Défense de la langue française   
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VERLAN ET GAULOIS

La chaîne de télévision A2 a consacré le 17 février une étude, non sans intérêt mais brouillonne et tendancieuse, aux Croisés du français. On désignait ainsi, comme de pittoresques « visiteurs », ceux qui combattent l'anglicisation de la langue [1] . De ce qui, selon la syntaxe sommaire du cinéma, parut leur répondre, j'extrais deux arguments. Le doyen de Paris-V, descendu des cimes d'un cours de verlan ( !), enseigna (sans rapport avec l'anglais) cette vérité sans doute hors de portée du premier venu, que la langue « suit le mouvement de la société » ; bien. Mais qu'est ce « mouvement », et qui le détermine ? Pas le linguiste. Sa formule à la Diaforius présente plus d'intérêt qu'il n'y paraît. Elle revient en effet à distinguer deux plans en avouant que la question de la norme du langage n'est pas tant du ressort des linguistes, que de « société .», c'est-à-dire politique. Elle ruine ainsi le discours anti-normatif vulgarisé depuis trente ans par les Robert Escarpit, Jacques Cellard, Alain Rey qui masquent cette distinction par celle du grammairien garde-chiourme du bon usage, ignorant de l'histoire ( !), et du linguiste dont la Science libère les cancres de la persécution du premier, valet des élites assurant la sélection au profit des héritiers.

Il y a beau temps que le défaut de prononciation, d'orthographe, de lexique et de syntaxe n'est plus discriminant. Le linguiste n'en continue pas moins de pourfendre le grammairien de son épée de carton en clamant que la Science interdit d'interdire (et proscrit de prescrire). Nonobstant la contradiction logique ; sous la fausse barbe du savant « objectif » perce le militant. Eh bien, s'ils avouent que la langue dépend d'autre chose que de la linguistique, ils s'interdisent aussi leur propos anti-normatif. Pour le linguiste, un mot est un mot et, pour le botaniste, l'ortie et le blé sont deux organismes intéressants ; mais il appartient au maître de maison de décider, pour des raisons non botaniques, s'il cultivera l'un ou l'autre. Encore faut-il un maître de maison. François 1er imposant le français dans les actes administratifs, Richelieu instituant l'Académie française, avaient compris que la langue importe au politique et se détermine par des décisions politiques.

Quelle politique linguistique ? Ce soir-là, un tour de table chez Larousse au sujet de la non-recevabilité de « jeune pousse » au lieu de « start up » pour désigner une entreprise aux débuts rapides [2] fut suivi de généralités agressives sur les enrichissements allogènes et le peu de mots venus du gaulois ( !) (on croyait le français langue romane ?). C'était projeter les fantasmes ethniques en divisant les mots comme la société, en « gaulois » (français, vus par la jeunesse immigrée) et nouveaux venus. Un argument spécieux, pour se défendre d'innover à des fins commerciales : si un mot entre dans le dictionnaire, c'est qu'il est dans la langue, que le lexicographe doit décrire. Certes, mais « description » impliquerait prise en compte des fréquences d'emploi, qui fait défaut, et des niveaux de langue, ce qui ne se réduit pas aux indications utiles mais sommaires des dictionnaires courants ; nécessairement sélectifs, ceux-ci sont normatifs de fait ; feindre de l'ignorer est une imposture.

La question n'est pas d'une « pureté préservée » par les « stratégies » de « croisés » « irréductibles » pour « bouter l'anglais » (expression de ce soir-là). Il s'agit de décider si l'on veut qu'à terme l'anglais remplace le français, faute qu'on ait forgé et promu les désignations des réalités nouvelles. Cela évite par un travail terminologique de spécialistes auquel le pouvoir politique donne force légale ; on en voit les fruits au Québec ou dans l'État hébreu et, ici même, les effets partiels grâce à la timide loi Toubon. Il s'agit ensuite de savoir, puisque l'école et les médias imposent de fait des modèles, si on les abandonne au hasard ou à la malveillance, ou si on les met au service de la cohérence phonétique, morphologique et syntaxique du système de la langue (comment de ces points de vue, rendre compte de « start up » ?), de son potentiel expressif et analytique [3] de sa clarté [4] . Rien à voir avec une défense du « gaulois » !.


Jean-Pierre ROTHSCHILD L'Action Française 2000 - du 2 au 15 mars 2000

[1] On ne donnait pas les adresses des associations présentées :[Retour]
Défense de la langue française - 8, rue Roquépine 75008 PARIS
Droit de Comprendre, 98 rue de Sèvres - 75007 PARIS
[2] L'équivalent « recommandé » en vertu de la loi Toubon était inadéquat, mais on peut suggérer immédiatement « beau brin », « champignon », « fusante », « démarreuse », etc.[Retour]
[3] Mis à mal dans les écoles par réduction des temps du passé de l'indicatif au seul passé composé ou la limitation de l'analyse grammaticale à des découpages sommaires en groupes nominaux et verbaux.[Retour]
[4] Que compromet, par exemple, la confusion du « é » fermé et du « è » ouvert à l'école et sur les ondes.[Retour]

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