'administration de contrôle en prend connaissance.
Cependant, dès qu'on s'écarte de ce strict consumérisme
réduit à la portion congrue, c'est la déroute
dans tous les domaines où l'application de la loi, même
avec les lacunes de celle-ci, se heurte aux groupes d'intérêt
internationaux devant lesquels l'ensemble ou presque des autorités
constituées ont capitulé sans conditions.
La loi précise-t-elle que " la législation sur les marques ne fait pas obstacle " à l'application de la loi, c'est-à-dire qu'on ne peut se réfugier devant une expression " déposée avec la marque " pour s'abstenir de la traduire ? Aussitôt, voici qu'on nous oppose " l'Europe " et son triste cortège de carcans réglementaires censés assurer la " liberté ".
La loi décide-t-elle de quelques mesures pour défendre la place du français dans les sciences ? Aussitôt, voici qu'on capitule à Bruxelles ou ailleurs sur les nomenclatures, les " exigences " des " revues internationales " (comprendre " anglo-saxonnes ") ou de la " communauté scientifique ".
La loi demande-t-elle aux télévisions de " promouvoir la francophonie " ? Aussitôt, on agite l'ire de MM. Turner, Brittan ou Murdoch et l'on cède devant une Cour de robins luxembourgeois qui sont en la matière " la voix de leurs maîtres ".
Quant au travail, il est bien connu qu'il suffit désormais
d'un seul anglophone, fût-il d'occasion, dans une entreprise
française pour que celui-ci impose sa langue à tous.
Il peut d'ailleurs repartir en paix : les dirigeants conquis
continueront à imposer la langue des maîtres,
jusqu'aux plus modestes des employés.
Même dans le domaine de la simple consommation, l'absence
totale d'application de la loi en ce qui concerne, par exemple,
les gravures sur les appareils électroniques montre bien
la soumission non dite aux impératifs de production des
grands groupes internationaux. Imprimer un carton et une notice
en français, passe encore, mais faire des gravures spécifiques
pour la peuplade gauloise, pas question ! Idem pour les logiciels :
traduire le traitement de texte de la secrétaire ou le
tableur de l'aide-comptable, passe encore, mais pour le logiciel
de gestion de réseau, le logiciel pour le mathématicien
ou le physicien, pas question de raboter la marge ! Et ces
entreprises étrangères peuvent compter sur la bienveillance
des autorités hexagonales qui s'en voudraient de leur faire
des misères : des fois qu'on leur ferait un reproche
à Bruxelles ou à Washington ! Rien que d'y
penser, ils en tremblent d'effroi !
Car voilà bien par où tout pèche : la
" mondialomanie " de nos " élites "
auto-proclamées, cooptées, intercontinentales, conquises
et complices, qui explique la déroute du français
dans la haute administration comme dans les enceintes internationales.
Le reste n'en est que la conséquence directe. Nous avons
ainsi appris qu'un haut personnage de l'exécutif, après
avoir fait l'éloge de la langue anglaise, dans cette langue,
dans une classe de Shangaï où l'on enseigne le français,
a multiplié les discours en anglais lors d'un récent
voyage au Canada. Là où les Québécois
achèvent de reconquérir leurs droits après
deux cents ans d'oppression, une petite caste ne représentant
qu'elle-même s'apprête à nous faire prendre
unilatéralement le chemin inverse de la reddition.
" Pour pouvoir continuer à dîner en
ville, la bourgeoisie accepterait n'importe quel abaissement de
la nation. [...] Cette classe qui s'est de plus en plus abâtardie,
jusqu'à devenir traîtresse à son propre pays.
Bien entendu, le populo ne partage pas du tout ce sentiment. Le
populo a des réflexes sains. Le populo sent où est
l'intérêt du pays. Il ne s'y trompe pas souvent.
[...] Je crois surtout que l'Amérique et l'Angleterre paient
indirectement. Et je t'invite à venir faire des conférences !
Et je t'invite à dîner ! Et je t'invite à
venir faire un semestre dans une Université ! Et je
t'invite à un voyage de propagande ! Et je t'envoie
une caisse de whisky ! Et il n'y pas besoin de faire d'efforts,
car le snobisme anglo-saxon de la bourgeoisie française
est quelque chose de terrifiant."
Charles de Gaulle, cité par Alain Peyrefitte dans " C'était
de Gaulle ", éditions de Fallois/Fayard, 1994